Nicolas Sarkozy aura besoin de toute la force et l'habileté dont il a fait preuve au cours de la campagne électorale, de toute la légitimité démocratique que lui assure sa claire victoire d'hier, pour relever le défi du changement qu'il s'est fixé pour son pays. Il n'avait pas encore été élu président de la République française que la campagne de peur et de déstabilisation à son endroit devenait évidente.
Alors que la victoire de son rival apparaissait d'ores et déjà assurée, Ségolène Royal n'a pas craint jeudi d'agiter le spectre de la violence, faisant référence aux brutalités qui se déclencheraient selon elle après l'élection de Sarkozy. Cette déclaration irresponsable était d'autant plus troublante qu'elle se trouvait à augmenter, par le fait même, les chances que de telles violences antidémocratiques se produisent au soir de l'élection ou plus tard, leur donnant à l'avance une légitimité implicite.
La victoire de Nicolas Sarkozy est celle du changement librement choisi par un peuple français confronté - c'était évident lors du débat-duel de mercredi dernier - entre deux visions substantiellement différentes de son avenir. La vision du nouveau président reste clairement française, comme l'a rappelé son discours d'hier chantant les louanges de " cette grande et vieille nation qu'est la France ". Cette vision se rapproche cependant de celle des sociétés voisines ou comparables, en rupture avec le passé du pays en ce qui a trait à une série de valeurs et de modes de fonctionnement fondamentaux pour toute société: travail et performance, liberté et excellence, égalitarisme déconnecté du réel, démonisation de l'argent, etc.
Refus du fatalisme
M. Sarkozy a insisté sur son refus du fatalisme et l'accent qu'il entend mettre sur l'action rapide. Ses propos sur le caractère presque sacré de la fonction de président d'une Ve République dont, contrairement à ses deux principaux adversaires, il n'a pas remis en cause les institutions, incitent à penser qu'il se situera dans la tradition gaullienne du pouvoir: les Français y restent attachés et en ont besoin pour changer sans se dissoudre en factions partisanes. Rappelons que De Gaulle lui-même avait été accusé par ses adversaires d'être instable et de vouloir se faire dictateur. Sarkozy pourra utiliser ce pouvoir pour enclencher le vrai changement, prouver que la France est capable de se transformer sans attendre le drame, procéder à ces prosaïques mais indispensables réformes que le pays a toujours eu plus de difficulté à réussir que ces grands bouleversements pleins de bruit et de fureur, qui le laissaient épuisé et affaibli.
Le nouveau président devra éviter l'écueil sur lequel s'est échoué pendant 12 ans Jacques Chirac, lui aussi plein d'énergie au départ mais graduellement récupéré par un système sociopolitique fondamentalement conservateur. Le défi ne sera pas que de passer à travers ces cent premiers jours d'action que Sarkozy s'est audacieusement fixés à l'image de Napoléon: son prédécesseur a prouvé que l'on pouvait durer en politique sans grand bénéfice pour le pays. Un autre danger serait d'oublier que, sans revenir aux présidents fantoches des Républiques françaises antérieures, le rôle d'un président en 2007 est de faire passer dans la réalité les lignes directrices dont le pays a besoin sans entrer dans les détails, laissant le dynamisme de citoyens exceptionnellement éduqués, compétents et ambitieux faire le reste.
Fils d'émigré
Le nouveau président déborde d'énergie; l'amour de ce fils d'émigré hongrois pour une France " qui lui a tout donné " est évident. Mais au-delà de la compétence et de la rigueur, d'idées souvent justes et de projets de réformes nécessaires, Nicolas Sarkozy aura-t-il ce supplément d'âme, cette réserve personnelle de courage et de sagesse lui permettant de relever le défi qui est le sien au travers des incontournables crises mais en évitant les drames inutiles? Sera-t-il capable de faire comprendre aux Français que le changement n'est pas nécessairement menaçant ou tragique, alors que tout leur esthétisme depuis 400 ans associe changement et drame? Nicolas Sarkozy ne saurait oublier que les Cent Jours de Napoléon se sont terminés à Waterloo. Sera-t-il un réformateur de plus qui échoue, un autre Français trop cassant dans une société trop cassante, incapable de s'ouvrir efficacement aux exclus de toutes sortes, surtout quand ils viennent d'ailleurs et sont musulmans?
On souhaite bonne chance à ce grand peuple mal-aimé dont nous sommes issus et qui nous semble parfois si proche et si lointain tout à la fois. On ne saurait se défendre d'une certaine envie pour la grandeur des défis qui l'attendent. On rêve d'un gouvernement québécois qui serait clairement investi d'un tel mandat de changement pour nous sortir de la médiocrité qui monte. Ne serait-ce que pour que nos " drames nationaux " ne soient pas exclusivement dans l'avenir de gris viaducs qui s'effondrent.
L'auteur est chercheur à l'ENAP et auteur du Défi français (Septentrion).
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