La madone socialiste

Ségolène Royal saura-t-elle conjurer la menace d'un nouveau 21 avril?

France - élection présidentielle 2007



Paris -- Les Français ne le savent pas, mais Ségolène Royal a adopté en cette fin de course un style de campagne «à l'américaine». Après avoir été accusée d'être trop absente, la candidate socialiste a choisi de faire exactement comme Stephen Harper et Mario Dumont lors de leur dernière campagne électorale: une annonce par jour en direction de publics ciblés et des rapports très contrôlés avec les médias. Mardi, à Paris, elle annonçait qu'elle voulait réduire le train de vie de l'Élysée. La veille, à Nantes, elle proposait un crédit d'impôt pour les cotisations syndicales afin d'en finir avec la faible syndicalisation en France. L'avant-veille, elle s'entretenait avec les parents d'une victime d'agression sexuelle et promettait des mesures contre la violence faite aux femmes.
C'est avec ce rythme d'enfer que la candidate socialiste veut conjurer le syndrome du 21 avril qui a dominé la campagne socialiste du début à la fin. «Et si elle n'était pas au second tour?» La question taraude les socialistes depuis des semaines. Elle revient comme un leitmotiv, dit un militant de la région parisienne, signe que les socialistes sont toujours hantés par la perspective d'un carambolage comme celui qui s'est produit le 21 avril 2002 alors que Lionel Jospin avait dû céder sa place au second tour à Jean-Marie Le Pen. Si la plupart des sondages placent Ségolène Royal deuxième (avec un résultat entre 22 et 26 %), un autre réalisé pour Le Nouvel Observateur la relègue en troisième position avec 21 %, un point derrière François Bayrou.
«Jusqu'à la fin, cette campagne aura été menée sous le signe du 21 avril», dit Carl Meeus, directeur de l'information au magazine Le Point et auteur d'un livre sur la candidate (Ségolène Royal, l'insoumise, Fayard). «On le voit d'ailleurs dans les sondages avec l'effondrement du vote d'extrême gauche.» Signe des temps, la demi-douzaine de candidats plus ou moins folkloriques à gauche de la gauche enregistrent de piètres résultats, à l'exception du très médiatique postier trotskiste Olivier Besancenot.
La partie est loin d'être jouée et dépend aujourd'hui d'une poignée d'électeurs indécis qui hésitent encore entre Ségolène Royal et le centriste François Bayrou. En effet, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts entre la madone qui fut plébiscitée le 16 novembre dernier par 60 % des militants socialistes et celle qui parcourt ces jours-ci la France afin de grappiller les dernières voix qui pourraient lui permettre de passer le cap du premier tour.
Consciente de la crise que traverse le pays, Ségolène Royal a véhiculé tout au long de cette campagne l'idée d'une France qui pourrait se réformer dans l'harmonie sans mettre la société à feu et à sang. Son image de mère protectrice a dominé la campagne. Le moment clé fut cet engagement très senti, fait au congrès de Villepinte, d'offrir aux jeunes des banlieues les mêmes chances que ses enfants avaient eues.
Mais ce n'est pas l'harmonie qui a caractérisé la campagne de Ségolène Royal. «Au début, elle n'a pas su rassembler son camp, dit Carl Meeus. À la Mutualité, en novembre, elle a voulu rester seule. Les éléphants du parti le lui ont fait payer cher par la suite. Quand elle les a appelés, ils sont venus en se traînant les pieds.» L'ancien premier ministre Lionel Jospin a même refusé de monter sur scène avec elle, se contentant du service minimum dans quelques assemblées en province. Même si elle lui préfère souvent Jean-Pierre Chevènement, seul Dominique Strauss-Kahn semble n'avoir pas trop démérité de sa candidate, lui que plusieurs imaginent premier ministre advenant une victoire socialiste... ou centriste. Quelques vedettes socialistes, comme l'ancien ministre de l'Éducation Claude Allègre, ont traversé chez François Bayrou. Le populaire Bernard Kouchner est même allé jusqu'à évoquer la possibilité de devenir ministre de Nicolas Sarkozy.
«Il n'a pas été facile pour ces hommes politiques qui ont tous un petit côté machiste d'accepter d'être dirigés par une femme, reconnaît M. Meeus. Ségolène Royal a souvent été obligée de les rappeler à l'ordre en soulignant qu'elle était la patronne.»
Les socialistes voulaient un candidat différent. Ils ont été servis par une campagne souvent erratique. Il n'est pas rare que la candidate annule à quelques heures d'avis une entrevue télévisée, qu'elle modifie son itinéraire de campagne ou qu'elle mette de côté les discours préparés pour lancer des propositions de son cru. C'est probablement ce qui explique les «bourdes» savamment exploitées par ses adversaires en début de campagne. Encore récemment, mal préparée, elle n'a pas su répondre aux questions des journalistes sur sa proposition de «contrat première chance» destinée aux jeunes.
Sa phase d'«écoute active» n'a pas non plus fait l'unanimité. Pendant des semaines, la candidate a tenu des dizaines de réunions dans toute la France afin d'«écouter les Français». Selon plusieurs, ce fut du temps perdu. Quand on fait le compte des personnes rencontrées, on arrive à peine à 400 000, soit le membership du Parti socialiste.
«Ces rencontres lui ont donné une crédibilité politique que ses adversaires contestaient», estime néanmoins Janine Mossuz-Lavau. Cette politologue du Centre de recherche politique de Sciences Po reconnaît qu'elles ont produit peu de propositions originales. Symboliques ou pas, ces réunions souvent raillées dans son propre camp ont été une façon de ramener «les Français dans le giron de la politique», selon le politologue Gérard Grunberg.
Sa façon de jouer de son identité féminine en a aussi agacé plusieurs. «Angela Merkel et Margaret Thatcher ne l'ont jamais fait. Elles ne prétendaient pas faire de la politique autrement que les hommes», dit Carl Meeus. Dans Le Monde, la philosophe Sylviane Agacinski (épouse de Lionel Jospin) a tenu à se démarquer de ce qui ne serait qu'une «misogynie à l'envers». Au contraire, Mme Mossuz-Lavau juge positif le fait que Ségolène Royal n'ait pas dissimulé son identité de femme et de mère. «Elle n'a pas essayé de se déguiser en homme.»
Selon les enquêtes, la candidate jouit d'un soutien légèrement supérieur dans l'électorat féminin, qui compte pour 53 % de la population. Elle serait par contre moins populaire chez les femmes plus âgées, plus attachées à une image traditionnelle de la femme. Il y a quelques jours, à Arras, Ségolène Royal a ouvertement appelé au vote féminin. Selon Mossuz-Lavau, son sexe ne devrait pas nuire à son élection. Selon un sondage IFOP, 94 % des électeurs se disent prêts à élire une femme. Mais entre la parole et les actes...
La candidate a aussi mis à mal son parti. Janine Mossuz-Lavau rappelle qu'elle a été la première à évoquer la rénovation de la gauche en revendiquant l'expérience de Tony Blair en Grande-Bretagne. Ségolène Royal a cassé plusieurs tabous socialistes en parlant de sécurité, de PME et de famille, en critiquant la semaine de travail de 35 heures et en évoquant Jeanne d'Arc et La Marseillaise. «Sa marge de manoeuvre est malgré tout assez étroite», constate Mme Mossuz-Lavau, si elle ne veut pas trop s'aliéner la gauche du parti.
Que Ségolène Royal l'emporte ou pas, avec elle, «le paysage politique français s'est transformé», soutient Carl Meeus. Le rêve de Jacques Delors d'un socialisme démocratique à la française se réalise peut-être enfin. D'ailleurs, Ségolène Royal a été membre des clubs Témoins créés par l'ancien président de la Commission européenne, qui la soutient. Au modèle britannique prôné par Nicolas Sarkozy, elle oppose régulièrement le modèle scandinave, qu'elle dit plus adapté à la situation française et qui combine un marché libre avec de fortes mesures sociales. Le directeur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, évoque un Bad-Godesberg à la française, du nom de cette ville du Rhin où les sociaux-démocrates allemands ont rompu avec le dogme socialiste dès 1959.
N'est-ce pas ce dont avait toujours rêvé l'ancien premier ministre socialiste Michel Rocard? À une semaine de premier tour, sa proposition d'un pacte de désistement entre Bayrou et Royal a pourtant été perçue comme un coup de poignard dans le dos de la candidate. Ségolène Royal prétend refuser pour l'instant toute alliance avec le candidat centriste, même si on sait qu'elle a fait préparer un discours en ce sens pour le 22 avril au soir. Mais si elle obtenait 25 % des voix et que Bayrou en obtenait 22 %, une telle alliance serait la clef de l'Élysée, dit Carl Meeus. «Au second tour, sa difficulté consistera à récupérer toutes les voix de François Bayrou. Il lui en faudra au moins la moitié pour gagner.» Selon un sondage de la SOFRES, 47 % des voix de Bayrou se reporteraient sur elle.
Alors que le second tour s'annonce comme un grand référendum pour ou contre Nicolas Sarkozy, chaque voix pèsera de tout son poids. D'ici là, la candidate socialiste devra démontrer que le 21 avril 2005 n'aura été qu'un accident de parcours dans l'histoire des socialistes.


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