Le lendemain du 4 septembre 2012

Chronique de Claude Bariteau



Il est fort probable que nous nous retrouverons le soir du 4 septembre 2012 avec un gouvernement minoritaire (péquiste, libéral ou caquiste) dont la balance du pouvoir sera entre les mains de l’un d’eux.
Tous ces partis pourraient composer selon les dossiers ou faire des alliances pour gouverner et légiférer. Dans le premier cas, nous serons vite en élection. Dans le deuxième, la durée de vie du gouvernement pourrait être plus longue.
Si le PQ a le plus d’élus, je vois mal une alliance avec le PLQ. Par contre, avec la CAQ, c’est possible pour traiter certains dossiers (corruption, réalignement à la Caisse de dépôt, promotion du français et des arts, études post-secondaires). Avec le PLQ, le PQ n’osera pas. La CAQ, peut-être, pour aborder les ressources naturelles, l’ordre et la relance de Québec Inc. Avec la CAQ, l’inédit pourrait se produire : des parlementaires quitteraient leur parti pour s’y associer.
Quoi qu’ils en soient, le point majeur recherché sera l’obtention d’un appui majoritaire des parlementaires élus indépendamment des votes reçus. Ce qui ne sera pas nécessaire avec un gouvernement majoritaire péquiste, libéral ou caquiste. Par contre, nous nous retrouverons sûrement en déficit démocratique, car, selon les sondages, l’un ou l’autre parti n’aura guère plus de 35 % du support électoral.
Dans sa réplique à C. J. Simard, Bernard Émond ne se soucie pas de ce déficit. Pour lui, tout doit être mis de l’avant pour battre les libéraux et contrer l’apparition d’un gouvernement libéral auquel pourrait s’allier la CAQ. Aussi invite-t-il les Québécois « réformistes » à voter en conséquence, sachant pertinemment que le PQ ne recevra qu’un appui d’environ 40 % de l’électorat, le PLQ et la CAQ entre 55 % et 60 %.
Ses propos laissent entendre que le système politique en vigueur permet de stopper une dérive avec le PLQ et la CAQ. Ce n’est pas faux. Ce système, désuet, permet de contrer les choix majoritaires de l’électorat parce que seul compte le nombre des élus par parti. À mes yeux, il s’agit là d’une aberration qui, lorsqu’elle prend forme, banalise l’idée d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
En démocratie représentative, cette idée s’incarne beaucoup mieux dans un système électoral mixte. Dans un système uninominal à un tour, c’est rarement le cas s’il y a plus de deux partis et totalement impossible lorsque trois partis sont quasi nez à nez. Ce qui est le cas au Québec. Aussi m’apparaît-il primordial de chercher une façon de contourner ce qui s’annonce plutôt que de miser sur la neutralisation d’une présumée dérive au nom d’un progressisme qui fait fi des choix de l’électorat.
La seule façon, à mes yeux, implique un engagement des partis politiques, en l’occurrence le PQ, le PLQ et la CAQ, à ne promulguer les lois adoptées au parlement que si celles-ci obtiennent l’aval d’une majorité de parlementaires ayant le support d’une majorité d’électeurs et d’électrices. Ce qui se produirait dans un système électoral proportionnel mixte. Un engagement de la sorte aura deux conséquences. La première, contrer le déficit démocratique, la seconde, mettre la table pour réaliser une refonte substantielle du système électoral.
Jusqu’à tout récemment, le PQ prônait le modèle proportionnel mixte scandinave. Modèle qui rejoint les vues de QS et ON. Quant au PLQ, il a jonglé avec le modèle proportionnel écossais. Du côté de la CAQ, si l’ADQ fut adepte d’un régime proportionnel, rien n’est prévu sous cet angle. Pourtant, selon Jérôme Lussier (Voir du 10-8-12), ce parti en bénéficierait.
Il est peu probable que le PQ, le PLQ et la CAQ s’engagent de la sorte. S’ils refusent de le faire, à mes yeux d’électeur foncièrement démocrate, ces partis perdent toute pertinence. Ils la perdent du simple fait qu’ils acceptent d’œuvrer dans un système, qualifié de démocratiquement infect par René Lévesque, parce qu’il permet à un parti ayant un support minoritaire de l’électorat de légiférer et d’imposer ses vues.
Évincer le PLQ du pouvoir est une chose. C’est possible de le faire dans le respect du choix des électeurs et des électrices. Chose certaine, les partis qui s’engageront à le faire seront, à mes yeux et à ceux des électeurs et des électrices, démocratiquement progressistes. Et, s’ils le font, cette élection, qui s’apparente plus à une campagne pour séduire des consommateurs, annoncera la fin d’un système électoral désuet. Du coup, elle deviendra historique.

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 septembre 2012


    1. Ce texte vient seulement renforcer les idées développées dans un texte (Refonder la démocratie au Québec) paru dans Le Devoir du 14 juillet 2012 où je montre que le peuple québécois n’a jamais choisi le système électoral dans lequel il s’exprime. Je soutiens aussi qu’une façon, peut-être la seule, de modifier ce système peut venir d’un engagement des partis politiques à ne promulguer des lois seulement lorsque celles-ci ont l’appui d’une majorité de députés détenant un support majoritaire des électeurs et électrices.
    2. Je reviens sur ce dernier point dans le présent texte parce que, le 5 septembre, nous nous retrouverons au Québec possiblement avec un gouvernement majoritaire qui n’aura guère plus de 35 % du support des électeurs-électrices, voire un gouvernement minoritaire dont l’existence sera de courte durée parce que le pouvoir exécutif sera minoritaire.
    3. Si j’y reviens, c’est qu’il m’apparaît incontournable que nous nous penchions sur ces anomalies et que nous développions une approche qui mise sur la collaboration et le débat constructif plutôt que sur le conflit et l’alternance dont le principal défaut est d’octroyer le pouvoir au parti qui réussit à faire élire une majorité de députés.
    4. Il y a d’autres façons de procéder dans les démocraties représentatives : l’élection à deux tours comme en France et le système proportionnel mixte qui comprend de nombreuses variantes. Ces deux systèmes peuvent, de surcroît, favoriser la délibération à l’aide d’institutions appropriées.
    5. La démocratie participative à laquelle fait écho Pierre Cloutier n’est possible qu’au sein de petite entité, ce qu’a mis en relief Pierre Rosanvallon. Dans des entités plus grandes, elle est de l’ordre de l’utopie, ce qui est, je crois, aussi l’avis de Manin dans son livre publié en 1997.
    6. Pour ces deux auteurs et bien d’autres, nous sommes contraints à vivre la démocratie sur le mode de la représentation en bonifiant la délibération. Il en découle que nous devons chercher le système et ses compléments qui assurent le plus la prise en compte du peuple et fasse que le gouvernement agisse pour le peuple.
    7. Dans ce cadre, il n’y a pas de système parfait ou idéal. S’il y en avait un, il serait sûrement privilégié. Ce n’est pas le cas. Tous les systèmes comportent des limites et véhiculent des biais. Sous cet angle, il importe plutôt de chercher le système qui minimise les défauts et assure une gouvernance équitable et faire en sorte que le peuple l’adopte à l’occasion d’un référendum, comme ce fut le cas en Nouvelle-Zélande. En quelque sorte, il nous revient d’inventer un système qui corresponde aux valeurs que nous partageons, comme ce fut le cas dans les pays qui se sont dotés d’un système électoral autre que le système uninominal à un tour.
    8. Cela étant, il faut se rappeler que l’exercice du pouvoir est le fait d’un parlement qui légifère et gouverne. Séparer ces deux attributs est fondamental. À titre de suggestion pour alimenter le débat, je pense que l’exécutif devrait relever d’un président élu au suffrage universel qui s’entoure de hauts-fonctionnaires pour exécuter les lois adoptées par les parlementaires, un peu comme aux États-Unis, mais possiblement en deux tours, comme en France. Quant au pouvoir législatif, il pourrait être le fruit d’un système proportionnel mixte selon le modèle néo-zélandais ou tout autre modèle analogue. Je signale ce modèle parce qu’il valorise la démocratie délibérative pour assurer que les décisions des parlementaires se prennent après débats des différents points de vue et l’établissement d’un accord majoritaire sur le fond.
    9. Autre point, dans le système électoral que nous utilisons, dès qu’il y a plus de deux partis, il y a des problèmes de représentation. Ce sont ces problèmes qu’il importe de corriger si on veut que la joute politique demeure entre les mains du peuple. Ce constat est partagé par une majorité d’analystes des systèmes politiques.
    10. Soit dit en passant, le peuple, en régime démocratique, n’est pas une nation ethnoculturelle mais un ensemble de citoyens et de citoyennes qui s’expriment comme des sujets et des acteurs parce qu’ils forment une nation politique. Sous cet angle, il n’y a pas de « Vrais Québécois » comme les « Vrais finnois » membres du parti Perussuomalaiset. Il y a des Québécois et des Québécoises qui expriment leurs choix politiques en votant et en débattant. La nation politique québécoise existe. Mais elle n’arrive pas à se définir comme telle dans le système électoral actuel, ce que deux commentateurs ont signalé. Dans un système proportionnel, elle serait mieux à même de le faire.
    11. Dernier point, ma proposition a pour but d’identifier un moyen pour rendre le pouvoir plus près du peuple en transformant les parlementaires en mandataires, le temps d’adopter un autre système. Il reste à le concevoir, ce qui implique fondamentalement de débattre de cette question, d’en délibérer et d’inciter les partis politiques à s’y investir. Pourquoi ? Parce qu’il y aura toujours un déficit démocratique avec un gouvernement qui exécute et légifère sur la base d’un support électoral de 35 %, voire inférieur à 50 %.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 août 2012

    Cher Claude,
    [1] Avec respect, il me semble que comme, universitaire et anthropologue, tu as une vision de la "démocratie" un peu "étroite".
    [2] Au départ, tu sembles prendre pour acquis que ce que tu appelles la "démocratie" ne peut pas pas être chose que l'élection, que le mode de scrutin soit à un ou 2 tours.
    [3] La "démocratie" signifie le pouvoir du peuple par le peuple. Peux-tu nous expliquer comment se traduit dans les faits le pouvoir du peuple de participer de manière concrète aux décisions qui le concerne, autrement que de choisir ses maîtres une fois à tous les 4-5 ans?
    [4] Ce que tu appelles "démocratie" n'est-il pas plutôt dans les faits un régime de gouvernement représentatif?
    [5] Voyons ce que disait à ce sujet l'abbé Sièyes, un des penseurs de la Révolution française, qui tenait à peu près le même discours que Madison en ce qui concerne le système politique américain décrit si merveilleusement bien par Alexis de Tocqueville dans "De la démocratie en Amérique" :
    -"Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants." (Discours du 7 septembre 1789)
    [6] Une fois que l'on a fait une distinction entre le gouvernement représentatif et la démocratie, on peut conclure raisonnablement que le mode de scrutin ne change pas la nature de l'élection, pas plus qu'une tonne de beurre ne change la nature du beurre.
    [7] On ne peut pas être contre la vertu, mais ne trouves-tu pas, cher Claude, que le temps est venu de chercher de nouveaux moyens par lequel le peuple pourra participer directement aux décisions qui le concernent au lieu d'être limité à un simple rôle d'électeur avec tous les abus, la corruption et le vaudeville que cela entraîne?
    [8] La démocratie, la vraie, ne s'exprimerait-elle pas mieux par les nouveaux outils de la démocratie participative, le tirage au sort avec des mandats courts et non renouvelables et les référendums d'initiative populaire décisionnels?
    [9] Quand on aura le courage de sortir du carcan du gouvernement représentatif, qui nous a été imposé depuis plus ou moins 200 ans, on pourra aller parler fièrement de "démocratie". Pas avant.
    [10] Vouloir aménager autrement un régime qui infantilise le peuple, le rend impuissant et cynique est peut-être un progrès dans ton esprit, mais pas dans le mien.
    [11] Comme citoyen, j'exige beaucoup plus que ce cirque abrutissant et ce spectacle navrant qu'on nous impose.
    [12] Les supposés "représentants" du peuple ne sont pas autre chose que des voleurs de pouvoirs, au même titre que les juges nommés par ces professionnels de la politique, les propriétaires des médias de masse et les banquiers-financiers. Ils font partie de cette nouvelle aristocratie, ce 1% qui contrôle le monde.
    [13] Le gouvernement représentatif, depuis le tout début de son existence, n'a jamais été une véritable démocratie, mais la plupart du temps une oligarchie et aujourd'hui et de plus en plus une ploutocratie.
    [14] À ce sujet, la lecture du livre de Bernard Manin : "Principes du gouvernement représentatif" Voir ici : http://www.amazon.fr/Principes-gouvernement-representatif-Manin-Bernard/dp/2080813498 est particulièrement éclairant.
    Avec respect et amitiés. Indépendance et démocratie véritable.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat à la retraite

  • Archives de Vigile Répondre

    31 août 2012

    L'important dans des élections, c'est de préserver les structures de l'économie de marché capitaliste ainsi que toute la misère que ces structures entraînent mais qui est nécessaire au réservoir de "cheap labor" que le système tient absolument à entretenir.
    Avec les résultats électoraux que vous entrevoyez, ces structures-là seront perpétuées à la grande joie de cette minorité qui en profite pour augmenter leur fortune et leur pouvoir.

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    31 août 2012

    Démocratie libérale bipartite face à l’anarchie électoraliste*

    Ils ne peuvent pas reconstruire la démocratie, car ils ne savent pas comment elle a été construite.
    Dans ce Québec de rivalités ethno-politiques et d’idéologies anachroniques, l’anarchie électoraliste antinationale est le grand problème. En effet, celle-ci est véhiculée par le phénomène du multiculturalisme et ses complices socialo-marxistes, ainsi que par la culture de la corruption institutionnalisée, qu’une partie importante de la population accepte comme mécanisme socioéconomique contre la majorité des Canadiens français. Une majorité prise en otage dans cette spirale de destruction nationale où la démocratie libérale se trouve dans l’impossibilité d’exercer son potentiel démocratique inhérent à sa raison d´être, tel que prouvé tout au long de son parcours historique.
    En définitive, si la majorité des Canadiens français ne sort pas de cette spirale d’anarchie électoraliste et de darwinisme sociopolitique allant contre leurs intérêts nationaux, le Québec se convertira définitivement en un « monipodio » contrôlé par les communautés ethno-politiques les mieux organisées qui se donneront comme objectif la spoliation du patrimoine politico-économique. Comme implacablement il s’est avéré dans l’histoire des peuples confrontés à leur destruction nationale.
    JLPM
    ______________________
    *. L’on peut constater cette anarchie électoraliste en consultant Sondage: le PQ minoritaire, chaude lutte pour l'opposition
    http://www.lapresse.ca/actualites/elections-quebec-2012/201208/30/01-4569848-sondage-le-pq-minoritaire-chaude-lutte-pour-lopposition.php

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    31 août 2012

    Vous faites primer l'idéal démocratique sur l'intérêt nationale qui commende de sortir les affairistes fédéralistes du pouvoir. Un enjeu existentiel dans le contexte actuel.
    La proportionnelle donnerait actuellement le pouvoir justement à ces affairistes fédéraliste, une fatalité pour la nation au moment où on arrive à une phase critique de la mondialisation : la déstructuration de l'État nationale qui mène à la dissolution de la nation.
    JCPomerleau

  • Alain Maronani Répondre

    30 août 2012

    Ce dont je suis sûr c'est que nous n'aurons pas un gouvernement majoritaire PQ ou PLQ mais je suis moins sûr que nous n'aurons pas un gouvernement majoritaire....CAQ. Dans le 450, qui va probablement décider l'élection, le PQ et la CAQ sont nez à nez et ceci me rappele une certaine vague Orange...une partie de la population veut de l'air qui lui semble plus frais, c'est le plus grand danger pour les partis qui se sont partagés le pouvoir sans discontinuer depuis 1976...Le PQ perd des votes à droite (CAQ) et à gauche (QS) sans compter ON qui semble pouvoir obtenir plus ou moins 2 %, et ne semble pas ramasser le vote de ceux qi quittent le radeau libéral...un navire amiral, le PQ, qui n'a vu aucune progression en sa faveur, dans les sondages depuis le début de la campagne, ce n'est pas rassurant, j'ai l'impression que les instituts de sondage vont manger leur chapeau le 4 Septembre au soir...
    Il est préférable de soutenir QS si nous voulons les quelques changements démocratiques qui sont nécessaires (élections à date fixe, proportionelle, etc.), et peser sur l'absence de choix réellement sociaux de la part des autres partis