CULTURE

La valse des langues au cinéma québécois

76ae36683ac95b093b2c36f2df40b6aa

«Miroir aux alouettes et perte d’ancrages ? »

Tant mieux si Arrival, l’élégant film de science-fiction de Denis Villeneuve, se retrouve en nomination pour deux Golden Globes. Et souhaitons-lui d’atterrir aux Oscar dans les catégories meilleur film et meilleure réalisation. Plus haut qu’à travers ses précédents Prisoners et Sicario. Allez-y !

Depuis trois ans, la percée à Hollywood d’une nouvelle vague de cinéastes québécois caresse notre petite fibre chauviniste. Villeneuve, attelé à la suite de Blade Runner, et Jean-Marc Vallée, qui enchaîne les grosses séries, sont adoptés là-bas sous le soleil. D’autres comme Philippe Falardeau font la navette entre les deux mondes.

Trop heureux quand nos colombes n’égarent pas leurs griffes dans le tordeur californien. Chose certaine, leur essor aux États-Unis crée un effet d’émulation. Si eux y parviennent, pourquoi pas les autres ?

L’anglais dominant le jeu international, un tas de réalisateurs, en Europe, ici ou ailleurs, troquent leur langue contre le rêve des grands marchés. Miroir aux alouettes et perte d’ancrages dans bien des cas. Reste qu’il faut parfois oser, explorer des voies nouvelles, sur terrain glissant, il est vrai.

Sur nos terres

Au Québec en particulier. Car nul besoin de s’exiler au sud pour tourner en anglais. Des cinéastes comme Charles Binamé (Elephant Song), Rafaël Ouellet (Gurov et Anna), Kim N’Guyen (Two Lovers and a Bear) ou Xavier Dolan (The Life and Death of John F. Donovan) s’y frottent depuis quelques années avec des fonds nationaux, des ententes de coproductions. Léa Pool, Denys Arcand et compagnie firent le saut avant eux, mais la révolution numérique, en modifiant les modèles d’accessibilité aux oeuvres, accentue le rythme. Ça ne touche guère ici la littérature et le théâtre, davantage la musique (notamment pas l’émergence d’une solide vague anglophone dans le sillage d’Arcade Fire. Aussi parce que les groupes francophones chantent souvent en deux langues). Et le cinéma donc.

La quadrature du cercle

Vus de notre petit territoire linguistiquement fragile et encerclé, les dangers de noyer sa sève identitaire se heurtent à ces rêves d’expansion internationale. Reste à réinventer la quadrature du cercle.

Prenez la SODEC, au Québec, le principal argentier du cinéma. 80 % de son budget en longs métrages de fiction est dévolu aux films francophones (plus d’une vingtaine). Les 20 % restants financent les oeuvres des autres langues, en anglais surtout : quatre films par année en deux temps, grosso modo. Au dépôt de l’automne 2015, le projet de Dolan en anglais, très ambitieux, engloutissait la somme entière, et un film plutôt que deux fut alors financé.

La tendance va lentement en s’accentuant pour les francophones qui passent à l’anglais. Davantage de projets se voient donc refusés à cette enseigne. Et la grogne s’en mêle. Certains Anglos — d’excellents cinéastes sortent notamment de Concordia — voyant grugée leur maigre part du gâteau, protestent. Faut comprendre…

« Contrairement aux compositeurs et interprètes qui affirment souvent choisir l’anglais en fonction du genre, comme le blues et le rock roll, les cinéastes francophones disent tourner en anglais principalement pour la possibilité de rejoindre un public dit international », explique Monique Simard, présidente de la SODEC. Et d’admettre que tout un discours dominant pousse à la roue de l’expansion planétaire : « Notre marché est trop petit. Il doit s’ouvrir, viser les coproductions. » Air connu. Ça crée des vagues et des ressacs. Certains font chou blanc et reviennent au français, mais allez couper l’élan de conquérants…

Le pire scénario serait de déshabiller Pierre pour habiller Paul, en diminuant au Québec l’enveloppe des films en français au profit de la cagnotte anglophone. Ployer le genou devant la seule loi du marché quand l’art s’abreuve par ses racines ? Non, non, non ! Rien de tel n’est envisagé en haut lieu. Pas de panique !
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->