Imagine-t-on Jean Charest s'offrant une retraite dorée pour rédiger son discours du Trône dans un somptueux chalet gracieusement offert par Paul Desmarais? Ou George W. Bush prenant quelques jours de vacances à Hawaii aux frais d'un magnat du pétrole?
C'est pourtant ce que vient de faire Nicolas Sarkozy sitôt élu en s'envolant à bord de l'avion personnel de Vincent Bolloré pour passer trois jours de rêve sur son yacht de 60 mètres, le Paloma, au large de Malte. Ses proches confirment naïvement qu'il était l'«invité» personnel de ce multimillionnaire dont le nom circule pour le rachat de TF1 et qui est propriétaire de la chaîne de télévision Direct 8 et du quotidien gratuit Direct Soir.
Ce geste illustre bien dans quelle bulle vit toujours l'élite française, fût-elle «décomplexée». Le «conflit d'intérêts» ne fait pas plus partie de son vocabulaire qu'à cette époque où Alain Juppé logeait des membres de sa famille dans des appartements de la Ville de Paris et où Jacques Chirac voyageait, lui aussi, aux frais de ses riches amis. C'est ainsi qu'on détruit de l'intérieur la crédibilité des meilleurs discours politiques, ainsi que l'a fait Jacques Chirac pendant 12 ans. Même le philosophe Alain Finkielkraut, jusque-là plutôt admiratif du futur président, écrivait hier dans Le Monde: «Pendant trois jours, il nous a fait honte.»
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Heureusement, il n'y a pas que cela à retenir de cette campagne exceptionnelle. Souhaitons que l'insouciance de Nicolas Sarkozy n'en fasse pas trop vite oublier les points forts.
On raconte que certains membres des partis démocrate et républicain des États-Unis se sont empressés d'examiner la campagne française sous toutes ses coutures. De la présence d'une femme dans la course à l'apparition d'une droite «décomplexée» devant une gauche qui tente de s'extirper de ses dogmes, la France nous a offert une belle leçon de politique. Les experts américains ont raison. Et les Québécois ne doivent pas se gêner pour tirer, à leur façon, leurs propres leçons de ce scrutin.
Parmi ces leçons, il faut retenir qu'on ne part pas en campagne électorale sans un parti en état de marche. Ce n'est pas André Boisclair qui le dit mais de nombreux responsables socialistes français. Ségolène Royal, qui vient en quelque sorte de redonner le statut d'opposition officielle à son parti, s'est lancé à l'assaut de l'Élysée sans avoir pu mettre son parti à sa main et, surtout, sans que celui-ci ait achevé sa rénovation après les échecs de 1995 et 2002.
Cette élection nous a aussi appris que les partis ne se réveillent pas non plus par magie. Au PS comme au PQ, les beaux grands débats démocratiques se terminent souvent en queue de poisson. Il aura fallu l'audace de la candidate pour imposer une conversion vers le centre à des «éléphants» qui attendaient patiemment que le jeu de l'alternance leur redonne le pouvoir. Autre leçon à retenir: Ségolène Royal n'est pas allée chercher sa nouvelle légitimité auprès des états-majors mais dans la population et surtout dans cette jeunesse des quartiers pauvres qui l'a portée pendant toute la campagne. C'est là et pas ailleurs que réside la promesse d'un renouveau du parti.
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Le retour de l'identité nationale est l'autre grande leçon de cette campagne. Nicolas Sarkozy en a souvent fait un sujet de démagogie juste bon pour harceler les immigrants, mais le fond des choses reste le même. Les peuples ne peuvent pas se passer du ciment national. À plus forte raison lorsqu'ils sont minoritaires, ce qui n'est pas le cas de la France. C'est en cette matière que Sarkozy a le plus contribué à «décomplexer» non seulement la droite mais aussi et du même coup une partie de la gauche, qui a regagné le droit de brandir son drapeau et de chanter son hymne national.
Gardons-nous de parallèles trop simples entre une vieille nation majoritaire dont l'identité n'est pas menacée et qui, dans l'histoire, a eu quelques bonnes raisons de se repentir et une jeune nation presque vierge dont la survie n'est toujours pas garantie. Pourtant, si un peuple majoritaire comme la France, dont personne ne remet en cause la survie, sent le besoin de renouer avec son identité, que faut-il dire de ces souverainistes qui ont depuis longtemps abandonné tous les sujets identitaires? Sans sombrer dans la démagogie, le Québec a plus que besoin d'un nationalisme décomplexé, capable d'exprimer les inquiétudes d'une population dont la place en Amérique du Nord n'est pas plus assurée aujourd'hui qu'hier. Où était le PQ pendant que Montréal se bilinguisait, pendant qu'on introduisait l'enseignement de l'anglais en première année, qu'on saccageait les programmes d'histoire, que Justin Trudeau souhaitait l'abolition des écoles françaises et que les vieux loyalistes canadian fêtaient la naissance de «leur» pays à Vimy?
Reconnaissons à Nicolas Sarkozy le mérite d'avoir su s'identifier culturellement à son peuple, parfois même jusqu'à la caricature, et d'avoir su faire résonner un sentiment d'appartenance qui a d'ailleurs forcé la gauche à se redécouvrir, elle aussi, des racines identitaires. On aura noté que ce ne fut pas la qualité première des derniers dirigeants du Parti québécois, qui portaient pourtant sur leurs épaules un projet national beaucoup plus lourd. On ne fait pas de politique en cherchant à poser en leader cosmopolite, interchangeable, bon pour tout les pays et pour tous les peuples. Ni en se taisant sur des questions aussi cruciales que l'immigration, l'omniprésence de l'anglais et la survie d'une langue.
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Les Québécois doivent surtout retenir de cette élection qu'il ne faut pas hésiter à poser les questions qui fâchent. Il faut le faire en évitant le climat de guerre civile que cultive Nicolas Sarkozy. Mais on ne le fera jamais sans sortir de la «bien-pensance» multiculturelle de gauche, qui tue dans l'oeuf tout débat et dans laquelle le Québec nage depuis si longtemps.
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