À quelques encablures de l'arrivée, rien n'est joué encore dans l'élection présidentielle en France. Pourtant, rien n'interdit de se projeter vers l'avenir, et d'envisager l'évolution du système politique français après cette élection, que suivront immédiatement des législatives à l'issue elle aussi bien incertaine. Trois hypothèses, les plus crédibles, peuvent nous aider à réfléchir.
La première, la plus vraisemblable, est celle d'un duel de deuxième tour (le 6 mai, donc), entre le champion de la droite, Nicolas Sarkozy, et sa concurrente à gauche, Ségolène Royal. Le vainqueur verra vraisemblablement son parti, l'UMP pour l'un, le PS pour l'autre, remporter dans la foulée les élections législatives. Et quoi qu'il arrive, c'est du côté du Parti socialiste qu'il faudra regarder pour observer les résultats les plus étonnants. Si Ségolène Royal l'emporte, en effet, elle remettra sur les rails un PS aujourd'hui décomposé, mais où seront réactivées les oppositions internes qui l'avaient amené à donner son investiture à une quasi outsider.
Une double victoire (présidentielle et législative) de la gauche signifiera donc un étrange PS, à la fois revigoré et gelé dans ses tendances et leurs rapports de force. C'est pourquoi aujourd'hui, dans l'appareil socialiste, le double discours est souvent de mise: on affiche en public un soutien sans faille à la candidate du parti, et en privé, on en dit pis que pendre. La victoire de Ségolène Royal ne permettra certainement pas à cet appareil de sortir de sa schizophrénie actuelle.
Si elle est battue largement, le PS, au contraire, entrera dans une phase d'ébullition et de crise rapide, et des changements considérables pourraient le conduire soit à l'éclatement, soit à une refondation, du type de celle qui l'avait totalement relancé lors de son congrès d'Epinay en 1971. Et si Mme Royal est battue, mais de très peu, c'est plutôt le scénario d'un gel qu'il faut envisager, car elle tentera de maintenir les choses en l'état en se présentant comme la patronne légitime du Parti que son compagnon François Hollande a jusque là dirigé, et qu'elle pourrait conduire à la victoire dans cinq ans puisqu'il lui aura manqué bien peu cette fois-ci.
Duel Sarkozy-Bayrou
La deuxième hypothèse est celle d'un duel entre Nicolas Sarkozy et François Bayrou, si celui-ci parvient dans la dernière ligne droite avant le 22 avril à remonter dans les sondages. Dans ce cas, le plus vraisemblable est une victoire du candidat centriste. Celle-ci ne mettra évidemment pas fin au clivage gauche/droite, elle le transformera, François Bayrou s'efforçant vraisemblablement de pousser à la mise en place d'une force centriste, un parti «démocrate» a-t-il dit, qui ne pourra exister qu'en intégrant des éléments venus de la gauche et de la droite. Du coup, ce qui subsistera du PS comme de l'UMP sera appelé à se durcir idéologiquement. Si Nicolas Sarkozy l'emporte, on retombe plutôt dans un scénario relevant de la première hypothèse envisagée.
Enfin, il ne faut pas exclure un «remake» de 2002, avec au deuxième tour Jean-Marie Le Pen face à Nicolas Sarkozy, qui l'emportera alors largement. Dans ce cas, la crise du PS sera brutale et totale, et la capacité de François Bayrou à construire une force centriste, ou de centre-gauche, dépendra du score qu'il aura obtenu au premier tour.
Ainsi, rien n'est joué, et au-delà de l'élection présidentielle, il faut bien voir que sont en cause, dans la période présente, le système politique et ses transformations à venir. La France vit l'épuisement des modalités actuelles de l'opposition gauche/droite, ce que viennent signifier aussi bien les candidatures extrémistes, à commencer par celle de Jean-Marie Le Pen, que celle, centriste, de François Bayrou. Si elle attend beaucoup de l'élection présidentielle, c'est parce que, plus ou moins confusément, elle ressent le besoin d'en finir avec la crise actuelle de la représentation politique.
Michel Wieviorka
L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.