Le dialogue Flandre/Wallonie qui déclasse la Belgique

Chronique de José Fontaine

Dans Un autre Pays, l’historien wallon Philippe Destatte et l’historien flamand Marnix Beyen (Le Cri, Bruxelles, novembre 2009), pénètrent rationnellement la complexité belge. En en démêlant tous les nœuds, ils montrent d’où elle émane : exigences de la Flandre, de la Wallonie, de la petite Communauté germanophone, des Bruxellois, des partisans d’une Communauté française que bien des Wallons n’aiment pas. Nostalgiques d’une Belgique unitaire…
Quatre cents pages d’analyse, un travail titanesque. Marnix Beyen est un Flamand plutôt peu nationaliste et Philippe Destatte un Wallon très régionaliste. Ils s’en expliquent: « Philippe Destatte, en tant que directeur général de l’Institut Destrée, s’est inscrit, parallèlement à son métier d’historien, dans l’exploration, sinon la construction, d’une société et d’une identité wallonnes » ( Un autre Pays, p. 13), tandis que Marnix Beyen « s’est plutôt positionné comme un critique des tendances nationalistes au sein de la société flamande » ( Un autre Pays, p.14.). Amener deux personnes opposées comme cela à se parler, cela aurait pu être le truc belgicain par excellence (on verra que non). Car la Belgique supprime les repères en jouant de la cacophonie des contraires pour continuer à exister (et nomme cela, bêtement, « surréalisme »). En imaginant que plus personne ne comprendra rien à rien (ce qui est la définition la plus pointue de… la violence). Récemment, la RTBF, racontait l’initiative d’une chaîne française sur la question : « Existe-t-il encore une culture belge ? » Et la conclusion, c’était finalement la réponse d’un « Belge » qui s’exclamait qu’il se « foutait » de la question, avec une journaliste se ruant sur sa réponse comme la pauvreté sur le monde : « C’est peut-être cela la Belgique ! »
Or, il me semble que, raisonner comme cela (« On s’en fout… »), comme raisonner à partir des positions rigides de ceux que les auteurs appellent les « radicaux francophones bruxellois », ou des positions rigides de ceux qu’ils appellent les « nationalistes flamands radicaux », c’est chaque fois mener la politique du pire. En revanche, dans une discussion sur des sujets très difficiles, qui vous opposent radicalement à votre partenaire, trouver quand même avec lui un langage vraiment commun pour les décrire, c’est totalement inédit. Or nos deux auteurs y parviennent (1), et certainement pas en disant qu’il n’y aurait « qu’à » s’entendre. Mais ils ne proposent pas non plus de continuer à s’étriper.
J’ai mis un jour en en cause Jean-Marc Ferry sur la Belgique, dans VIGILE. Je lui reprochais, de ne pas tirer les conclusions qui s’imposent à partir de sa propre philosophie de la réconciliation. Or, 11 ans plus tôt, un jeune homme intelligent comme Luc Vandendorpe lui avait déjà dit que « l’on a le sentiment que le processus de reconnaissance reconstructif, tel que l'imagine J-M Ferry, pourrait d'une certaine manière mettre en cause l'Etat belge, dans la mesure où il tend à mettre en rapport les deux interlocuteurs, mais aussi à les identifier ». (2) Or c’est bien ce qu’ont fait Beyen et Destatte. Si on les lit attentivement ( l’incident Vandendorpe/Ferry du 18 juin 1996 est éclairant), la Belgique risque gros, car la condition claire pour que Wallons, Flamands et Bruxellois renouent avec plus de démocratie et construisent des relations pacifiées, c’est que la Belgique cesse d’exister ou, au minimum, diminue fortement. Et l’histoire, c’est l’instrument par excellence de la reconstruction (de la réconciliation), si elle est racontée par deux interlocuteurs qui s’écoutent. Ce que Beyen et Destatte, ont réussi à faire créant ainsi, je crois, un précédent.
(1) La seule victime collatérale, c’est la langue française (de Beyen), mal traduite et mal écrite, car les éditeurs belges n’ont pas de quoi payer de bons traducteurs, alors que c’est évidemment un métier à part (si difficile !), et la seule façon d’honorer une démarche comme celle-là.
(2) Un autre Pays (conclusions), voir note 6

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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