La grossière propagande de Radio-Canada

Chronique de Bernard Desgagné

En ce début de février 2007, Radio-Canada fête les 40 ans du bilinguisme officiel canadien et se croit autorisée à cette occasion de se livrer à une grossière opération de propagande et de désinformation, aux frais des contribuables. Après avoir claironné toute une fin de semaine, à la radio et à la télé, les résultats d'un sondage aux failles méthodologiques évidentes à propos de l'état du bilinguisme au Canada et après s'être fait le porte-parole jovial et complaisant du commissaire aux langues officielles, dans des reportages dénués de tout sens critique, voilà que Radio-Canada en remettait au Téléjournal du 5 février dans un autre reportage, qui portait cette fois sur les Anglo-Québécois et qui était carrément scandaleux.
Figurez-vous que la Charte de la langue française du Québec n'a jamais existé et qu'elle n'a jamais été torpillée par la Cour suprême du Canada grâce à la Charte des droits et libertés conçue spécialement à cette fin par le grand PET lui-même. Radio-Canada nous apprend que nous avons tous rêvé les trente dernières années et que la progression du bilinguisme des Anglo-Québécois fait partie du legs de la Loi sur les langues officielles. Si, si. Quarante ans plus tard, grâce à Ottawa et à ses généreuses subventions pour préserver l'anglais, qui est grandement menacé en Amérique, comme chacun le sait, les martyrs anglo-québécois ont compris qu'ils n'avaient rien à craindre et qu'à défaut de suivre la Sun Life à Toronto, ils pouvaient apprendre le français sans se faire mal aux neurones. L'affichage unilingue français, la francisation des entreprises, l'intégration des enfants d'immigrants à la majorité francophone et les autres mesures issues de la Charte de la langue française n'y sont pour rien. Même que les Anglo-Québécois ont beaucoup de mérite parce qu'ils ne sont qu'un tiers, selon le recensement de 2001, à vivre aujourd'hui au Québec sans dire un traitre mot de français.
Un tiers. Seulement un anglophone sur trois se tient en marge de la société québécoise. De quoi être tellement fier de la Loi sur les langues officielles qu'on en devient amnésique. Bien sûr, Radio-Canada ne nous dit pas que, depuis des lunes, la quasi-totalité des francophones du Canada anglais parle anglais. Cherchez donc, dans la population adulte de Winnipeg, de Regina ou de Calgary, le francophone qui ne parle pas anglais. Quand vous aurez trouvé le fossile, chers radio-canadiens, j'espère que vous en ferez un reportage. Ce sera une découverte, que dis-je, un apport incommensurable à l'anthropologie. Car, à vrai dire, les héritiers de Louis Riel parlent si bien et si souvent anglais que la plupart du temps, ils s'avouent plutôt «bilingues» que francophones. À chaque génération, environ la moitié d'entre eux oublient complètement leur langue maternelle et grossissent les rangs de la majorité. L'assimilation: voilà le legs véritable du bilinguisme officiel. Voilà ce dont Radio-Canada s'efforce de ne pas parler trop fort.
Bien sûr, j'entends déjà nos machiavels de service me répondre que jamais, ô grand jamais, ils n'ont attribué dans leur reportage du 5 février la progression du bilinguisme des Anglo-Québécois au bilinguisme officiel canadien. Ils vont sans doute me dire qu'ils ont même parlé, avec un courage dont ils ne sont pas peu fiers, de la loi 22 de Robert Bourassa. Sans la nommer cependant. Il ne faut quand même pas exagérer quand on est au service d'une démocratie exemplaire comme le Canada. La patience de M. Harper et de M. Dion a ses limites. Non, Radio-Canada n'a jamais fait d'association explicite entre le bilinguisme officiel et la bilinguisation des Anglo-Québécois. Les journalistes n'ont fait que mentionner au début de leur reportage que le Canada fêtait le 40e anniversaire du bilinguisme officiel, puis ils se sont mis gaiement à parler des changements linguistiques au Québec depuis cet avènement. Mais, bien sûr, il n'ont jamais fait de lien. Elle est où ma poignée dans le dos? Quels artistes, ces journalistes! Quels maitres absolus du détournement de sens!
Alain Gravel peut bien vanter la fameuse démarche journalistique en dénigrant le travail de Jean-René Dufort. Il peut bien nous faire croire que des règles sévères sont appliquées systématiquement aux émissions d'information de Radio-Canada. La direction de Radio-Canada peut bien faire la sourde oreille et justifier ses choix par des paroles creuses de technocrate aguerri. Elle peut bien déployer des efforts d'un machiavélisme incroyablement raffiné pour se donner une réputation quasiment blindée d'objectivité et de rigueur. Elle peut s'efforcer de justifier ses reportages biaisés par la tribune qu'elle offre de temps à autre à des gens qui ne gobent pas les théories unitaires fédéralistes comme des paroles d'évangile. Il n'en demeure pas moins, comme dirait Derome, que Radio-Canada nous donne actuellement un spectacle désolant, digne d'une dictature de bananes.
Bernard Desgagné

Gatineau, Québec


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mars 2007

    C'est un article intéressant. Je voudrais ajouter, étant franco-manitobain, que les politiques de bilinguisme nous ont permis d'obtenir les services du gouvernement fédéral en français. On peut faire nos taxes en français, se défendre en cour en français, et demander tout nos services en français en ce qui concerne nos relations avec le gouvernement fédéral, même si on doit s'armer de patience par moments. On s'est battu longuement pour faire respecter nos droits en tant que francophones dans cette province qui avait oublié ses obligations envers les francophones et métis. Et on a eu nos droits. Mon enfant est inscrit dans la (relativement) nouvelle Division Scolaire Franco-Manitobaine, une extension de la politique bilingue de la province. Le bilinguisme à l'extérieur du Québec n'est pas un facteur assimilateur pour les francophones mais nous permet de garder notre langue. Mon grand-père vivait dans l'époque ou l'on devait "cacher nos livres" francophones car l'instruction en francais était illégale. C'est la politique unilingue anglophone (One country, one language) de notre passé qui à été assimilateur; pas les politiques de bilinguisme qu'on a aujourd'hui. Je fait référence uniquement au provinces à l'extérieur du Québec pour mon commentaire.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 février 2007

    Merci de votre texte M. Desgagné. Que pensez-vous d'en envoyer une copie à la direction de Radio-Cadenas elle-même?
    Hier, à la tribune du midi de Pierre Maisonneuve, seuls quelques participants ont osé soulever le problème de l'assimilation galopante des "franco-canadiens" de l'ouest. Un participant parlait entre autres de Morinville en Alberta où il était retourné 15 ans après y avoir travaillé pour y constater à quel point le français n'y était déjà plus qu'un souvenir. Cela est d'une tristesse indicible et les cas semblables sont légion. Maillardville fondé par des Québécois en Colombie-Britannique en est un autre exemple. Aujourd'hui, c'est l'ineffable Michel Desautels qui clamait que dans le sport amateur canadian, et ce malgré d'innombrables embûches, le bilinguisme avait progressé et qu'il y avait lieu d'espérer pour la suite! Toujours au ras du sol, à plat ventre, la langue prête à lécher la botte du maître canadian... Et dire que l'an dernier, notre très jovialiste ministre québécois des "affaires intergouvernementales canadiennnes" Benoît Pelletier, affirmait que l'on ne pouvait freiner l'assimilation, seulement la ralentir...

    Le Canada est une utopie. Québécois, approprions-nous la réalité.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 février 2007

    C'est bien de le souligner. On nous prend vraiment pour des tarés.
    Caroline Moreno