L'ombre de Nortel

Lacroix vs Madoff

Qui a dit que le crime ne payait pas?

Chronique de Louis Lapointe

Au cours des derniers jours, de nombreux analystes financiers et judiciaires ont comparé les condamnations infligées aux fraudeurs financiers américains à celles imposées à leurs vis-à-vis canadiens. Bernard Madoff a reçu une sentence de 150 ans de prison pour une fraude de 50 milliards $, alors que Vincent Lacroix a déjà terminé de purger sa peine pour une fraude estimée à quelques 125 millions $.
125 millions $, c’est le montant d’argent avec lequel est parti l’ancien président de Nortel, John Roth, après avoir réalisé ses options quelques mois avant la déconfiture anticipée de Nortel.
Les enquêteurs responsables du dossier ont sommairement et rapidement confirmé qu’il s’agissait d’une transaction parfaitement légale parce qu’elle était à la limite des délais autorisés par loi. Pourtant, la jurisprudence canadienne autorise dans certains cas le soulèvement du voile corporatif afin d’appréhender les éventuels tricheurs, et ce, même si les délais légaux ont été respectés, à la condition toutefois que la fraude soit prouvée. Une preuve qui nécessite forcément une enquête policière un peu plus poussée. Une telle enquête a-t-elle eu lieu dans le cas de Nortel? J’en doute.
Les actionnaires de Nortel ont perdu plus de 400 milliards $. Dix fois plus que les récentes pertes de la Caisse de dépôt et de placement du Québec.
Je ne connais aucune des victimes de Vincent Lacroix, mais je croise tous les jours des gens qui ont subi les contrecoups de la baisse de 30% du TSE-300 à la suite de la dérive financière de Nortel en 2000. Je connais personnellement plusieurs épargnants qui ont perdu des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars à l'occasion de l’échec financier de Nortel. Sommes d’argent qu’ils n’ont jamais récupérées. Les 125 millions $ de Norbourg sont des peanuts à comparer aux 400 milliards $ de Nortel. Pourtant, tout le monde connaît Vincent Lacroix. Mais qui se souvient de John Roth ?
Comment ne pas conclure qu’aucune enquête crédible n’a été effectuée au sujet de cette déconfiture qui a appauvri plusieurs Canadiens de la classe moyenne qui croyaient que Nortel était un placement sûr parce que leurs courtiers les en avaient convaincus?
En fait, plusieurs institutions financières, fonds de placements, analystes financiers ont ajouté leurs voix à celle des dirigeants de Nortel, prétendant à cette époque que l’argent investi dans ce géant des télécoms constituait un bon placement. Même nos fonds de pension s’y sont risqués, tenant pour avéré tout ce qu’on disait au sujet de la qualité de l’administration financière de cet équipementier que l'on considérait alors comme un fleuron de l’industrie canadienne. Combien de courtiers et analystes dignes de ce nom se sont vraiment donné la peine de vérifier les données comptables et financières de Nortel ?
Comment ne pas conclure que de nombreux acteurs de ce cataclysme financier avaient intérêt à ce qu’on en sache le moins possible parce que cela risquait de les faire mal paraître ou de révéler leur véritable rôle dans l’affaire, engageant alors leur responsabilité? Bizarrement, nos politiciens se sont également bien gardés de poser trop de questions compromettantes à ce sujet.
Le même genre de mascarade à laquelle tous les Québécois ont récemment assisté concernant les pertes de 40 milliards $ de la CDPQ et le présumé scandale des FIER, et qui nous suggère que bien souvent nos politiciens préfèrent dissimuler la vérité plutôt que de la révéler au grand jour, les questions les plus pertinentes étant rarement posées. L’intérêt du parti prime. Deux situations qui sans aucun doute nécessiteraient plus que de simples enquêtes sommaires. Comme cela aurait certainement du être le cas pour Nortel, ne serait-ce qu’en raison de ces nombreuses acquisitions d’entreprises, qualifiées de coquilles vides, réalisées au profit de vendeurs qui dans certains cas agissaient comme prête-nom et qui ont impunément pompé l’argent des actionnaires de Nortel.
Qui étaient les vrais bénéficiaires de ces transactions douteuses ? Nous ne le saurons sans doute jamais parce que la GRC avait autre chose à faire que d’enquêter sur la plus grande dérive financière de l’histoire du Canada, dont l’ampleur a largement dépassé celle d'Enron aux États-Unis. Une fraude de 40 milliards $ qui a par contre occasionné une très vaste enquête policière chez nos voisins du sud et a valu des peines de 25 ans de prison à certains de ses dirigeants. Les comptables d'Enron ont rapidement été mis au banc des accusés alors qu’ici, au Canada, on s’est limité à parler de comptabilité créative dans le cas de Nortel. Une expression qui est malheureusement demeurée anecdotique.

S’il y a si peu de condamnation pour fraude financière au Canada, cela n’a rien à voir avec la sévérité des peines infligées. Cela découle plutôt du fait qu’ici on ne considère pas les crimes de col blanc comme de véritables infractions criminelles, probablement parce qu’ils impliquent de nombreux professionnels de riches et grands cabinets qui ont leurs entrées dans le merveilleux monde de la politique.
Gageons que la création d’une commission pancanadienne des valeurs mobilières n’y changera strictement rien, puisque ce n’est pas la réglementation des transactions financières qui est problématique, mais bien les lois criminelles et les moyens qui sont donnés aux corps policiers, comme la GRC et à la SQ, pour débusquer les professionnels du crime économique.
C’est surtout la compétence qui nous manque cruellement au Québec et au Canada, comme nous l’avons vu dernièrement avec les cafouillages de l’Autorité des marchés financiers et de la SQ dans l’affaire Norbourg qui ont mis près de deux ans avant de réagir après l'apparition des premiers indices de fraude. Se sont ajoutés à ces délais les 18 mois qu’a duré l’enquête, un délai totalisant plus de 3 ans. Une éternité dans le cas de fraude financière lorsque des épargnants sont floués.
Alors qu’aux États-Unis on confie la direction de semblables enquêtes aux experts du FBI spécialisés en droit, en comptabilité et en informatique, ici, au Québec et au Canada, on confie la direction de telles enquêtes à des membres de l'état major qui n'ont pas toujours toutes les compétences requises.

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juillet 2009

    Je suis tout-à-fait d'accord avec vous que les criminels à cravate ne sont pas considérés comme étant des criminels parce qu'ils font partie du gang de l'establisment qui protège ses membres. Pour avoir un apercu de la facon dont cela fonctionne, il suffit de regarder l'excellent documentaire de Pierre Falardeau: Le temps des bouffons: tous ces cravatés qui s'amusent ensemble (1er degré) exploitent le peuple qu'ils méprisent (second degré).

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juillet 2009

    Bonne analyse, Monsieur Lapointe.
    Et hier, on apprenait qu'on tente d'épingler un autre filou cravaté:
    http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/quebec/200907/10/01-883166-lamf-sevit-contre-un-systeme-de-vente-pyramidale.php
    L'homme est disparu dans la nature, et ses comptes vides:
    http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/quebec/200907/11/01-883340-earl-jones-qui-aurait-floue-des-investisseurs-na-toujours-pas-ete-retrace.php
    Il semble qu'on attende toujours que le mal soit fait avant d'agir.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2009

    Ha ha ha!
    Et après ça, les fédéralistes convaincus continueront de parler des horreurs de l'un de leurs boucs émissaires, soit la société américaine, et vanteront la supériorité morale du Rest of Canada!

  • Michel Guay Répondre

    10 juillet 2009

    Les médias et le système judiciaire présentent ces criminels à cravates comme des crimes sur papier sans attaques contre la personne , voilà ce qui est faux car les argents volés blessentà mort des épargants et leurs familles .