La France est une part de l'espérance humaine

Chronique de José Fontaine

Avant d'en venir aux élections présidentielles françaises de demain - et surtout aux résultats de Mélenchon - , je dois parler d'une rencontre, celle
de la Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la Pauvreté, déjà interviewée en 2006, Christine Mahy. . Cet organisme est parfois invité au moins à des réunions de bureau du Conseil économique wallon qui réunit les représentants des patrons, des syndicats, des indépendants et des agriculteurs. Dans l'interview qu'elle m'a donnée (et qui sera publiée la semaine prochaine), Christine me donne les raisons qu'elle a de penser que les pauvres sont des personnes privées durablement de certains éléments importants sans lesquels la vie humaine devient un enfer (la possibilité de se déplacer, de l'espace, un emploi, un domicile ou du moins un toit, l'accès à une certaine culture, un certain savoir etc.). En être privé affaiblit à un tel point qu'il faut y suppléer par des efforts considérables en vue de garder le minimum de dignité humaine. C'est à quoi s'emploient les pauvres qui sont plutôt moins «assistés» que les entreprises, que les riches, que même le Wallon moyen. Cette énergie extraordinaire, cette résistance, au lieu d'être gâchée dans le cadre étriqué du combat pour la survie quotidienne, gagnerait à pouvoir être utilisée au bénéfice de la collectivité wallonne qui tente de se restaurer sur les ruines d'industries aujourd'hui dépassées. «Les pauvres sont des battants», me dit-elle encore.
La France, «nation politique»
Le lien entre ceci et Mélenchon, c'est que, dans l'Europe vouée aux gagneurs de la compétition économique - les vrais assistés de ce monde -, les banques spéculatrices, notamment, que les Etats soutiennent à chacune de leurs faillites, au point de représenter un danger grave pour leur propre solvabilité, dans cette Europe, on entend peu de discours tenant compte de la puissance des petits, de la capacité de ceux-ci, de la force qu'ils peuvent déployer en vue de changer le monde. Emblématiquement et réellement, la France à cause de sa grande Révolution représente pour cette raison ce qui devrait la justifier comme nation : celle d'être une part de l'espérance humaine. Elle l'oublie depuis le tournant droitier de Mitterrand en 1984. Mélenchon sera sans doute troisième ou quatrième demain dans les résultats de la course à la présidence française. Mais il a fait entendre dans un grand pays (et qui politiquement est sans doute le plus important d'Europe), un discours que plus personne ne tient en tout cas en Europe. Le discours de la République, c'est-à-dire non pas seulement une institution mais une vision du monde qui peut d'ailleurs mettre en cause la république instituée au nom de la République authentique celle qui accomplit l'acte de foi de l'humanité en elle-même sans laquelle celle-ci périra. La Foi de l'humanité en elle-même, contre les puissants institués dans leur aristocratie de rang ou d'argent est un acte posé pour toute l'Humanité. Manifestement le néolibéralisme, qui maintient au chômage une part de plus en plus grande de sa jeunesse ( 50% en Espagne), qui engendre de plus en plus de pauvres dans le continent le plus riche du monde et - mis à part quelques îlots comme le Québec - dans celui qui bénéfice encore de la législation la plus égalitaire de la Planète, est en train de massacrer l'espoir des hommes.

Paul Thibaud qui a longtemps dirigé la prestigieuse revue ESPRIT définit en ce sens la France comme «nation politique» : «La nation devient politique quand le rôle joué ensemble, la participation commune à l'histoire, devient l'essentiel. Ici, on rencontre un second élément constitutif de la nation politique: non seulement, elle est artificielle, mais elle est active, active dans l'histoire du monde. C'est la différence avec certaines nations "défensives" qui pensent plutôt que l'histoire n'étant pas de leur côté, elles ne peuvent avoir d'autre programme que de survivre. Pour elles, seule compte l'identité sans égard au rôle. Il me semble que cette manière de ne se rapporter qu'à soi-même est une faiblesse. Un individu peut légitimement n'avoir d'autre programme que de subsister, mais une collectivité qui demande des sacrifices à ceux qui en font partie doit pouvoir justifier ces exigences pour une cause, un projet. De ce point de vue, l'appel du 18 juin est un geste extraordinairement éclairant et discriminant. La France de Pétain est d'emblée (dès la demande d'armistice) une nation qui ne songe plus qu'à elle-même. Ceci à un moment où la liberté de l'Europe, peut-être du monde, est en jeu. De Gaulle entreprend aussitôt (avant qu'il soit le moins du monde question d'une collaboration), de disqualifier cette attitude. Il récuse dans un style violemment polémique, un style bernanosien, l'idée vichissoise de la France. Ces gens-là, dit-il très vite, "aiment" la défaite, se nourrissent d'elle et veulent l'inculquer à la France, en faire en quelque sorte l'être de la France. Mais si l'essence de la France c'est le renoncement, alors elle n'a plus lieu d'être. Une nation politique ne saurait exister pour son seul confort.»
La vraie patrie des Français, celle du «Vive le Québec libre!»
Mélenchon a fait entendre une telle vision à Paris, à Lille, à Toulon, à Marseille devant des foules immenses et en des lieux signifiants de l'histoire de France. Entre autres à Paris sur les lieux de la Bastille démolie, à Marseille sur la plage du Prado, face à la Méditerranée, cette mer porteuse de tous les flux humains qui mélangent les populations les plus diverses pour faire des nations universalistes comme la France, fusion de tant de peuples divers. C'est à cette idée que se rapporte aussi l'usage constant chez Mélenchon de l'expression «patrie des Français», liée à la conception de la citoyenneté française telle que la Constitution de l'an I de la République l'avait voulue universaliste.
A Marseille c'était extraordinaire car Mélenchon évoquait face à la mer, les grandes nations voisines de la France comme l'Italie, l'Espagne et aussi les grands peuples de cette mer comme les Arabes et les Berbères. A Toulouse, il avait salué dans leur langue les socialistes espagnols, ceux-là mêmes qui lors du déclenchement insensé de la guerre d'Irak en 2003 s'était levé d'un bloc aux Cortès, le parlement espagnol, pour chanter la Marseillaise. En vue de saluer le courage d'une France même de droite, tenant tête aux Américains et se prononçant pour le Monde.
Mélenchon n'a jamais mis en cause l'Europe comme rassemblement des peuples, mais comme organisation néolibérale, citant souvent les syndicats allemands, acceptant les Wallons s'ils choisissent d'être français (ce n'est pas mon choix, mais une parole d'ouverture fait toujours plaisir). Et son blog cite aussi les mouvements sociaux au Québec.
La France n'est la France que si elle porte une part de l'espérance humaine, disait Malraux lors du retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Il faut regretter que Mélenchon ne sera pas demain une part suffisante de la France pour l'entraîner à être ce dont l'Europe a besoin aujourd'hui. On est effrayé aujourd'hui, en parlant à des personnes qui ont l'expérience directe des réunions européennes, d'apprendre que l'Allemagne a fait très clairement le choix de mettre sa puissante économie à l'abri des concurrences voisines en multipliant les emplois précaires et en diminuant drastiquement les salaires.
Ceux qui nous parlent en fonction de cette expérience nous disent aussi que cette politique avantageuse pour l'Allemagne - moins pour les Allemands - ne sera pas changée si la gauche allemande SPD ou verte revenait au pouvoir. Parce que c'est manifestement la politique que les élites allemandes ont choisie et cette politique va entraîner l'Europe à la concurrencer, menaçant ainsi pour les années à venir le modèle social européen de faillite. Et par là-même quelque chose qui dépasse de loin l'Europe et nous promet bien des années noires.
On peut cependant espérer que le résultat de la gauche radicale de Mélenchon ne sera pas sans lendemain et que les appels du candidat le plus républicain amorcent malgré tout dans l'histoire de la France un tournant qui serait aussi grand que celui de la Résistance. Je ne le dis pas parce je parle à des Québécois, mais parce que je l'ai toujours pensé, cette France serait alors à nouveau la France du «Vive le Québec libre!», celle qui a le courage de sortir d'elle-même pour libérer, la France des soldats de l'an II, la France du 18-juin, la seule France digne d'être appelée la France.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 avril 2012

    Simple donnée de fait : dans la tradition électorale française du deuxième tour, même dans les élections législatives, le report des voix de gauche en faveur du candidat de gauche le mieux placé est une tradition depuis 150 ans et Mélenchon a dit toutes les semaines qu'il s'y conformerait. S'il y a quelque chose que l'on ne peut lui reprocher, c'est cela. Merci à Andrée Ferretti et cela m'a ému aussi de lire ce qu'elle dit qui s'inscrit dans la plus belle et la pure des traditions de la gauche républicaine française. Une tradition, ce n'est pas du passé dont se croit nostalgique c'est aussi une "prospection" du futur comme disait Blondel qui a inventé le terme.

  • Gilles Verrier Répondre

    22 avril 2012

    J'ai écrit mon premier message et je m'en déclare satisfait. L'appel de Mélenchon à soutenir Hollande au deuxième tour était prévisible et annoncé de longue date, à titre de mise en garde contre ceux qui sont facilement excités par les beaux discours. Mme Ferretti, que vous en soyez encore à croire qu'il y a du socialisme chez Hollande me déçoit tellement de vous, me terrasse à ce point que je n'ose même pas vous dire le fond de ma pensée.
    Pour ce qui est de la gauche, il faut sortir de ces catégories dépassées. Tiens, allez donc lire le discours de Jules Ferry faisant l'apothéose du racisme. Belle gauche de mes deux... accusant naturellement la droite et elle seule, de ses propres maux, en toute tartuferie. Aujourd'hui le PS et l'UMP ne font qu'un, l'UMPS, un arnaque politique destiné à enfumer la multitude des naïfs. Et Mélenchon ? Les dernières minutes viennent de dévoiler à quoi il a servi dans cette campagne et viennent couronner son oeuvre au service du système. Ma peine est pour ceux qui le suivaient honnêtement et y mettaient du coeur. L'écoeurement des Français face au système s'est exprimé contre la bien pensance de droite et de gauche pour Marine LePen, une Femme Madame Ferretti, oui, une femme, qui a su résister contre les insultes du système, ceux de la presse du système et des politiques du système, contre les insultes de Mélenchon qui ne cachait pas prioriser sa lutte imbécile contre le FN qui n'a jamais eu le pouvoir.
    Mélenchon était là pour empêcher que Marine Le Pen soit là au deuxième tour, maintenant que tout est clair, qu'il a fait que le choix qui se pose aux Français n'en soit plus un, il a fait sa job.
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012

    Je crois, monsieur GV, que José Fontaine a simplement voulu rappeler qu’il existe en France, au moins depuis depuis 1789, un mouvement permanent d'insurrection contre tout système politique qui impose au peuple le contraire de sa volonté.
    Aujourd'hui, c'est Mélenchon qui incarne à gauche cet esprit de fronde.
    Or, À l'heure où c’est le réseau des banques et des multinationales, soutenues par les partis de droite, qui détruit tous les acquis de redistribution des richesses nationales (les diverses formes de sécurité sociale),qui à l'inverse crée chômage, précarité, pauvreté, il va de soi que les citoyens les plus conscients des dégâts soient mobilisés par le vaste mouvement de gauche qui porte une fois de plus l'espoir. en défendant les valeurs fondamentales de la République.
    Andrée Ferretti

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012

    Texte d'une belle envolée, cher José Fontaine.
    J'espère avec vous que Mélenchon rapportera suffisamment de voix pour tenir Hollande constamment obligé de gouverner en authentique républicain, donc, en ce moment de l'histoire, en adoptant de vraies politiques de gauche.
    J'espère avec vous que les résultats de cette présidentielle aient un puissant effet d'entrainement, non seulement en Europe, mais,ici, au Québec.
    Merci pour cet article que j'ai lu avec un grand intérêt et une égale émotion.
    Andrée Ferretti.

  • Gilles Verrier Répondre

    21 avril 2012

    Bonjour M. Fontaine,
    À mon avis, et je ne suis pas Français, votre parti pris pour Jean-Luc Mélechon ne permet pas de se faire une opinion équilibrée sur ce monsieur controversé. N'oublions pas qu'il a fait une longue carrière bien au chaud, intégré dans les rouages du système, ayant participé longuement à mettre en place plusieurs des politiques qu'il dénonce aujourd'hui.
    Aussi, venir prendre sur le tard la défense de la veuve et de l'orphelin, si ce n'est pas forcément une posture mensongère, ça ne mérite certes pas non plus qu'on lui donne le Bon Dieu sans confession. Un esprit critique ne peut avaliser un tel virage sans se poser quelques questions.
    Voici un lien qui donne matière à réflexion sur le parcours du bonhomme :
    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Pourquoi-Melenchon-fait-il-semblant-10916.html#forum118767
    Et pour continuer, vous écrivez :
    «Mélenchon n’a jamais mis en cause l’Europe comme rassemblement des peuples, mais comme organisation néolibérale...»
    Or vous semblez ignorer ou ne pas vous souvenir que JLM était un politicien de cette «gauche» (gauche qui ne veut rien dire) favorable à Mastricht. Comme défenseur du oui, il aura servi à aller chercher les quelques points d'appui qu'il fallait pour que passe ce traité qui a retiré à la France de grands pans de sa souveraineté au profit de l'oligarchie bancaire.
    Pour qui roulait alors JLM ? Pour qui roule-t-il aujourd'hui ? Seriez-vous de ceux qui préfèrent la superficialité des discours à l'analyse en profondeur ?
    http://www.youtube.com/watch?v=hpmcnWmd028
    Avec une carrière passée dans l'allégeance au système, les belles paroles de Mélenchon devraient être reçues avec un minimum de circonspection.
    GV