« Les démolitions sont inévitables »
Les dernières messes ont été chantées le mois dernier dans l’église Saint-Enfant-Jésus, à Pointe-aux-Trembles. L’édifice, datant de 1937, a été vendu à la Société de développement Angus (SDA), qui s’est engagée à ne pas le démolir.
L’usage de l’église se précisera à la suite de consultations publiques, mais la SDA a déjà reçu une subvention de 680 000 $ du Fonds d’initiatives et de rayonnement de la métropole (FIRM) pour préparer la transformation de l’édifice.
« Notre objectif, c’est que l’église redevienne un lieu accessible pour les citoyens et qu’elle participe au dynamisme du centre-ville de Pointe-aux-Trembles », explique Stéphane Ricci, chef de projet à la SDA, qui mène plusieurs chantiers pour revitaliser le secteur.
Faire des choix
Des citoyens se mobilisent à certains endroits pour trouver une nouvelle vocation aux églises vides qui se détériorent, mais d’autres seront inévitablement démolies, préviennent des experts en patrimoine, qui recommandent que l’on consacre des ressources financières à celles qui ont la plus importante valeur patrimoniale, mais qu’on laisse aller les autres. Bref, on ne pourra pas tout sauver à tout prix.
« Il faut reconnaître que certaines églises n’ont pas de valeur du point de vue patrimonial », dit le professeur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Luc Noppen, spécialiste de la conservation architecturale et du patrimoine urbain.
Les démolitions d’églises sont inévitables. Il faut sauver les bâtiments les plus précieux et gérer judicieusement les autres, qu’on pourrait démolir pour construire des logements sociaux à la place.
Luc Noppen, professeur à l’UQAM
« On ne peut pas tout garder, il faudra faire des choix », renchérit Renée Genest, directrice générale d’Action patrimoine.
Cris d’alarme
« Il y a parfois des cris d’alarme de paroisses qui n’en peuvent plus, indique Caroline Tanguay, directrice des services aux paroisses à l’archidiocèse de Montréal. S’il y a beaucoup d’argent à mettre sur l’église, certaines paroisses envisagent de vendre. »
Sans révéler combien de paroisses se retrouvent devant un tel dilemme actuellement, Mme Tanguay souligne que la vente d’une église est une décision de dernier recours.
Il arrive qu’on trouve une solution alternative. S’il y a une mobilisation des citoyens, on peut faire de l’église un endroit où il y aura des services religieux, mais également des services communautaires.
Caroline Tanguay, directrice des services aux paroisses à l’archidiocèse de Montréal
Les paroisses sont des organisations à but non lucratif indépendantes, qui sont responsables de leur budget et de l’entretien de leur église, mais elles doivent obtenir l’autorisation de l’archevêché avant de se dissoudre ou de vendre une église.
Une soixantaine d’églises catholiques ont été vendues depuis une vingtaine d’années, mais l’archidiocèse a ralenti la cadence il y a 10 ans, pour privilégier d’autres solutions, note Mme Tanguay.
Ressources insuffisantes
Le Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ) est débordé de demandes d’aide financière de la part de paroisses ou d’organismes communautaires pour de coûteux travaux d’entretien et de restauration. Il doit déjà faire des choix, selon l’urgence de la situation et la valeur patrimoniale des bâtiments.
« On n’est pas capables de répondre aux besoins », reconnaît Andréanne Jalbert-Laramée, conseillère en patrimoine au CPRQ, qui reçoit son financement du ministère de la Culture et des Communications (MCC).
Cette année, on avait un budget de 15 millions, mais on a reçu pour 50 millions de demandes pour des églises admissibles, donc qui sont reconnues comme étant patrimoniales.
Andréanne Jalbert-Laramée, conseillère en patrimoine au CPRQ
L’organisme a aussi un fonds de 10 millions par année pour des projets de transformation d’églises, mais les candidatures reçues totalisent 30 millions.
La Loi sur la protection des biens culturels, adoptée en 2021 à Québec, élargit les pouvoirs des villes en matière de préservation du patrimoine. La Ville de Montréal envisage d’imposer des amendes aux propriétaires d’immeubles patrimoniaux qui en négligent l’entretien, confirme la responsable du dossier au comité exécutif, Ericka Alneus. Mais encore faut-il que les propriétaires, notamment les paroisses, en aient les moyens.
Voilà pourquoi il faut accepter de hiérarchiser les édifices religieux selon leur intérêt patrimonial, selon Luc Noppen, et réserver les fonds publics aux plus importants.
« Les diocèses ont laissé les églises se détériorer pendant des années, et les groupes communautaires n’ont pas 15 millions pour rénover une église en mauvais état », fait remarquer l’expert en patrimoine.
Or, pour établir un tel « plan stratégique de conservation des églises », il faudra une concertation des diocèses, des municipalités et du gouvernement du Québec, dit M. Noppen.
À Montréal, par exemple, l’archidiocèse devrait s’engager à protéger certains lieux de culte patrimoniaux, en échange de la possibilité de vendre d’autres bâtiments destinés à être démolis pour permettre la construction de logements, avec l’accord de la Ville, qui devrait modifier le zonage des terrains visés, croit M. Noppen.
Un attachement à considérer
Mais comment déterminer quels bâtiments seront conservés ? « Au-delà de la religion et du patrimoine, il peut y avoir une affection de la communauté pour une église, » souligne Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. « Les gens y sont attachés. Il peut aussi y avoir des œuvres sociales associées à ces bâtiments. »
« La valeur patrimoniale entre en ligne de compte, mais il faut aussi prendre en considération l’appropriation par la population et les projets de réhabilitation qui sont proposés, même pour les églises qui n’ont pas une valeur patrimoniale exceptionnelle », note Renée Genest, directrice générale d’Action patrimoine.
Selon Mme Genest, il ne faut pas négliger l’impact environnemental de la démolition d’un bâtiment et de la reconstruction d’un nouvel édifice. « Les églises sont souvent construites de matériaux nobles, comme la pierre, le bois et la tôle, qui ont un cycle de vie plus long s’ils sont bien entretenus », dit-elle.
Églises construites avant 1975
Québec : 2751 Montréal : 468
Églises ayant le statut d’immeuble patrimonial classé
Québec : 98 Montréal : 11
Églises démolies depuis 2017
Québec : 25 Montréal : 3
Églises fermées
Québec : 143 Montréal : 16
Églises ayant changé d’usage
Québec : 474 Montréal : 79
Source : Conseil du patrimoine religieux du Québec
Des combats ardus
Les citoyens qui se mobilisent en plusieurs endroits pour sauver l’église de leur quartier ou de leur village doivent faire preuve de motivation et de patience : la partie est loin d’être gagnée.
Manon Harvey peut en témoigner. Elle préside le Centre communautaire Sainte-Brigide, propriétaire depuis 2005 de l’église Sainte-Brigide-de-Kildare, dans le quartier Centre-Sud, à Montréal.
On projette depuis 2012 d’aménager dans cette magnifique église de style néo-roman, datant de 1880, un centre de recherche et de création théâtrale, appelé Le Cube, formé des compagnies de théâtre jeunesse Le Carrousel et Le Clou.
Le projet était évalué à 13 millions. Il a reçu en 2015 une subvention de 11 millions du ministère de la Culture et des Communications (MCC), qui est passée à 19 millions au printemps 2021, pour l’aménagement de trois étages de locaux dans l’église.
Mais en mai 2021, les coûts du projet avaient explosé pour atteindre 27,5 millions, en raison notamment de la surchauffe dans le secteur de la construction.
Le Cube a donc annoncé officiellement l’abandon du projet le mois dernier.
« On doit recommencer à zéro. En attendant, on porte cet immeuble à bout de bras », se désole Manon Harvey, qui refuse de céder au découragement.
La restauration du bâtiment, sans transformation, s’élèverait à 10 millions. Le chauffage, l’entretien et les assurances coûtent de 125 000 $ à 200 000 $ par année. Les deux locataires temporaires de l’église, une organisation de loisirs pour les jeunes et un groupe de cirque pour personnes marginalisées, quitteront bientôt les lieux.
De quoi décourager d’autres citoyens qui rêvent de conserver et de réutiliser des églises.
Dans certaines paroisses, on tente de trouver de nouvelles sources de financement, en maintenant la vocation du lieu de culte.
C’est le cas pour l’église Saint-Édouard, située rue Saint-Denis dans La Petite-Patrie.
Un millier de personnes la fréquentent chaque semaine ; la vaste majorité n’y vont pas pour la messe, mais plutôt pour prendre un repas collectif, danser, voir un film ou un concert, suivre des cours de tai-chi ou assister à une rencontre des Alcooliques anonymes, grâce aux 36 organismes communautaires qu’abrite l’édifice.
Il y a cinq ans, on a pris un virage communautaire, et c’est ce qui permet de maintenir la paroisse en vie.
Denis Prescott, prêtre administrateur de la paroisse Saint-Édouard
Le conseil de fabrique était auparavant au bord de la faillite, avec une église, datant de 1907, nécessitant des travaux de 4 millions. Il couvre maintenant ses dépenses et arrive à mettre un peu d’argent de côté pour les rénovations, bien que les loyers payés soient modiques. Même la communauté musulmane fréquente l’église, où elle loue des locaux pendant le ramadan.
« Rendre les locaux accessibles augmente le sentiment d’attachement des citoyens. Ça devient un lieu de rassemblement communautaire pour beaucoup de personnes qui ne sont pas du tout religieuses », note Amélie Roy-Bergeron, agente de mobilisation à Héritage Montréal, qui a offert son soutien à la paroisse.
La paroisse réussira-t-elle à survivre ? Elle a lancé une campagne de financement de 900 000 $ et obtenu une subvention de 280 000 $ du Conseil du patrimoine religieux du Québec. Mais des soumissions reçues par la paroisse montrent que certains prix ont doublé depuis deux ans. Le prix du cuivre, nécessaire pour la réfection du clocher et du toit, a triplé, déplore Denis Prescott.
Pas de doute, il faut avoir la foi pour se lancer dans de tels projets.
Des églises réinventées
Ces dernières années, de plus en plus d’églises ont été vendues par des paroisses qui n’arrivaient plus à payer leur entretien.
À Montréal, certaines ont été transformées en condos par des promoteurs privés, d’autres en HLM. Ailleurs au Québec, on mise sur des écoles de cirque (à Québec et à Saint-Germain-de-Kamouraska) ou sur la culture en serres verticales (à Saint-Pacôme, dans le Bas-Saint-Laurent).
Dans les Cantons-de-l’Est, le musicien Pilou a acheté l’église de Saint-Adrien pour la transformer en studio et en pôle créatif, en installant au sous-sol des serveurs qui minent de la cryptomonnaie pour chauffer le bâtiment.
Voici d’autres exemples réussis de réutilisation d’églises qui servent à la communauté, à Montréal.
Église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours
Ville-Émard, 1914
Transformée en théâtre, centre de formation et logements communautaires.
Église Saint-Victor
Tétreaultville, 1927
Transformée en centre de jour, logements communautaires et coopérative d’habitation.
L’ancienne église de la rue Hochelaga a conservé sa façade, mais les deux tiers de l’édifice ont dû être démolis pour le transformer en centre de jour pour personnes de 55 ans et plus en situation d’isolement ou d’itinérance. L’organisme PAS de la rue a ouvert ce centre en 2021. On y sert gratuitement le déjeuner et le dîner à une quarantaine de personnes chaque jour, on y offre du soutien psychosocial et différentes activités. Le presbytère situé à côté a été démoli pour faire place à un édifice de 40 logements pour les personnes de 55 ans et plus en situation de précarité, à qui on offre du soutien communautaire. Ces deux projets ont nécessité des investissements de 12,2 millions. De l’autre côté de l’église, une coopérative d’habitation de 36 logements a été construite et est maintenant gérée de façon autonome.
Église Saint-Raphaël-Archange
Côte-des-Neiges, 1932
Transformée en maison de soins palliatifs.
Depuis novembre 2019, la Maison Saint-Raphaël offre 12 chambres à des malades en fin de vie et à leurs proches. On y trouve aussi un centre de jour pour des personnes atteintes d’une maladie incurable, leurs proches aidants ou des personnes endeuillées, qui ont accès à des travailleurs sociaux et à des activités et services comme l’art-thérapie, la massothérapie, l’acupuncture, la physiothérapie, le yoga, etc. L’ancienne église, fermée en 2008, a été cédée par la paroisse à un groupe de paroissiens qui se sont associés à des gens d’affaires et ont réussi à amasser des dons de 10 millions pour financer le projet. Les travaux de conversion ont coûté 6,5 millions. Les activités de l’établissement sont financées à 45 % par le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Église Saint-Mathias-Apôtre
Hochelaga-Maisonneuve, 1958
Transformée en restaurant communautaire et centre de formation.
Pour 4,50 $, vous pouvez obtenir un repas complet au Chic Resto Pop, installé depuis 2004 dans l’ancienne église de la rue Adam. On y prépare chaque jour 600 repas, servis sur place ou livrés à domicile et dans des écoles. L’organisme contribue chaque année à la formation de 72 personnes inscrites à des programmes d’employabilité. Le bâtiment a été acheté pour 300 000 $ et sa transformation a coûté 4 millions, une somme qui a été obtenue grâce à divers programmes gouvernementaux.
Église Sainte-Germaine-Cousin
Pointe-aux-Trembles, 1960
Transformée en CPE et en résidence pour aînés.