La Wallonie victime "zonder einde" de la Belgique

Chronique de José Fontaine

La semaine passée, une proposition de loi en faveur de l'amnistie a été prise en considération par une majorité de sénateurs flamands contre l'ensemble des sénateurs wallons et francophones (une prise en considération ne signifie pas que le contenu de la proposition soit approuvé). Mais - et il faut s'en réjouir - cette divergence de vues n'entraînera pas automatiquement un nouveau conflit. D'ailleurs quand, le dimanche suivant, le Ministre (flamand) de la Justice a déclaré que le temps était venu d'«oublier», il a immédiatement soulevé l'indignation de certains autres partis flamands et d'organisations juives internationales. On ne peut évidemment pas vivre éternellement avec la rancœur et la haine qui rejettent le pardon. Mais on ne peut pas vivre non plus dans l'oubli qui, dans les cas des plus graves crimes, comme celui de génocide, est une façon de répéter le crime lui-même qui a voulu d'emblée se perpétrer en se niant lui-même comme crime, en se maquillant comme une mesure contre la «vermine». C'est d'ailleurs étonnant, car de l'Allemagne nazie - l'Allemagne tombant au pouvoir d' Hitler était l'un des pays les plus avancés du monde à tous égards - au si pauvre et peu développé Rwanda, le vocabulaire d'emblée négationniste vise à ôter son statut d'être humain à ceux qu'il faut tuer «y compris leurs petits» comme le disait Brasillach. Et cela en utilisant quasiment le même mot : vermine.
Une thèse en Flandre: "Repressie zonder maat of einde"
Par le plus grand des hasards cette thèse sereine sur la répression des collaborateurs (Répression sans mesure et sans fin en français), patronnée par Bruno De Wever (le frère du leader nationaliste flamand Bart De Wever), vient d'être défendue à l'université de Gand. La Libre Belgique, a recueilli ce 19 mai leurs déclarations. Ils estiment que, dans certains domaines, c'est en Wallonie que la répression des collaborateurs a été la plus sévère avec 122 exécutions capitales, contre 14 à Bruxelles et 105 en Flandre (H.Hasquin, Historiographie et politique, Institut Destrée, Charleroi 1996), ou 56% des exécutions capitales réservées à des francophones comme le dit Koen Aerts, l'auteur de la thèse. Qui affirme aussi que, dans certains cas, le fait d'avoir collaboré en Flandre a pu être un instrument de promotion politique (pour siéger au parlement voire devenir ministre). Ce qui demeure discutable, même si tous les effets de la répression ont été effacés depuis un certain temps, c'est que certaines personnes n'ont été ni exécutées, ni emprisonnées, ni même seulement mises à l'amende, mais ont pu subir des déchéances de leurs droits pouvant aller jusqu'à la privation d'aides publiques pour construire (selon Koen Aerts). Ou que certains ont été des collaborateurs malgré eux: par exemple des instituteurs en règle de cotisation avec le VNV (parti flamand nationaliste traversé de courants fascistes mais aussi démocrates et qui existait avant la guerre et qui choisit, du moins ses dirigeants de collaborer avec l'Allemagne nazie en juin 1940).
Flandre et Wallonie ont collaboré mais pas de la même façon
La Flandre et la Wallonie ont collaboré, mais pas de la même façon. On est tenté de dire, à cause de la chronologie des moments forts de la collaboration en Flandre et en Wallonie, que la collaboration en Flandre a été plus centrée sur la Flandre et plus consistante au début de la guerre, en raison de l'opportunité que certains Flamands voyaient (à tort), de collaborer pour faire avancer la cause nationale flamande. Il me semble qu'il faut dire aussi que ces collaborateurs ont pu être sincères et ont pu susciter une sympathie réelle dans une grande partie de l'opinion flamande (grande ne voulant pas dire nécessairement majoritaire. Tandis que, en Wallonie, la collaboration politique dont d'ailleurs les Allemands ne voulaient pas au départ (ils ne prenaient pas le principal collaborateur wallon potentiel, Léon Degrelle, au sérieux, comme beaucoup de ses compatriotes d'ailleurs), semble avoir été aussi, sinon surtout, le fait d'arrivistes ou de gens menés seulement par une ambition d'autant plus pathétique qu'elle n'a pu être dans une certaine mesure satisfaite que lorsque, l'Allemagne menant de plus en plus un combat désespéré à partir de 1942-1943, les nazis les plus radicaux ont fini par supplanter les conservateurs autoritaires dans un IIIe Reich de plus en plus dominé par la SS. Les collaborateurs wallons finissant même, selon Conway, par parler allemand entre eux et se ralliant au nazisme pur et dur. C'est ce qu'explique avec une concision géniale l'historien britannique Martin Conway, Professeur à Cambridge, le grand spécialiste de la collaboration en Wallonie dont il faut lire ces deux brefs extraits. La fameuse soi-disant division Wallonie de Degrelle (combattant sur le front russe) n'a jamais compté plus de 2000 hommes soit même pas la moitié d'un régiment belge de l'époque (une Division comptant alors 17.000 hommes). Les rexistes (les collaborateurs wallons membres de "Rex" le mouvement de Degrelle, Rex étant une allusion au Christus-Rex, au Christ-roi...), surtout à la fin de la guerre, ont été totalement isolés dans la population wallonne. Et, dans certaines régions, la Résistance en tuait un chaque jour, la Résistance étant paradoxalement mieux armée que les collaborateurs des nazis. Dans certains cas, ces homicides posent question...
Résistance et collaboration
S'il faut se réjouir qu'un débat puisse se dérouler entre Wallons et Flamands sur la répression des collaborateurs et les collaborateurs eux-mêmes, il faut par contre regretter, à mon sens, le fait que ce débat ne traitera pas de la Résistance et se focalisera donc uniquement sur un phénomène flamand (la répression de la collaboration en Wallonie n'a jamais été mise en cause, sauf quand il s'agissait d'injustices individuelles). En effet les chiffres montrent clairement (415 des journaux résistants publiés en français sur 567, 3706 résistants tués en Wallonie contre 2765 en Flandre, soit 57% de Wallons et 41 % de Flamands alors que les Wallons sont minoritaires en Belgique depuis toujours, les chiffres sur l'activité résistante sont encore plus probants), l'importance de la résistance en Wallonie.
Collaboration et résistance dans les mouvements flamand et wallon
Certains résistants flamands ont certes joué un rôle actif dans le mouvement flamand, y compris après la guerre. Et il existe parfois certains historiens flamands qui reprochent aux historiens wallons, par exemple, de ne pas citer Léon Degrelle dans l'Encyclopédie du mouvement wallon. Mais c'est simplement parce que Degrelle n'a jamais été un militant wallon et, bien que sa Légion s'appelait Wallonie, elle n'a jamais utilisé que des symboles belges (le drapeau tricolore et le chant Vers l'avenir dont la dernière strophe est «Dieu protège la libre Belgique et son roi»...). Les authentiques militants wallons qui ont collaboré font d'ailleurs l'objet de notices claires dans l'ouvrage et on ne nie certes pas leur collaboration. Mais ils furent très peu nombreux (les collaborateurs wallons ont été par contre aussi nombreux qu'en Flandre, mais sans avoir les mêmes convictions politiques ou sans doute sans en avoir aucune).
Plus fondamentalement encore, il faut dire que la Résistance a structuré le mouvement wallon.. Tous les résistants wallons ne se sont pas engagés dans le combat autonomiste wallon, mais dans la génération de Wallonie en âge d'avoir pu résister, on trouve effectivement énormément de gens qui l'ont fait (ou bien d'autres qui étaient prisonniers des Allemands, seuls les Wallons de l'armée belge ayant été maintenus en captivité : on oublie d'ailleurs que la mesure a valu largement pour les Bruxellois également puisque Bruxelles comptait moins de prisonniers que le Luxembourg quoique 5 fois plus peuplée).
Avant même que Léopold III ne revienne pour remonter sur le trône le 22 juillet 1950, Léo Collard alors député à la Chambre, peu partisan de l'autonomie wallonne, déclarait ceci qui était prémonitoire: la Wallonie est menacée «d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique» (Annales parlementaires, session Chambres réunies, 18/7/1950, les Chambres réunies débattant alors du retour du roi en Belgique (1)). Au-delà de la collaboration du mouvement flamand, il y a lieu de parler sinon de la collaboration, au moins de la politique d'accommodement du roi avec le vainqueur allemand durant toute l'occupation nazie. Dès juin 1945, plusieurs hommes politiques flamands (le roi qui avait été déporté en Allemagne après le débarquement allié en Normandie, venait d'y être libéré par les Américains), firent savoir à Léopold III qu'il ne pourrait rentrer en Belgique qu'en provoquant un bain de sang du fait de la prévisible révolte de la Wallonie. Ce refus wallon implacable était très profond et motivé par l'attitude du roi vis-à-vis de l'Occupant. Et en dépit de cinq longues années qui auraient permis d'oublier, en 1950, il s'exprima avec la même radicalité sanglante que prévoyait encore Léo Collard le 18 juillet de cette année terrible. La gendarmerie belge fit feu sur des manifestants en tuant quatre sur les hauteurs de Liège le 30 juillet (dont trois anciens résistants). Le 18 août, un député communiste wallon était assassiné (lui aussi ancien résistant). Dans les deux cas, la Justice belge (et liégeoise malheureusement) sabota l'enquête. La grève de 1960-1961 fut l'occasion pour le mouvement wallon d'aller jusqu'au bout de son rêve autonomiste, mais il fut durement réprimé puisque 40.000 militaires écrasèrent la grève en cinq semaines, le gouvernement prenant des mesures d'une violence inouïe provoquant des morts, des blessés graves, arrêtant des milliers de personnes, suspendant des fonctionnaires, les privant de traitements etc.
La Wallonie victime de la répression belge "zonder einde"
Que ce soit en 1950 ou en 1960-1961, les résistants de 1940-1944 jouèrent un rôle dans ces événements en perpétrant de nombreux attentats avec les armes (notamment les explosifs), utilisées dans la lutte contre les nazis, et soigneusement cachées, en attendant... (2) Or la revendication autonomiste radicale que voulait le meneur de la grève, André Renard, ne fut pas obtenue. Mais on peut très raisonnablement penser que si cette autonomie avait pu se réaliser, les injustes politiques de développement menées par le gouvernement belge au bénéfice quasi exclusif de la Flandre auraient plus rapidement cessé (3). Et que la Wallonie ne serait pas dans l'état de retard économique où elle est présentement (malgré des efforts considérables de redressement tentés depuis que le fédéralisme est devenu assez important pour les mener). Bien entendu, tout ceci est moins précis et concret qu'un débat sur l'injustice de la répression menée par les autorités belges contre certains collaborateurs du mouvement flamand. Et cela rendrait le débat plus complexe. Mais si l'on veut mener une véritable politique de réconciliation (qui n'est pas contradictoire avec la scission de la Belgique qui se profile : se séparer ce n'est pas nécessairement rompre toutes les relations), on ne peut pas passer sous silence d'autres victimes de la répression belge en 1950 et en 1960, des victimes wallonnes cette fois. Et on ne peut pas non plus passer sous silence le fait que la Wallonie a été et demeure la victime des injustes politiques menées par l'Etat belge quand il était unitaire et dominé par la Flandre, c'est-à-dire pendant près d'un siècle.
Les effets de cette politique-là, eux, se font en effet toujours ressentir et apparaissent effectivement comme sinon« zonder einde», du moins assez durables.
(1) Cité par Paul Theunissen, 1950, Ontknoping van de koningskwestie, De Nederlandsche boekhandel, Anvers, Amsterdam, 1984.
(2) On peut aussi continuer à se poser la question de savoir comment la Flandre a pu approuver le retour d'un Léopold III compromis avec l'Allemagne avec plus de 70% de OUI, tandis que la Wallonie rejetait le roi à près de 60%.
(3) Michel Quévit Wallonie-Flandre. Quelle solidarité?, Couleur livres, Charleroi, 2010 (compte rendu dans TOUDI accessible facilement par Google)

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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