La lutte

Friction entre modernité et postmodernité dans le combat pour la langue

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!


J'ai lu avec attention les textes stratégiques de Monsieur Le Hir et les remarques sur la langue de Monsieur Gervais, et je ne peux m'empêcher de me poser les questions suivantes : comment les Québécois peuvent-ils accepter que les politiciens de la province dévalorisent à ce point leur langue, leur culture ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas un engouement plus fort pour la langue ? Pourquoi le projet de loi 103 ne soulève-t-il pas un tollé aussi puissant que celui qu'ont déclenché les magouilles autour du recensement ? Pourquoi Courchesne n'a-t-elle pas reçu la volée de bois vert qu'elle méritait lorsqu'elle a trafiqué les calendriers scolaires pour les écoles juives orthodoxes au lieu de les mettre au pas ?
En lisant Vadeboncoeur et Miron, on comprend que c'est cela, être colonisé ; les malheurs que je décris sont des symptômes, pas des causes. En lisant Philpot, Falardeau et Lester, on en apprend un peu plus sur les médias et les techniques par lesquelles leurs propriétaires nous maintiennent dans ce mal. Enfin, une lecture des « Normes » de l'historien Maurice Séguin nous aide à voir la structure politique par laquelle notre nation est assujettie, et par là, nous comprenons que « qui n'agit pas par lui-même meurt à petit feu » (la citation est reproduite de mémoire). Les troubles décrits ci-haut sont caractéristiques de cette mort lente.
On pourrait penser que ce petit tour d'horizon circonscrit bien la problématique de notre immobilisme, mais en lisant l'excellent numéro spécial #101 de la revue « Liberté », publié en 1987 et intitulé « Watch ta langue » (que j'ai eu envie de consulter à la suite de mes lectures sur Vigile), j'ai été sidéré par la qualité et la force de la pensée des auteurs qui y avaient contribué. Imaginez que Beauchemin, Miron, Larose, Vadeboncoeur, Castonguay, Bissonnette, Ricard et j'en passe se partagent une « Tribune libre » l'espace d'une semaine, et vous aurez une idée de la valeur qu'arrive à condenser cette petite revue.
Voici un aperçu :
« C'est aux Chartes des droits des personnes (québécoise et canadienne) que la Loi 101 n'a pas résisté. Cette confrontation fatidique de la loi 101 avec les Chartes des droits de la personne est cruciale. La Loi 101 est la volonté d'un parlement face à un enjeu social saisi dans son contexte socio-politique, un contexte qui est pour le moins complexe ; les chartes sont l'érection en loi d'un principe abstrait, celui de la liberté. Les deux ordres, une législation parlementaire et une loi fondamentale, ne sont pas -ni dans leur contenu, ni dans leur signification juridique- réconciliables. » [...]
« Dans notre contexte géo-culturel à nous, le fait que nous ayons épousé, au Canada et au Québec, le concept d'une charte des droits de la personne érigée en loi fondamentale est une nette manifestation de notre colonisation culturelle par l'Amérique. Où les institutions parlementaires britanniques auraient permis la défense du caractère particulier de notre collectivité, le principe américain de la liberté n'admet pas les particularismes, sauf au niveau de l'individu. [...] Le drame est qu'on ne peut pas, nous le répétons, vivre au diapason de la charte (le Québec en a une à lui) et de la Loi 101 en même temps : il va falloir choisir. Autrement, la particularité du Québec, dont le dénominateur commun le plus évident est la langue française, disparaîtra ; et le Québec, n'ayant plus d'avenir comme nation, sortira de l'histoire laissant en arrière des Québécois entièrement « libérés », de futurs Kérouac de l'Empire. »
(CALDWELL, Gary. La loi 101 contre les chartes des droits de la personne, Liberté, 1987.)

Une telle précision, une telle acuité me séduit, mais ce qui me trouble, c'est de penser que ce texte a 23 ans, qu'il soit criant d'actualité et qu'on en ignore collectivement les conclusions. Comment l'expliquer ? Une piste que l'on n'explore pas assez est la confrontation entre les valeurs de la postmodernité et celles de la modernité, et le fait que le Québec soit un des théâtres d'opérations de cette lutte.
On utilise beaucoup les termes « moderne » et « postmoderne » et je crois que même chez les érudits, on est victime d'une certaine confusion quant aux référents respectifs de ces deux termes.
La modernité est héritière des Lumières et elle est assise principalement sur 3 métarécits : la raison, la science et l'Histoire. La modernité se caractérise donc par le rejet des superstitions et des croyances comme ciment communautaire pour lui préférer des valeurs humanistes empreintes de rationalité. Une société moderne est donc une société qui, lorsqu'elle est confrontée à des défis, des problèmes, s'en remet à un exercice de délibération régi par la raison, la science et l'Histoire. La nationalisation de l'électricité est un excellent exemple d'une décision moderne : les préjugés à l'effet que nous n'en n'étions pas capables ne tenaient pas debout et c'est par une compréhension juste de l'histoire que nous avons compris la nécessité d'une telle démarche, quant à la science, nous avons saisi l'occasion de développer une expertise unique. La modernité permet donc de développer des structures, des hiérarchies claires par lesquelles il est possible de saisir la réalité, voire de permettre à l'homme de contrôler son environnement, et au peuple, son gouvernement. On comprend mieux pourquoi la revue de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre s'appelait « Les temps modernes ». La modernité permet aux individus de se libérer des contingences qui les oppressent : les êtres humains sont dignes et peuvent changer les choses s'ils s'investissent. On comprend mieux aussi, que la Révolution tranquille fut moderne.
La postmodernité est plus difficile à définir, mais on peut dire qu'elle est une conséquence de la modernité, sans pour autant être aboutissement, il s'agit plutôt d'un accident.
La modernité donne une souveraineté aux individus, la modernité est synonyme de démocratisation de l'enseignement, mais si les individus se retrouvent dans un monde moderne sans les clés de compréhension de cette dernière, c'est-à-dire sans une compréhension juste du fonctionnement de celle-ci, donc du rôle primordial de la raison, de la science et de l'Histoire, ils perdent leur repères. La postmodernité a donc pour origine la contestation, le chaos et l'instabilité qui ont caractérisé les années 60. Les énergies dissidentes (et porteuses d'espoir) ont ensuite été récupérées par les diverses autorités dans les années 70, un bon exemple de cela pourrait être la démission de Nixon, qui montre en apparence une victoire de la société civile, alors que les structures corrompues sont restées en place.
Ainsi, on peut qualifier la postmodernité comme l'expression collective d'un doute face aux métarécits de la modernité, lesquels sont remplacés par d'autres piliers : le plaisir, la diversité et la tolérance. Ces nouveaux moteurs engendrent à leur tour une fragmentation des structures, des collectivités et des individus, une exagération de l'individualisme et surtout, permettent l'émergence d'un relativisme moral et scientifique.
Le rejet des valeurs et des structures traditionnelles, provoqué par les forces modernes, a créé un vide. Ce dernier, plutôt qu'être remplacé par un projet plus enraciné, dans l'effervescence des changements sociaux propres aux années 60, a été « rempli » par la consommation et la multiplication des médias de masse. Pendant que les individus devenaient de plus en plus atomisés, ils devenaient soumis aux nouvelles structures économiques, voilà un peu le gouffre par lequel les valeurs de la postmodernité se sont instillées dans nos vies.
La lutte pour l'enseignement du créationnisme, le bilinguisme, le multiculturalisme sont des excroissances de la postmodernité. La réforme scolaire au Québec en est un bon exemple. Dans la grande diversité sans structure d'une connaissance étalée comme dans un marché, des experts en pédagogie ont déduit que le constructivisme (un paradigme intéressant en épistémologie ou en science très pointue) pouvait devenir LE paradigme en éducation, les connaissances étant désormais étiquetées comme « socialement construites », il faut désormais favoriser la construction de connaissances par le biais d'une approche par « compétences » (de champs et d'objets transversaux ?!?), et ce, au mépris de l'expertise disciplinaire. Ce sont désormais ceux qui maitrisent ce jargon qui dirigent en éducation et non les spécialistes des disciplines, de toute façon, elles n'existent plus, ce sont maintenant des « champs ».
Le grand cafouillage de la réforme est exemple institutionnel des fractures que provoquent les tiraillements entre modernité et postmodernité. Un projet aux visées postmodernes est venu s'opposer aux valeurs et aux structures modernes des écoles qui avaient précisément insisté sur un renforcement des matières essentielles. Écrire un long texte sur Vigile est moderne, changer son statut sur « Facebook » toutes les heures est postmoderne. « Bazzo » est généralement moderne, « Tout le monde en parle » est postmoderne. Prendre un café avec un ami pendant 2 heures est moderne, se réunir à 12 dans un bar, sans rien se dire ; 12 solitudes qui palpent leur portable, c'est définitivement postmoderne. Rien ne correspond plus à l'essence de la postmodernité que cette idée des jeunes qui font du « multitâche » devant leur ordinateur. Cet exemple permet de voir que la postmodernité écrase toutes les hiérarchies (c'est le relativisme).
Des Montréalais (francophones ou anglophones) qui se disent tels plutôt que de se définir comme Canadien ou Québécois, qui ignorent précisément l'histoire et qui ne comprennent pas la portée politique de leur nouvelle adhésion ne comprennent même pas, dans leur désir d'éviter la division, qu'ils choisissent sciemment de renforcer l'identité canadienne et le fédéralisme, qui se disent partisans d'une culture universelle, sans même connaitre la leur, sont, vous l'aurez compris POSTMODERNES.
L'éthique moderne demande des efforts, il faut lire, s'informer, discuter et continuellement interroger l'Histoire ; la postmodernité, en privilégiant le plaisir penche plutôt pour le confort, celui que vante IKÉA dans les publications postmodernes que sont les catalogues... La tolérance et la promotion de la (fausse) diversité sont le corollaire de cette paresse. En contrepartie, on invente des catégories fourre-tout, comme des sauces méditerranéennes, mais on ne s'intéresse pas vraiment aux particularités : on drague le « bel Arabe » dans un bar, mais est-on vraiment intéressé par ce qu'il va nous dire sur son l'histoire libanaise, sommes-nous intellectuellement équipés pour comprendre la différence entre Chiites et Sunnites ? Comment parler de la poésie perse d'Omar Khayam si on ne connait pas soi-même la poésie française ? Le relativisme moral permet à tous d'avoir raison et condamne de facto les radicaux, sans les écouter, leur extrémisme étant la preuve de leur intolérance. C'est donc un vecteur de paix sociale, mais à qui profite-t-elle ? Derrière l'humanisme du mélange tolérance-diversité se cache un marché qui veut nous faire acheter du Coke ou du Pepsi, mais surtout, à nous faire acheter, voilà à quoi se résume la diversité, car la postmodernité est, par-dessus tout, commerciale. Vous aurez compris que la rectitude politique est... postmoderne.
Mon intuition est que le Québec est entré dans la modernité au même moment où commençait le bouillonnement de la postmodernité. C'est peut-être le cas de bien des nations, mais la nôtre était particulièrement vulnérable, son entrée dans la modernité se faisait sur le tard. Paradoxalement, cette postmodernité a permis au fond conservateur de perdurer et par là, a bloqué les forces modernes
Cela demeure encourageant : la lutte pour l'indépendance est un projet RÉSOLUMENT moderne, lors des batailles précédentes, nous n'avons donc pas été vaincus seulement par l'adversaire ou la peur, mais parce que se jouaient d'autres forces historiques qui tendaient à dépolitiser la population et à conforter dans sa quête de facilité. L'apathie n'est pas québécoise, n'est pas liée à la popularité de nos idées, elle est générale.
Alors que mon père a fait du militantisme en 80, il n'a pas bougé en 95, pourquoi ? Parce que 15 ans de postmodernité causent des ravages. Qui était-il, à l'ère du relativisme pour cogner chez le voisin pour le convaincre ? Tout se vaut, non ? Et puis, il faut être tolérant. N'est-ce pas ? Et puis, le gouvernement va la faire, lui, l'indépendance. Voilà l'effet des valeurs postmodernes. Quand nos adversaires diffusent des preuves que notre projet stagne, il faut se rappeler qu'en 2010, tout projet politique stagne. C'est une tendance mondiale à laquelle nous ne pouvons échapper. Ainsi, contrairement aux années 60 et 70, le Canada n'est pas plus capable de se réformer sans nous. Le déficit démocratique du Canada, son assujettissement à une vision commerciale et puérile sont des défis qu'il doit relever, y arrive-t-il mieux que nous arrivons à faire l'indépendance ? Nous sommes beaucoup plus près des leviers qu'il nous manque que ne l'est le Canada. C'est d'ailleurs notre dépar
t qui va créer des occasions de réforme. N'est-ce pas triste ?
Maintenant, il n'en tient qu'à nous de démontrer que la postmodernité était un épisode temporaire de la modernité et je crois que le remède à la postmodernité, c'est d'insister justement sur les valeurs de la modernité. La raison, la science, l'Histoire, quand elles sont bien maniées démembrent absolument les construits postmodernes, mais il faut d'abord comprendre sur quoi ils reposent.
Nous sommes un peu loin de notre point de départ, mais je cherchais à comprendre pourquoi nous n'arrivions pas à défendre correctement notre langue, j'ose espérer qu'avec une clarification des concepts de modernité et de postmodernité, nous pourrons enrichir les réflexions et les argumentaires en faveur du français et de l'indépendance. En utilisant les termes appropriés, nous augmentons la qualité et la profondeur de nos analyses. C'est cela aussi, la richesse de la langue...
Je tiens aussi souligner que les concepts que j'ai utilisés proviennent de la présentation d'un enseignant, Jean-Louis Lessard, que je remercie chaleureusement. Et je termine en soulignant, à l'aune de cette réflexion, combien était à propos la phrase de Paul Martin : « le Canada est le premier pays postmoderne », ça donne envie d'en sortir !
Auteur : L'engagé


Laissez un commentaire



15 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    19 août 2010

    J’ai lu votre commentaire, au complet, en fouillant dans mes dictionnaires et sur Internet. En plus, je ne vais pas sur « facebook », je n’écoute pas Tout le monde en parle, et je déteste la grande gueule qui l’anime… il faut croire que je suis moderne, du moins je l’espère.
    Je considère que nous vivons, en 2010, sous le règne de l’insignifiance. La pensée, les idées, la réflexion, sont proscrites. La médiasserie, qui nous dit quoi ne pas penser, a fait de nous, des automates. Souvent, je me demande comment il se fait que nous ayons connu un tel recul, après toute cette effervescence « des années 60 et 70 ». Nous aurions dû, au contraire, évoluer, dépasser le moderne, étendre aux classes pauvres et moyennes, ce que les Révolutions française et américaine avaient réservé à la bourgeoisie… votre texte répond, en partie, à ma question.
    Merci !
    Michel Rolland

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    19 août 2010

    Le communisme et la postmodernité islamisante

    « La Corée du Nord est le purgatoire de l'internet, ses 23 millions d'habitants devant se contenter d'une poignée de connexions à la Toile. Un directeur d'usine a même été exécuté en 2007 parce qu'il avait fait des appels internationaux non autorisés. Mais cela n'empêche pas le royaume ermite de souscrire aux dernières tendances des communications sociales. Le Parti communiste nord-coréen vient d'ouvrir des comptes Twitter et YouTube. »* Mathieu Perreault (journaliste)
    L'avenir ne réserve plus autant de promesses… aux antiaméricains-islamophiles
    Mais la Corée du Nord n’est pas l’unique régime totalitaire opposé à Internet. En effet, Cuba est aussi de ces régimes qui ridiculisent et bannissent la liberté d'expression puisque ce goulag caribéen ne veut pas que le régime communiste soit contesté par quiconque. En conséquence, il procède à la censure d'Internet afin d’éviter que les Cubains utilisent ce réseau d’information permettant de communiquer librement. Car, aussitôt qu'est détecté un Cubain ayant fait une « Utilisation illégale d'Internet », il est arrêté et emprisonné. Cuba n'est pas le seul pays à procéder de cette façon contre la postmodernité. Citons aussi la Chine, l’Iran, l'Arabie Saoudite… que les néo-marxistes-islamophiles considèrent tant lorsqu’ils vivent dans les pays démocratiques.
    JLP
    -..-..-..-..-..-..-
    *. Pour plus de détails, consulter La Corée du Nord sur Twitter
    http://www.cyberpresse.ca/international/asie-oceanie/201008/19/01-4307802-la-coree-du-nord-sur-twitter.php

  • Archives de Vigile Répondre

    19 août 2010

    L'engagé, quand vous faites ce bref rappel: "Quelqu’un l’a écrit ici, le jour où nous grouperons notre tir contre nos adversaires, la victoire sera proche" , j'aime à croire que vous avez en tête ma réplique sous "Au risque de choquer" (Le Hir):
    "Il ne reste plus qu’à identifier l’organisme capable d’oeuvrer à l’organisation d’une première rencontre de toutes ces personnes."
    Voilà ! Les soldats piaffent ! Ils ont répondu nombreux à des tirs de pratique : marche pour l’indép, 24 mai, rassemblement à pleine capacité au Monument national, création de sections régionales (Montérégie, etc.) du Mouvement Montréal Français, et d’autres, dont le Moulin à Paroles et tous rassemblements de Résistance à la Monarchie et à la canadianisation...
    Les Québécoises et Québécois attendent le mot d’ordre pour un tir regroupé. Ils veulent faire mentir les statistiques patentées par les médias conscrits : nous sommes majoritaires à refuser de disparaître. Que les vrais chefs se manifestent ! Nous ne subirons plus la domination fédérale dans ses référendums truqués ! Octobre, c’est un mois si inspirant !
    Ouhgo (O)
    p.s. La suggestion fusa de M.L.: cet organisme, c'est le R.I.N. !

  • Archives de Vigile Répondre

    18 août 2010

    Bien! En moins d'une journée, je n'ai jamais vu autant de lumière dans l'obscurité. Merci M. Claude G. Thompson pour votre texte et cet ajout tout à fait pertinent au texte de l'engagé. En peu de mots, nous avons pu retourner dans le temps avec simplicité...
    Quand le PM du Québec parle, je fais le bilan de ces mots savamment choisis, et j'arrive toujours à une somme égale à zéro. Il parle et ne dit rien.
    L'engagé + M. Claude G. Thompson égale deux. Enfin un bilan fort positif.
    Merci à Vigile.
    Saint-Irénée

  • L'engagé Répondre

    18 août 2010

    J'ai commencé à lire le texte sur Emmanuel Todd et je remercie Monsieur Audet d'avoir indiqué un lien, je vais devoir le relire, mais je vois que certains des aspects soulevés répondent clairement aux lumières que Luc Potvin apportait dans son commentaire.
    Je n'ai en effet pas parlé des dérives liées à «la dictature des marchés», de son corolaire, la surconsommation et de la mondialisation. J'ai désolidarisé le thème postmodernité/modernité de la question économique parce que c'était déjà une question complexe, mais il faudra bien rassembler ces pièces. «Les Vraies lois de l'économie» de Jacques Généreux indiquent des clés pour que l'on comprenne la nature de notre assujettissement aux dictats des décideurs financiers. Par ailleurs, les grilles marxistes, malgré leurs failles était un outil moderne : rationalité (la dialectique), science et enracinement dans l'histoire, il ne faut pas hésiter à se les réapproprier. Avec la grande peur de la dette de l'hiver dernier, lors du dépôt du budget, il faudra bientôt faire le procès de ceux qui nous annoncent les huissiers, nous obligeant, d'une manière très postmoderne à perdre notre esprit critique.
    La roulette de la dette de l'Institut économique de Montréal est le genre de bêtise postmoderne que je dénonce.
    Quant à Monsieur Thompson, il propose une vision plus incarnée des conflits modernité/postmodernité, vision qui sous-tend la récupération, par certaines élites de la notion de progrès et de rationalité. C'est ainsi que dans la modernité, on a négligé effectivement un rapport plus organique ou solidaire de l'humain avec son milieu. Heureusement, ce sont précisément les scientifiques ayant à coeur le futur de la planète qui renouent avec les intuitions ancestrales.
    Enfin, Monsieur Presseault propose carrément le titre d'un essai qu'à défaut d'écrire, que j'aimerais énormément lire. Je n'ai lu qu'un livre de Aquin, «L'invention de la mort», lequel nous livrait un coeur déchiré. Il y a dans le tragique d'Aquin, l'idée que les âmes innocentes sont jetées en pâture aux furies qui habitent «un royaume pourri».
    Le propre de la modernité est d'éviter de donner à l'homme l'occasion de se saisir, Aquin semble privé d'un sens qu'il cherche à tout prix.
    Notre propre sentiment d'incapacité à nous libérer à quelque chose de tragique, c'est pourquoi il nous faut redoubler de lucidité (la bonne, celle de Séguin, pas celle de Bouchard), nous ne devons pas ployer sous le poids d'un sentiment passager. Croire en la modernité peut nous redonner un ascendant, nous ne sommes pas obligés d'être des victimes. Au contraire, nous devons sobrement nous montrer fiers chaque fois que nous progressons.

    Quelqu'un l'a écrit ici, le jour où nous grouperons notre tir contre nos adversaires, la victoire sera proche. J'aime penser qu'ici, nous assemblons les munitions.
    Je préfère nous voir comme des réalistes, comme des travailleurs capables d'accomplir avec vaillance et régularité les moissons de l'indépendance.

  • Élie Presseault Répondre

    18 août 2010

    Salut L'engagé,
    Je vous remercie de contribuer à enrichir les débats par l'écriture d'un premier texte solide et de commentaires tous aussi étoffés les une que les autres.
    Quant à votre interrogation moderne-postmoderne, je vous relance la question... seriez-vous en mesure de me dire si l'ensemble des contributions littéraires et textuelles d'Hubert Aquin sont empreintes de postmodernisme et visent à rétablir l'importance d'une révolution moderne?
    Également, pour parler de postmodernisme, parlons-nous de lutte néocapitaliste et d'abstraction intellectuelle qui tendrait à légitimier le nouvel ordre mondial?

  • Claude G. Thompson Répondre

    18 août 2010

    Monsieur « l’Engagé ».
    Merci pour ce superbe et éclairant exposé.

    Je vois dans le postmodernisme, du point de vu de l’évolution des mentalités, une forme de révolte par la « fuite en avant », causée par l’usure des piliers mêmes du modernisme que sont la raison, la science et l’histoire. Ce triptyque hérité du Siècle des lumières a magnifié la fonction « pensée » et favorisé l’extraversion au détriment de l’introversion et des autres fonctions que sont le sentiment, l’intuition et la sensation. Non pas que les aspects secondaires et accompagnateurs de l’intuition et de la sensation aient été complètement négligés, cependant que la fonction sentiment se soit vue reléguer à un rôle inférieur, l’époque victorienne en étant un exemple particulièrement révélateur. La lente érosion des fonctions tenues en laisse a fini par ébranler les piliers du modernisme et a permis l’entrée en scène des mouvements sociaux d’après-guerre 39-45 alors qu’une génération d’adultes, découvrant soudain avec horreur à quoi l’usage unilatéral de la raison, de la science et des données de l’histoire dans la seule perspective de la raison et de la science avait mené l’humanité.
    C’est ainsi que naquirent le « rock and roll », le pop art, la pop-psychologie, les mouvements « peace and love », qu’entrèrent en scène les gurus indiens et leur exotisme, les thérapies alternatives et tout le cortège des valeurs de remplacement tant sur le plan des idéologies, des croyances ou des valeurs spirituelles, des religions et des philosophies que sur celui des rapports humains qui finirent par être englobés, mélangés et jetés en pâture à la « bonne leurs » aux internautes de la planète grâce au véhicule par excellence du postmodernisme qu’est devenu internet.
    Il y a dans le postmodernisme une nette présence de « pensée magique », ses raccourcis pseudoscientifiques, ses mises en perspectives historiques tronquées et superficielles, ses raisonnements simplistes manquant de profondeur et frisant souvent la malhonnêteté intellectuelle, laissant la plupart du temps tomber la proie pour l’ombre et remplaçant quatre trente sous pour une piastre.
    En 1957, dans un petit ouvrage intitulé “Présent et avenir” Carl Jung écrivait :
    […Personne ne peut nier que sans psyché le monde n’existe pas, et en tout cas pas le monde des hommes. Tout pour ainsi dire dépend de la psyché humaine et de ses fonctions. Elle devrait donc nous sembler digne de la plus haute attention, en particulier à notre époque où tout l’avenir, ses bonheurs et ses malheurs, dépend – tout le monde est d’accord sur ce point – non de la menace exercée par les animaux sauvages, les catastrophes naturelles ou les dangers d’épidémies universelles, mais uniquement des mouvements psychiques des hommes. Il suffit d’une perturbation presque imperceptible dans l’équilibre de quelques-unes de ces têtes qui mènent le monde pour le plonger dans le sang, le feu et la radioactivité. […] Plus l’homme s’est emparé de la nature, et plus l’admiration qu’il ressentait pour son propre savoir et pouvoir lui est monté à la tête et plus s’est approfondi son mépris pour les données irrationnelles de la vie, dans lesquelles il faut inclure la psyché autonome, objective, qui est précisément tout ce qui est en marge du conscient.]”
    Ces réflexions datent de 1957 et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles étaient prophétiques, les choses n’ayant cessé d’empirer depuis ce temps. Actuellement, c’est beaucoup plus que le sang, le feu et la radioactivité qui nous guettent ; la pollution et ses conséquences ayant déjà largement envahi l’environnement et menaçant notre survie. Bien au-delà de ces problèmes, il y a l’attitude que nous avons prise face à la vie sous toutes ses formes.

    Au postmodernisme devra nécessairement succéder une forme plus évoluée du modernisme prenant en compte le triptyque « écouter – comprendre – sentir » ; trois qualités à cultiver afin de mieux nous connaître nous-mêmes et d’ainsi enter en contact plus complet avec notre environnement.
    Le postmoderniste nous a fait découvrir un monde nouveau de sensations, en ouvrant la voie aux données irrationnelles de l’intuition et en laissant germer en nous un sentiment nouveau d’appartenance au monde dans lequel nous vivons. Mais en même temps, nous avons perdu contact avec la « réelle réalité » en nous laissant éblouir par les promesses qu’il nous laissait entrevoir. Chemin faisant, nous avons oublié qui nous étions et d’où nous venions.
    Les oscillations du pendule nous ramènent à nouveau au centre de nous-mêmes et, sans vouloir être trop optimiste, je préfère croire que nous trouverons la voie qui nous conduira vers un nouveau paradigme qui nous évitera de jeter une fois de plus le bébé avec l’eau du bain.
    Claude G. Thompson

  • L'engagé Répondre

    17 août 2010

    À tous : Merci sincère, je suis très touché.
    Réponse à une bonne question :

    La question qui me hante, toutefois, c’est celle-ci : la modernité ne devait-elle pas déboucher inévitablement sur la postmodernité ?
    La modernité permet l'émergence d'un relativisme parce que la modernité, capable d'ouverture, d'introspection sincère permet la distinction entre le sacré et le profane et remet également l'individu au centre. Elle ouvre donc en quelque sorte des espaces de dialogue et permet le partage du pouvoir. Les éléments conservateurs des sociétés qui deviennent modernes profitent donc des interstices. En ce sens, la modernité, sans une éducation de masse réussie, est fragile. S'il est vrai, qu'en art, le postmodernisme, soit une étape normale après le modernisme, c'est à cause de la notion de dépassement et d'une recherche sur les forme, mais c'est une notion distincte de l'application socio-politique que j'ai proposée.
    Vous avez donc tout à fait raison de dire que la modernité permet la postmodernité, la réponse à cette inquiétude est de former des «Vigiles» capables de revaloriser les valeurs de la modernité. L'épisode «postmoderne» deviendra ainsi une parenthèse plutôt qu'une catastrophe.
    En fait, votre questions montre la limite des concepts, ce sont les humains qui provoquent les forces historiques, pas l'inverse, nous ne devons pas leur être soumis, mais nous devons les comprendre afin de les corriger, car nous pouvons malgré tout être emprisonnés dans ces dernières.
    Par le contraste modernité/postmodernité, on voit mieux les barreaux de notre cage. En ce sens, je vois là des concepts utiles pour critiquer les contraintes politique et juridiques qui pèsent sur le Québec et sa langue et montrer sa singularité : le Québec est une entité moderne prise au piège dans une structure postmoderne. Ce constat permet de comprendre beaucoup de nos hésitations. Par exemple Bouchard/Taylor : les Québécois ont senti qu'on leur déniait des droit modernes, lesquels étaient pourtant garantis par la constitution, puisqu'il s'agissait de LA LOI FONDAMENTALE; on leur avait justement dénié le droit de légiférer sur leur langue, en regard de cette même loi, les revendications identitaires ou religieuses auraient dû s'effacer devant les principes, et pourtant ce ne fut pas le cas.
    Dans la modernité (peu importe la subtilité du droit), ce genre de schizophrénie n'est pas possible, le fait que l'on puisse concurremment dénier à la majorité un droit de légiférer sur sa langue tout en autorisant les minorités à recourir à des états d'exception ne s'explique qu'au nom d'un relativisme et d'une exagération des individus et cela ne se comprend uniquement que par la suppression de la notion d'«universel».
    La modernité, grâce à la science, valorise l'«universel». Dans la postmodernité, c'est un construit. Le Canada actuel, avec ses dichotomies, ne peut se tenir que s'il embrasse l'éthique postmoderne, c'est donc incompatible avec les aspirations modernes du Québec.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    Félicitations et merci pour ce très beau texte.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    Monsieur,
    Vous maniez bien la langue. Et elle vous sert bien (car vous semblez l'aimer). Oui, les idées modernes le sont toujours pour qui les rencontre. Un adolescent qui découvrira Proust et s'en délectera sera toujours moderne (comme Proust est intemporel). Le post de la postmodernité est dépassé. Vous l'avez bien montré. Cela dit, le chemin vers le désir sera long. Il ne faut pas se brusquer mais peaufiner ses armes (ses mots) afin de les utiliser à bon escient. Mais est postmoderne aussi cette non-identité derrière laquelle vous vous cachez.
    Nommez-vous pour qu'on vous voit en rase campagne! Ainsi, nous pourrons laisser tomber les armes, fraterniser et vous remercier de votre texte...
    André Meloche

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    Monsieur L'Engagé,
    Votre réflexion est très intéressante. Comme vous dites, il y a souvent confusion entre la modernité, héritage des Lumières, et la postmodernité, un sous-produit de la contre-culture de l'après-guerre.
    La question qui me hante, toutefois, c'est celle-ci : la modernité ne devait-elle pas déboucher inévitablement sur la postmodernité ? Vous en parlez comme d'un accident. Peut-être avez-vous raison. Mais comment aurait-on pu, une fois sur le chemin de la modernité, ne pas aboutir à la postmodernité ? C'est qu'au coeur de la modernité, outre la raison et la science, il y a aussi, du moins me semble-t-il, le capitalisme.
    Or, comme le répétait feu Michel Chartrand, le capitalisme, ce n'est rien d'autre que la maximisation des profits par tous les moyens et dans le mépris de tout autre objectif que la rentabilité. Il s'ensuit que, si le capitalisme a pu, à l'origine, soumettre le peuple à une frugalité sévère et même cruelle, il n'allait pas tarder tant que ça à comprendre que son avenir résidait dans l'hédonisme de masse.
    Ainsi, quoi qu'on en dise, l'atomisation de l'individu et la destruction des identités collectives, notamment de la nation, c'est sans doute de la postmodernité et non de la modernité, mais ça ne coïncide pas moins avec la logique profonde d'un des principaux vecteurs de la modernité, le capitalisme.
    À moins qu'il y ait lieu de penser qu'il y aurait pu y avoir une modernité sans capitalisme, sans ce capitalisme qui portait en germe une postmodernité dangereuse pour la modernité elle-même...
    Ah ! Ah ! Là, on a, grâce à vous, une autre bonne piste de réflexion. En tout cas, chose sûre, comme le soutenait encore Chartrand, l'épanouissement de la nation est inconciliable avec le renforcement du capitalisme. Le capitalisme ne veut rien d'autre que des individus déracinés et prêts à consommer n'importe quelle camelote. C'est pourquoi, sauf rarissime exception, ses agents, ses représentants et ses principaux bénéficiaires raffolent tant de la postmodernité.
    Enfin, dernière remarque, si on s'entend pour dire que le capitalisme, c'est la droite, alors il est clair que, quoi qu'on puisse en penser et malgré certaines apparences bien superficielles, la postmodernité et tout ce qu'elle charrie, à commencer par le multiculturâlage, ce n'est pas la gauche, non, tout cela c'est la droite.
    Luc Potvin
    Verdun

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    Je vous remercie beaucoup de ce texte qui est d'une grande profondeur.
    Et pendant ce temps, nous sommes 56 petits riens du tout à l'avoir lu, et trois ou quatre à le commenter.
    Combien y auront réfléchi ?
    Dans la Post-modernité, on ne pense plus beaucoup à ce qu'on va faire, et c'est sans penser que Gerry commence à afficher babylingue sur les trottoirs de Môrial.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    Grand texte qui nous éclaire dans ce moment obscur de l'histoire et de la nôtre.
    Je venais de relire pour une xième fois le texte de ce lien http://www.vigile.net/Apres-la-democratie-Essai-sur-la. Je crois que ces deux textes sont des amis par leur portée sur la compréhension du monde actuel, et doivent rester des guides pour l'avenir...
    Saint-Irénée

  • Archives de Vigile Répondre

    17 août 2010

    A l'engagé,
    Voilà le genre de texte qu'il faut relire pour en assimiler la substantifique moelle comme dirait Rabelais.
    Bienvenue dans le club des vigiliens modernes.
    Robert Barberis-Gervais, 17 août 2010

  • Raymond Poulin Répondre

    17 août 2010

    La postmodernité est en effet une mystification, d’ailleurs tellement bien réussie qu’elle s’est transmuée en auto-mystification enthousiaste de la part de ses premières victimes. Il semble que la majorité des élites intellectuelles actuelles de moins de quarante ans ne soupçonnent aucunement ce qu’est la modernité : il ne leur en est parvenu que la caricature dressée par les mystificateurs de seconde main.