Jusqu'à la toute fin, le règne d'André Boisclair aura été, à vingt ans de distance, la triste répétition de celui de Pierre Marc Johnson. Après avoir été élu chef haut la main, lui aussi était parti en coup de vent moins de deux ans plus tard, laissant ses députés sous le choc, les yeux embués.
Il y a cependant une différence de taille. À l'époque, la démission de M. Johnson ressemblait à un nouveau départ sous la gouverne de Jacques Parizeau. Celle de M. Boisclair était plutôt une formalité devenue inévitable, qui laisse néanmoins entier le problème de fond du PQ.
Il a très bien compris qu'après les résultats désastreux du 26 mars, il n'avait plus l'autorité nécessaire pour présider au débat d'orientation dont le parti ne peut plus faire l'économie, mais il n'avait pas osé le lancer au moment où il aurait peut-être pu le faire.
Il est vrai que, pour sauver son propre leadership, Bernard Landry avait lourdement hypothéqué l'avenir en se pliant aux exigences des «purs et durs», mais M. Boisclair a accepté l'héritage sans discuter.
Pierre Marc Johnson avait payé très cher son virage de l'affirmation nationale, mais il avait au moins tenté quelque chose. Quel est le bilan d'André Boisclair? Hier, il s'est réjoui d'avoir redynamisé le PQ en recrutant des dizaines de milliers de jeunes, mais où étaient-ils aux dernières élections?
Sa sortie désastreuse contre Gilles Duceppe, en fin de semaine dernière, illustrait très bien ce qu'a été son court règne: une série d'erreurs et de manques de jugement que les militants péquistes voudront oublier au plus vite.
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M. Boisclair cherchait-il réellement à se prémunir contre les entreprises du chef du Bloc québécois ou, se sachant condamné, a-t-il voulu stigmatiser le Brutus qui avait orchestré sa chute?
De toute manière, qui pouvait encore douter des visées de M. Duceppe? Après 17 ans à Ottawa, ce désir de changer d'air est d'autant plus légitime que l'avenir électoral du Bloc apparaît bien incertain. Il aurait évidemment été indécent d'afficher ses ambitions hier, mais il n'a cherché à convaincre personne qu'il n'en avait pas.
Le pouvoir fait accourir les courtisans aussi sûrement que le miel attire les mouches. Même si plusieurs députés péquistes s'inquiètent de le voir débarquer à Québec, M. Duceppe ne manquera pas d'appuis au sein du caucus. Dans les minutes qui ont suivi l'annonce du départ de M. Boisclair, Sylvain Simard -- ce «génuflecteur d'habitude», selon le mot d'Yves Michaud -- s'est empressé de souhaiter un couronnement.
M. Duceppe a d'indéniables qualités. Il a un bon jugement politique et sa longue expérience parlementaire lui permettrait sans doute de tirer le meilleur parti possible de la situation précaire où se trouve le PQ à l'Assemblée nationale.
Le passage d'Ottawa à Québec n'est cependant pas facile. Les dossiers et la culture politique sont bien différents dans les deux capitales. Jean Charest pourrait en témoigner. Sans parler du PQ, sans doute le plus rétif de tous les partis politiques au Canada. «Une gang de malades», a déjà dit Mario Dumont.
Le chef du Bloc n'a pas le charisme de René Lévesque ou de Lucien Bouchard, ni l'envergure intellectuelle de Jacques Parizeau, mais les péquistes devront se faire une raison: sur la liste des candidats possibles, il n'y a personne de cette pointure.
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La question est surtout de savoir si M. Duceppe est en mesure de remettre le PQ et le projet souverainiste au diapason de la population. Les péquistes ont toujours eu tendance à vouloir faire l'inverse, mais la défaite du 26 mars constitue un rejet très net de cette prétention.
Au lendemain des élections, un sondage de Léger Marketing indiquait que le chef du Bloc québécois était le préféré de 29 % des électeurs péquistes pour succéder à M. Boisclair, loin devant Pauline Marois (15 %), Bernard Landry (15 %) et Pierre Curzi (13 %).
Dans l'ensemble de la population, Mme Marois (21 %) devançait légèrement M. Duceppe (20 %). Elle semblait mieux en mesure de ratisser à l'extérieur de la mouvance péquiste, notamment chez les partisans de l'ADQ.
Il est cependant très clair qu'elle ne se lancera pas dans une course contre le chef du Bloc. Même si on lui offrait un couronnement, il faudrait qu'elle soit l'objet de très pressantes sollicitations.
Hier, Bernard Landry a eu la sagesse d'écarter la possibilité d'un retour. La dernière chose dont le PQ ait besoin actuellement est une fausse course dont le gagnant serait connu d'avance, ou une course dont les trois quarts des concurrents feraient simplement de la figuration, comme en 2005. Le PQ ne dispose pas d'assez d'argent ni d'assez de temps pour s'offrir ce luxe.
S'il devait néanmoins y avoir une course, la direction du parti aurait intérêt à en revoir les règles. L'expérience de M. Boisclair a démontré que les meilleurs vendeurs de cartes ne font pas nécessairement les meilleurs chefs. Le PQ a peut-être une dernière chance, mais il ne peut pas se permettre une autre erreur. Ce serait aussi la dernière.
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mdavid@ledevoir.com
La dernière erreur
Le PQ a peut-être une dernière chance, mais il ne peut pas se permettre une autre erreur. Ce serait aussi la dernière.
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