Nation et dialogue des convictions et des cultures

Chronique de José Fontaine

C’est un Congrès national qui rédigea la Constitution belge de 1830 quelques semaines après la révolution démocratique (mais bourgeoise, récupérant le mécontentement populaire), qui détacha la Belgique d'une Hollande alors autoritaire.
Une Constitution qui ignore Dieu
Il était massivement composé de bourgeois démocrates : libéraux partisans de la laïcité et catholiques épris de liberté, bien décidés à fonder un Etat libéral et démocrate. La Constitution belge ignora le mot « Dieu ». Alors que la Belgique de 1830 était massivement catholique. Mais l’Etat belge de 1830 était dans les faits avantageux pour l'Eglise catholique, les prêtres recevant un traitement de l’Etat. Cependant cet avantage s’étendit à d’autres cultes : le culte anglican dès le départ, puis les juifs, d’autres protestants, les conseillers laïques, les musulmans etc. Tous les lieux de cultes reconnus et tous les ministres des cultes reconnus sont donc financés par l‘Etat (y compris la laïcité organisée). Il existe chez nous deux types d’enseignements. L’un est organisé par les pouvoirs publics (la Communauté Wallonie-Bruxelles, les provinces – = plus ou moins les les départements français – les communes (les municipalités)), où les élèves ont le choix de suivre les cours de religion catholique, d’autres religions ou bien de morale laïque. L'autre enseignement est organisé par des organismes privés, massivement l’Eglise catholique avec aussi un petit nombre d’écoles confessionnelles juives et des écoles non confessionnelles. Que ce soit en Flandre ou en Wallonie, la majorité des enfants et des jeunes du primaire et du secondaire sont inscrits dans les écoles libres catholiques qui, dans les faits, ne le sont plus guère et dont le personnel est devenu laïc à pratiquement 100%.
Politiquement, les soixante premières années de la Belgique indépendante ont vu s’opposer un parti libéral de tendance laïque et un parti catholique, attaché à la défense de positions catholiques dans le pays, en matière d’enseignement surtout (mais aussi attaché à l’Etat libéral et démocratique que les catholiques avaient fondé avec les libéraux). En Wallonie les partis laïques ont toujours eu la majorité et très longtemps le parti catholique en Flandre (un parti catholique et conservateur avec cependant des dissidences plus à gauche comme en Wallonie également). La différence de sensibilité politique ou philosophique en Flandre et en Wallonie, le poids démographique flamand, ont eu comme conséquence que la vie politique intérieure belge a été longtemps dominée par les catholiques et donc aussi par la Flandre où ils ont été longtemps majoritaires – majorité absolue jusque dans les années 1960, majorité relative depuis. Les Wallons ont voulu le fédéralisme pour échapper à leur minorisation aggravée par l’influence très forte des catholiques en Flandre. Le mouvement wallon a toujours été à prédominance laïque (laïcité plus ou moins militante), mais a toujours compté aussi des catholiques wallons engagés, parfois en opposition très dure avec des coreligionnaires plus conservateurs et/ou moins ardemment wallons. Car (preuve belge et wallonne...), c'est dans la volonté de créer la nation, la communauté des citoyens que s'éprouve l'ouverture des convictions les unes sur les autres.
Etty Hillesum, mystique juive, chrétienne, universelle
La question de la place des Eglises et d’autres communautés de conviction dans la société ou de la place des traditions religieuses dans celle-ci se pose autrement que jadis. Et cela se matérialise (ou se symbolise), autour du port du voile par certaines musulmanes, écolières, étudiantes ou même enseignantes. A Bruxelles mais pas seulement. Pour ce qui est de la Wallonie et de Bruxelles, il me semble que l’on peut dire que les partis les plus classiquement laïques et à gauche (socialistes, écologistes), ou au centre-gauche (le CDH, pourtant héritier de l’ancien Parti Social-Chrétien), sont les plus ouverts sur la place de l’Islam. L’ouverture existe aussi chez les libéraux. Des amis laïques plus radicaux voudraient voir l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires (à l'école publique et pour tout qui représente l'Etat), de même que des réformes dans le vieux compromis entre libéraux et catholiques, notamment en matière d’enseignement. Mais il faut noter que ce compromis a été actualisé en 1958 revu ensuite et l’essentiel en est inséré dans la Constitution. D'autres personnes intolérantes dissimulent parfois derrière la "laïcité" leur intolérance à l'égard d'immigrants maghrébins.
Toutes nos positions sur ces questions sont influencées par nos appartenances convictionnelles (athée, catholique, musulman, agnostique, protestant etc.), mais aussi par la société où nous vivons. Habermas pense que la religion (les fanatismes religieux), l’irréligion (les mises en cause scientistes du libre-arbitre par exemple), représentent des dangers similaires voire équivalents pour la démocratie et la liberté qui ne se peuvent sans laïcité politique. Il me semble aussi que, au-delà des cultes, les différentes traditions convictionnelles (qu’elles soient ou non religieuses), ont leur place dans le débat public qui doit être même encouragé autour de celles-ci. Aucune de ces traditions ne mérite d’être considérée comme « dépassée » et, en particulier, les traditions religieuses. Si j’insiste sur celles-ci, c’est en raison de ce commentaire qui m’a étonné, lu sur un Forum de discussion sur Etty Hillesum dont on disait qu’elle avait un rapport « laïque » avec Dieu. Car je ne vois pas en quoi un rapport avec Dieu pourrait être autre chose que « laïque » même si l’expression peut étonner et apparaître inadéquate. A mon sens, elle ne l’est pas puisque laïcité = liberté… Et Etty Hillesum, personnalité profondément religieuse et, à la fois, femme libérée et mystique, à la fois juive et chrétienne, mais sans rites ni dogmes, morte à Auschwitz le 30 novembre 1943, nous donne les leçons qu’il faut sur l’exigence spirituelle, la tolérance et la fraternité. (1)
(1) On peut lire aussi cet autre résumé de l'expérience unique d'Etty Hillesum

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • José Fontaine Répondre

    30 décembre 2009

    Je découvre cette "carte blanche" tout à fait intéressante de Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP à Bruxelles datant du 29 septembre:
    http://archives.lesoir.be/variations-les-soi-disant-modeles_t-20090929-00Q48M.html
    ainsi que l'avis publié hier (ici résumé), de Bernard Wesphael, un député wallon qui l'est vraiment (c'est-à-dire à la fois vrai Wallon et vrai Député, les deux s'entendant au sens éthique, d'ailleurs il n'y a pas d'autre sens valable à donner à ces expressions):
    http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2009-12-29/bernard-wesphael-contre-le-voile-746029.shtml
    [Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout, mais V d C. est certainement toujours intelligent, même s'il devrait pas employer ce concept de Belgique francophone...]