La vitalité littéraire des Néo-Québécois

Québec 400e - vu de l'étranger



Terre de mots et de papier, fief de paroles lues, chantées, contées, portées sur une scène de théâtre, le Québec connaît une impressionnante vitalité éditoriale, surtout rapportée au nombre d'habitants et à la fragilité de la langue française, parlée par 2 % seulement de la population nord-américaine. La province compte une centaine de maisons d'éditions et publie 3 500 livres par an, dont un millier d'ouvrages littéraires.
Réjean Ducharme (Gros mots, publié comme le reste de son oeuvre chez Gallimard) est l'une des figures de proue de la création québécoise. Autant l'homme est discret - il n'accorde aucune interview -, autant l'auteur est prolixe avec, à son actif, neuf romans, quatre pièces de théâtre, de la poésie, des scénarios de films et des paroles de chansons pour les chanteurs Robert Charlebois ou feu Pauline Julien.
En 1966, un chauffeur de taxi de Montréal envoie par la poste le manuscrit d'un premier roman à Gallimard. L'éditeur publie aussitôt L'Avalée des avalés, texte subtil et proliférant, bientôt suivi par d'autres ouvrages d'un Ducharme qui revendique tous les genres, tous les registres de langage, du plus pur au bâtard, du classique au neuf et au poétique."C'est sa manière d'être québécois, écrivait Pierre Lepape dans les colonnes du Monde à la parution de Va savoir (1994), de chez lui donc de partout et de nulle part."
De partout, vient aussi une large part des auteurs de cette province qui accueille toujours largement les migrants. Brésiliens (Sergio Kokis), Chinois (Ying Chen) ou Roumains (Iona Georgescu), ils comptent parmi les écrivains québécois de langue française, parfois même les plus brillants ou les plus en vue. D'origine haïtienne, Dany Laferrière, qui vient de publier Je suis un écrivain japonais (Boréal), avait fait une entrée remarquée dans la vie montréalaise en 1985 avec son roman Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer
Son compatriote Emile Ollivier, décédé en 2002, était tout de discrétion et d'intériorité. Ses romans (Passages, Le Serpent à Plumes, Mille eaux, Gallimard) explorent des allers et retours réels et imaginaires entre Haïti et le Québec. D'une écriture profonde et poétique, il parle des boat people ou de la violence politique et décrit les exilés, "Canadiens le jour et Haïtiens la nuit".
Né au Liban en 1968, Wajdi Mouawad est un auteur de théâtre prolifique. Ses pièces, Incendies, Littoral, Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face (Actes Sud), d'un style lyrique et foisonnant, sont souvent jouées en France où il sera associé à la programmation du festival d'Avignon en 2009. Il ouvre aussi le Québec à la dimension internationale, situant ses pièces dans le chaos moyen-oriental. Le théâtre est l'autre grand lieu de l'écriture québécoise contemporaine, si vivant que même des romanciers, à l'instar de Réjean Ducharme, écrivent aussi des pièces.
Normand Chaurette, auteur de romans tel Scènes d'enfant, où il décrit le chaos intime des affects et des secrets de famille, écrit ainsi pour la scène : Les Reines ou Le Petit Köchel. Chez cet écrivain, les personnages féminins se taillent les premiers rôles. Daniel Danis, né en 1962 dans la ville minière de Rouyn-Noranda, invoque les mythes autochtones, sur les pas d'Antonin Artaud, et travaille à partir du rêve : "Le rêve me donne accès à la matière imaginante. Quand j'ai bien rêvé, les personnages apparaissent", explique l'auteur de Cendres de cailloux et de E, roman-dit (Arche).
Ici, le théâtre rejoint la poésie, un secteur littéraire tout aussi vivant au Québec. Revues, petites éditions publient les nombreux auteurs hommes et femmes qui écrivent, disent, chantent de la poésie. La nouvelle génération reste profondément marquée par Gaston Miron (1928-1996), le poète québécois qui écrivait : "Je n'ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays."
LEMONDE.FR Catherine Bédarida


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