Pathétique chauvinisme belge

Chronique de José Fontaine


Le lundi 14 décembre, La Libre Belgique, le jour même de l’élection possible de l’ancien ministre belge des affaires étrangères, Louis Michel, comme président de l’Assemblée générale de l’ONU en 2010, publie en première page la photo du candidat portant un globe terrestre. Dans les pages intérieures (pages 5 et 6), Francis Van de Woestyne n’hésite pas à écrire que Louis Michel allait peut-être se trouver « à la tête du monde » (sic). Il affime que la fierté d’être belge est le fait d’appartenir à « un pays ouvert, multiculturel, qui pratique l’humour et la dérision sans limites » (éditorial en page 56). Est-ce vraiment d’un sens de la dérision sans limites qu’il s’agit ? N’est-ce pas plutôt d’un « chauvinisme sans limites » qu’il faut parler ?
Le jour même, dans l’autre grand journal francophone belge, Le Soir, Pascal Martin écrivait d’Herman Van Rompuy (l’avant-dernier Premier ministre belge, récemment désigné Président du Conseil européen), était « le dernier né d’une longue tradition d’hommes d’Etat qui, bien qu’immergés dans le marigot belge, ont su se projeter au-delà des frontières, à voir leurs talents reconnus et à contribuer à l’agencement planétaire. » Et ajoutait que sa conférence Du personnalisme à l’action politique, prononcée le 7 décembre précédent campait « un politique humaniste ». Herman Van Rompuy l’avait prononcée dans le cadre prestigieux des Grandes conférences catholiques, organisation qui ose publier sur son site que cette conférence « a fait découvrir un homme d’une rare profondeur, d’une sincérité évidente et d’une culture impressionnante. » La Libre Belgique en publiait des extraits sur deux pleines pages, en reprenant à son compte les commentaires élogieux des « grandes conférences ». Or cette conférence s’exprime sur le personnalisme, doctrine assurément vieillie et qui n'est guère ici que répétée dans ses poncifs. De plus Herman Van Rompuy y enfile les lieux communs et les banalités. Sa langue maternelle est le néerlandais, pas le français, mais il aurait pu se faire relire pour cet exercice (une conférence), qui demande une grande maîtrise du langage. On vérifiera que le Président du Conseil européen, malgré toutes ses qualités (que je ne nie pas), n’y valorisera certainement pas notre langue. Et ce n’est pas seulement une question de maîtrise du français : cette pensée est pauvre, banale, peu critique, pas généreuse (l’Europe qui choisit Van Rompuy est l’Europe la plus néolibérale qu’on puisse imaginer). Van Rompuy vaut mieux que cela. Il fallait que je le dise puisque personne ne le dit ("Sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur").
Il ne faut pas nier que les Flamands ont pu être humiliés par les Francophones de Flandre autrefois et c’est une chose que j’ai constamment à l’esprit quand je dois m’exprimer comme je vais le faire. Il faut quand même en effet que je dise que les grands Belges que l’on vante tant , au moins les Flamands, meurtrissent la langue de leurs compatriotes wallons. Sans doute sans intention méchante. Mais on devrait le leur dire et on ne le leur dit pas. La « fierté nationale » qu’ils inspirent (ils participent à l’ « agencement planétaire » voire à la « maîtrise » du monde !), aveuglent beaucoup de mes compatriotes francophones.
Le Wallon Louis Michel, lui, n’a quand même pas été élu. Cela rend l’éloge qu’on en a fait d’autant plus pathétique que les Belges francophones sont les derniers à manifester un tel attachement à un pays qui se délite de jour en jour. Et où les Wallons, en tout cas, ont été constamment minorisés et dominés.
Comment faut-il alors aimer son pays ? J’aurais en tout cas peur, si l’évolution de la Belgique continue à suivre son cours, que l’on ne substitue un jour à ce pathétique et suffisant chauvinisme belge francophone un chauvinisme wallon du même acabit. Si cela devait se produire, alors la Wallonie ne mériterait pas plus d’exister qu’une Belgique francophone qui se croit obligée de se faire aussi grosse que la grenouille de la fable, prouvant ainsi son insignifiance du point de vue de l’esprit et du cœur. « Être homme c’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée » disait Saint-Exupéry. Et je suis fier des victoires de tous les camarades humains, y compris les Flamands et quand ce sont des Wallons (ou des Québécois, des Français…), j’ai une joie de plus. Mais pas quand on fait de ces camarades des grenouilles enflées, sous prétexte qu’ils habitent le même pays que soi. Si l'on ajoute, comme souvent, qu’ils valent mieux que leur pays, là l'abjection me fait vomir... Et elle est récurrente. Ce pays a eu des rois supposés faire la grandeur d'un petit pays qui sans cela n'aurait rien valu. Il est dangereux de s'exprimer ainsi.
Car si « deux êtres qui s’aiment valent tout un peuple », un peuple vaut le monde entier. Oui le monde entier. Mais il y a une manière de le dire. Et c’est du peuple qu’il faut parler. De ce qu'il est et fait vraiment. Comme il n'y a pas de peuple belge, on est bien obligé d'en parler en fonction des plus absurdes de ses légendes (le «sens de la dérision» en est est la plus marrante), mais surtout de ses enflures batraciennes.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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