Refonder la démocratie au Québec

Chronique de Claude Bariteau


Si l’on en croit les derniers sondages, des élections au Québec déboucheraient sur un gouvernement minoritaire. Déjà, des partis soupèsent des modalités d’association avant (PQ, QS et ON) ou après (PLQ et CAQ) les élections, alors que des milliers de signataires estiment urgente la mise sur pied d’un front uni pour chasser le PLQ du pouvoir.
Bizarrement, on ne remet pas en question le fait qu’un parti ou une alliance entre partis détenant une majorité d’élus puisse adopter des lois sans avoir le soutien majoritaire des électeurs et des électrices. Il s’agit pourtant de la principale distorsion du système politique dans lequel nous nous exprimons au Québec. En effet, rien n’empêche un parti ou des partis de se placer au-dessus du peuple.
À cause de cette distorsion, au Québec, les débats sur les enjeux politiques sont pervertis. Aussi nous apparaît-il opportun que l’éveil actuel québécois soit canalisé pour inciter les partis politiques à s’engager à refonder la démocratie pratiquée au Québec. Pourquoi ? Parce que le peuple québécois n’a jamais choisi ce système.
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Après 1763, les habitants du Québec furent invités à s’exprimer politiquement selon des règles édictées en Grande-Bretagne. En 1791, une Assemblée législative fut instituée sur laquelle deux Conseils (législatif et exécutif) et le gouverneur détenaient un droit de veto. Les députés de l’Assemblée législative du Bas-Canada revendiquèrent la responsabilité ministérielle. Elle leur fut refusée.
S’ensuivirent les affrontements de 1837-1838 et la création d’un gouvernement d’Union qui mina le pouvoir des élus du Bas-Canada. En 1848, ce gouvernement obtint la responsabilité ministérielle pour les affaires internes. À la fin du Traité de réciprocité (1854-1864), des élus de l’Union conçurent le projet de Dominion du Canada.
Les habitants du Bas-Canada furent alors intégrés à ce Dominion. Minorisés, les Bas-Canadiens se firent octroyer une entité provinciale pour la gestion des affaires locales.
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De ces origines, il ressort que le système politique s’incarne dans des entités sur lesquelles le peuple du Québec ne s’est jamais prononcé, ce qui fut aussi le cas en 1982.
S’agissant du système politique, il fut revu au Québec avec l’élargissement de l’électorat, l’abolition des comtés protégés, la suppression du Conseil législatif, la création de commissions, la révision de la carte électorale, l’adoption de règles pour le financement des partis politiques et la limitation des dépenses électorales ou référendaires.
En revanche, l’institution d’un système différent, occasionnellement envisagée, a achoppé, les partis y étant peu enclins, ce qui est compréhensible. Un tel changement se produit habituellement lorsqu’il y a une impasse politique ou des pressions majeures venant de l’électorat. Ce qui pourrait s’avérer cette fois encore, si l’éveil québécois met l’accent sur ce point.
Nous en sommes là. Le peuple québécois n’a pas autorité sur sa propre gouverne et s’agite dans un système politique qui octroie un pouvoir démesuré au parti qui fait élire une majorité de députés et à son chef. Ce sont deux points négatifs que seule une correction de la principale distorsion peut neutraliser.
Si on exclut un soulèvement populaire, cette correction peut être faite par des partis qui s’engagent à prendre dorénavant en compte le soutien de l’électorat pour adopter des lois. Il suffit de considérer l’appui obtenu par les partis, y compris les partis sans députés, et de soustraire celui obtenu par les partis et les députés qui s’opposent à un projet de loi.
Avec une telle règle, il y aura une meilleure emprise du peuple sur les décisions des parlementaires sans contraindre indûment ces derniers. Mieux, cette règle amènera les chefs et les partis à se définir en délégués du peuple plutôt qu’au service d’un ordre politique qui fut imposé. De surcroît, elle incitera à chercher les meilleures solutions aux problèmes rencontrés et conduira à refonder la démocratie représentative.
A priori, cette règle peut paraître contraignante, les députés préférant se ménager une marge de manoeuvre dans les dossiers qu’ils traitent en qualité de parlementaires. Aussi doit-elle plutôt être considérée comme un passage obligé, car c’en est un, pour changer le système actuel au profit d’un autre.
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Malgré cette réserve, il est peu probable que tous les partis politiques au Québec s’engagent ainsi. En revanche, si certains le font, ils forceront les autres à prendre position sur cette question incontournable. Du coup, il en découlera un débat entre les défenseurs de l’actuel système et les promoteurs d’une emprise accrue du peuple sur les décisions politiques qui le concernent.
Les élections qui s’annoncent nous apparaissent comme l’occasion propice au traitement d’un enjeu beaucoup plus important que la loi, l’ordre ou l’intégrité, puisqu’il s’agit du pouvoir qui revient au peuple québécois pour se définir en tant que peuple et décider de son avenir.
Avec cette règle, il est possible que le PLQ et la CAQ obtiennent plus de 50 % de soutien aux prochaines élections. Personnellement, nous en doutons. Si l’enjeu principal devient le pouvoir du peuple et une refonte du système politique pour assurer une représentation adéquate des partis présents sur la scène québécoise, tenir des élections à date fixe et financer publiquement les partis, les clivages actuels seront redéfinis.
Chose certaine, avec cette règle, le conflit actuel n’existerait probablement pas. Idem pour la loi 78. Idem pour les écoles-passerelles et une pléthore d’aberrations découlant d’une mainmise du Canada et de sa Cour suprême sur le Québec, mainmise que facilite une distorsion qui sert actuellement les dirigeants du PLQ.
Il y a plus. Si cette règle est complétée par une refonte du système politique, le peuple québécois pourra procéder comme les pays baltes pour définir son avenir, soit par un vote des parlementaires ayant un soutien majoritaire lors d’une élection décisionnelle. En quelque sorte, un peuple qui définit les contours de sa vie politique définit de facto sa souveraineté et s’affirme en conséquence.

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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