PHOTO CHANTAL POIRIER
SAINT-VENANT-DE-PAQUETTE | Il est un de nos grands. Avec sa sœur, Marie-Claire, avec Fiori et en solo, Richard Séguin a écrit parmi les plus belles pages de l’histoire de la musique francophone québécoise. Il a 70 ans, mais ne les fait pas du tout. Il continue de créer chansons et œuvres d’art dans son village adoré de Saint-Venant-de-Paquette, en Estrie. Il a tout pour être heureux, mais il sent le besoin de tirer sur la sonnette d’alarme: notre culture est en péril, nous devons faire quelque chose.
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«C’est déplorable qu’au Québec, la chanson francophone est écoutée sur les plateformes à un taux entre 7% et 9%. Ça m’inquiète un peu.» (voir encadré Des données inquiétantes plus bas)
Un peu? Vous auriez dû le voir s’enflammer dans le café de son village, où il a invité le représentant du Journal à s’asseoir pour une longue entrevue, le mois dernier, lorsque notre conversation a dévié sur la sauvegarde de la culture musicale québécoise francophone.
«Je ne comprends pas les radiodiffuseurs qui nous bombardent du palmarès américain. Ça imprègne tout notre inconscient, ça uniformise tout. Heille, tu me pars là-dessus...», s’insurge-t-il. «Je n’en ai pas contre la musique américaine, j’en écoute beaucoup, de la musique anglaise, de la musique du monde. Il y a quand même une priorité, ou une urgence, de laisser de la place à la création francophone du Québec. Qu’est-ce que ça va être pour la chanson si on n’agit pas tout de suite? J’ai peur que ça devienne une musique marginale. Elle est déjà marginalisée...»
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Éduquer
Que notre patrimoine musical ne soit pas enseigné à la jeune génération ni mis en évidence ne lui rentre pas dans la tête.
«Les jeunes ne connaissent pas Pauline Julien. Ils ne connaissent pas tellement l’œuvre de Léveillée, de Sylvain Lelièvre. La liste est longue, on pourrait remonter jusqu’à Vigneault. Je trouve que c’est très, très dommageable pour notre culture.»
Il faut éduquer, martèle Richard Séguin.
«Nous nous sommes battus et on va avoir une maison de la chanson. C’est Monique Giroux qui s’est battue pour ça, alors que la question ne se pose même pas en Europe. En France, les gens vont apprivoiser leur patrimoine d’écriture, leur patrimoine de la chanson, leur patrimoine de poésie. Ils savent même où ce qu’ils [les artistes] sont enterrés. C’est étudié dans les écoles. Nous avons un gros rattrapage à faire.»
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Pourtant, quand on se donne la peine, ça fonctionne, constate-t-il en se remémorant sa participation au projet musical Douze hommes rapaillés à partir des poèmes de Gaston Miron. (voir encadré Les mots de Miron en musique plus bas)
«C’était incroyable la réception des gens. Ils répondaient à ça. Ils buvaient chacun des textes de Miron. C’en est une initiative. Il y a eu un effet Miron bien fort.»
Aimer et diffuser
L’éducation est primordiale, mais ce n’est pas tout. Pour que la chanson francophone d’ici reste bien vivante, il faut l’aimer et la faire entendre, affirme celui qui a connu d’immenses succès populaires avec ses albums Double vie, Journée d’Amérique et Aux portes du matin.
«C’est la première condition. Il faut aimer la création qui se fait ici. Quand tu aimes quelque chose, tu veux la diffuser. Je demande parfois aux diffuseurs et ils me répondent que ce n’est pas ça qu’ils [leurs auditeurs] veulent entendre. Oui, mais tu ne leur donnes pas le choix. Si tu veux qu’on écoute quelque chose, donne un choix et ensuite on va savoir s’ils veulent l’entendre. Moi, Rihanna, je suis bien content qu’elle fasse sa carrière, mais j’aimerais ça aussi entendre des Marie-Pierre Arthur. Donne-moi un choix!»
Le danger qui en découle, comme il le mentionne plus haut, est l’uniformisation de ce qui parvient à nos oreilles. Les conséquences sont déjà observables.
«Ma sœur s’était fait demander par un professeur de donner quelques principes de base pour les vocalises à ses élèves parce qu’elle avait organisé un spectacle de fin d’année. Quand elle est arrivée là, elle a constaté que tout le spectacle était en anglais. De façon surprenante, la professeure ne s’en était pas aperçue», raconte Richard Séguin.
L’influence de Félix
Lui-même fournit un bon exemple de l’importance de bien connaître la culture musicale de son peuple lorsqu’on lui demande quelles ont été les personnes les plus marquantes dans son parcours artistique.
Spontanément, il nomme Félix Leclerc.
«Même si je l’ai rencontré juste deux fois dans ma vie, Félix, pour moi, demeure un phare quand il est question de la façon de faire le métier, comment aborder la chanson, comment intégrer vie et création dans un tout. Je lis beaucoup ses calepins. Ce sont des petites réflexions philosophiques, simples, qui font partie du quotidien. Il m’a vraiment influencé.»
À son tour, il souhaite tendre le flambeau pour que la chanson québécoise francophone survive longtemps.
DES DONNÉES INQUIÉTANTES
Pour la première fois en 2021, et seulement à partir du 15 octobre, l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) a pu mesurer le pourcentage de contenu québécois qui a été consommé sur les plateformes de musique en continu. Ce pourcentage est de 8,6%. Comme les données n’ont pas été comptabilisées selon la langue et que des artistes qui chantent en anglais, comme Charlotte Cardin et Céline Dion, figurent parmi les plus populaires, on peut présumer que l’écoute de contenu québécois francophone se situe en deçà de 8,6%. Un porte-parole de l’OCCQ affirme que l’organisme prévoit être en mesure de fournir cette donnée dans son rapport 2022.
Source: Le marché québécois de la musique enregistrée en 2021
LES MOTS DE MIRON EN MUSIQUE
En 2008, douze artistes se réunissent pour mettre en musique les mots du poète Gaston Miron sur l’album Douze hommes rapaillés chantent Miron. Outre Richard Séguin, Gilles Bélanger (concepteur), Louis-Jean Cormier (réalisateur), Jim Corcoran, Michel Rivard, Pierre Flynn, Daniel Lavoie, Michel Faubert, Yann Perreau, Martin Léon, Vincent Vallières et Plume Latraverse prennent part au projet, qui accouchera de deux autres albums et de quelques concerts événementiels.
Séguin en concert: proche de son public
Sur la scène, Richard Séguin souriait constamment. Devant lui, presque à ses pieds, les spectateurs écoutaient dans un silence respectueux, tapaient des mains et chantaient les refrains aux moments opportuns.
«On est proches, hein? Si je dis que j’ai touché mon public, c’est pas une métaphore», s’est amusé Séguin, tout à fait dans son élément dans l’intimité feutrée du Théâtre Petit Champlain, le 19 octobre dernier, lors de la première de plusieurs représentations à Québec du spectacle tiré de son nouvel album intitulé Les liens les lieux.
Le Richard Séguin à la scène ressemble à s’y méprendre à celui qu’ont connu ceux qui ont eu la chance de le rencontrer en personne: sympathique, pas compliqué, soucieux de faire passer le bonheur des siens avant celui des autres, humain.
Humain, surtout humain, avec des préoccupations légitimes pour l’avenir de notre espèce et de notre planète. Son contact privilégié avec le public, il s’en sert pour diriger les projecteurs sur les causes et les gens qui lui sont chers.
La chanson Roadie, «c’est pour les travailleurs de l’ombre», dit-il en parlant des techniciens qui rendent possible la tenue d’un concert.
Plus loin, Au bord du temps fournit l’occasion de s’intéresser au sort des migrants.
Qu’est-ce qu’on leur laisse? est précédée d’un coup de chapeau pour le travail de sensibilisation à la protection du territoire de l’organisme Mères au front.
On va aussi parler de notre richesse forestière, de la beauté émouvante des étoiles dans le ciel du Grand Nord, de sa mère, «celle qui a fait en sorte qu’il y avait de la culture dans la maison».
Un concert de Richard Séguin ne serait pas complet sans une déclaration d’amour à sa langue de travail.
Il devance ainsi son électrique interprétation de L’ange vagabond, en hommage à Jack Kerouac, en citant les mots du célèbre poète américain d’origine canadienne-française. «Quand je suis fâché, je sacre en français. Quand je rêve, je rêve souvent en français et quand je braille, je braille toujours en français.»
Un grand monsieur, ce Richard Séguin!