Pendant des années, libéraux et péquistes ont rivalisé de tartufferie à propos des droits de scolarité. «Cachez-moi cette hausse... »
Ils savaient tous que le gel décrété en 1994 était un non-sens dans le contexte nord-américain, mais personne ne voulait payer le prix politique d'une augmentation qui était non seulement indispensable au maintien de la qualité de l'enseignement dispensé dans les universités québécoises mais également une question d'équité.
Parfois, au hasard d'une entrevue, quelqu'un se risquait à murmurer qu'il faudrait peut-être commencer à réfléchir à la possibilité de... Il était aussitôt cloué au pilori par les associations étudiantes, ses adversaires politiques et son propre parti.
En politique, avoir raison au mauvais moment revient à avoir tort, et les bons moments pour annoncer une hausse de tarif ou d'impôt sont très rares. Il y a seulement des moments pires que d'autres. Par exemple lorsqu'un gouvernement est minoritaire.
On reproche bien des choses à l'ADQ, mais il faut lui reconnaître le courage d'avoir été la première à s'engager à dégeler, puis à indexer les droits de scolarité. Encore aujourd'hui, Pauline Marois doit multiplier les circonlocutions pour éviter de provoquer les militants péquistes.
La présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, aurait toutefois été bien malvenue de jouer les saintes nitouches dans ses commentaires sur les hausses de tarif proposées par la commission présidée par l'économiste Claude Montmarquette. Ce n'est pas dans son caractère et, de toute manière, personne ne l'aurait crue.
Mme Jérôme-Forget ne s'en est pas cachée: elle trouve que les tarifs d'électricité sont trop bas au Québec. Malheureusement, a-t-elle ajouté, son influence est limitée au sein du gouvernement. Il n'y aura donc pas de hausse. On ne peut lui reprocher ni sa franchise ni son humour.
La réplique de son vis-à-vis péquiste, François Legault, a été tout sauf mordante. Et pour cause. M. Legault est tout aussi convaincu de la nécessité d'augmenter substantiellement les tarifs d'électricité tout en sachant très bien que Pauline Marois refusera de l'envisager pour les mêmes raisons électorales que le premier ministre Jean Charest.
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L'ancien ministre péquiste Joseph Facal était particulièrement bien placé pour savoir à quoi s'en tenir quand Mme Jérôme-Forget l'a invité à faire partie de la commission sur la tarification présidée par M. Montmarquette.
À l'époque où M. Facal était lui-même président du Conseil du trésor, Bernard Landry lui avait adressé de vives félicitations pour son rapport sur les fonctions de l'État avant de l'expédier sur les tablettes, où il est maintenant couvert d'une épaisse couche de poussière.
Les réactions de la société civile au rapport Montmarquette étaient également réglées comme du papier à musique. Dans le coin gauche: la CSN, les fédérations étudiantes et Québec solidaire, unis dans une indignation commune. Dans le coin droit: le patronat. Tout ce beau monde viendra répéter son couplet en commission parlementaire.
Il est vrai qu'il existe au Québec une «culture de la gratuité» qui conduit inévitablement à l'inefficacité et au gaspillage. Certes, il est loisible pour une société de faire des choix qui constituent une entorse au principe de l'utilisateur-payeur, mais cela ne signifie pas le moindre coût pour tous tout le temps.
Si la progressivité de l'impôt est une mesure d'équité, pourquoi la tarification doit-elle obligatoirement être uniforme? Que ce soit dans un CPE ou à l'université, il est clair que le Québec offre une aubaine incomparable aux plus fortunés. Ailleurs, il est également très fréquent que des universités modulent les droits selon les facultés.
Les mythes ont la vie dure. Depuis la nationalisation de l'électricité, les Québécois sont convaincus que Dieu lui-même a voulu qu'ils bénéficient des tarifs les plus bas sur la planète. M. Facal a cru bon de citer Claude Ryan, dont la maxime favorite à l'époque où il dirigeait le PLQ était celle-ci: «Petit à petit, le ruisseau perce le rocher.» M. Ryan a cependant appris à ses dépens que la géologie et la politique n'ont pas la même notion du temps.
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Il y a dix ans, Lucien Bouchard avait réussi à embrigader tout le Québec dans une croisade pour le déficit zéro, mais cela s'est fait au prix de l'éclatement de la coalition qui avait presque permis au OUI de l'emporter au 1995. Quand M. Bouchard est parti, en janvier 2001, nombreux sont ceux qui ont crié au bon débarras.
On peut penser ce qu'on veut de l'ancien premier ministre, mais aucun leader politique ne bénéficie actuellement de l'ascendant qui lui permettrait de convaincre la population de la nécessaire mise à jour d'une politique de tarification devenue anachronique.
Bien entendu, en commandant une étude à un groupe de «lucides», Monique Jérôme-Forget se doutait bien ce qu'il recommanderait, tout comme elle connaissait les conclusions du comité Castonguay sur le financement des services de santé avant même qu'il ne soit formé. Dans un cas comme dans l'autre, elle savait aussi que son gouvernement écarterait du revers de la main les orientations proposées.
Même s'il faudra du temps pour que ces idées pénètrent les esprits, tout n'est pas perdu pour le gouvernement Charest, bien au contraire. C'est même à se demander dans quelle mesure ces rapports n'ont pas été commandés précisément dans le but de permettre au gouvernement d'en rejeter les recommandations.
On a dit que le comité Montmarquette avait été créé sous la pression de l'ADQ, qui avait voté contre le premier budget de Mme Jérôme-Forget, au printemps 2007, sous prétexte qu'il ne contenait pas de politique de tarification. En réalité, rien n'aurait pu convaincre Mario Dumont d'appuyer le budget.
C'est un vieux truc de faire craindre le pire à la population, qui pousse ensuite un soupir de soulagement quand ça n'arrive pas. On a appelé cela la stratégie du grand ouf. Après avoir été accusé d'être le fossoyeur de la Révolution tranquille, le gouvernement Charest s'est métamorphosé en sauveur de la social-démocratie québécoise. Il faut le faire!
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mdavid@ledevoir.com
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