La débâcle référendaire en Ontario

Il faut aussi proposer des modifications à la stratégie québécoise sur ce dossier

Tribune libre - 2007

La débâcle du référendum sur la réforme du mode de scrutin en Ontario a
été, pour le moins, une surprise. Les résultats à la question référendaire,
rappelons-le, ont été de 63.1 % pour conserver l’actuel mode de scrutin
ontarien, le mode de scrutin uninominal à un tour, et de 36.9 % pour
adopter le mode de scrutin mixte proportionnel proposé par l’Assemblée
citoyenne de l’Ontario.

Quelques tentatives d’explications sont de toute évidence à l’ordre du
jour et, à la lumière de ces résultats, il faut aussi proposer des modifications à la stratégie québécoise sur ce dossier. Voici quelques
informations pertinentes :
1- Après huit mois d’études, de consultations et de délibérations,
l’Assemblée citoyenne de l’Ontario a tenu deux votes. Selon le premier de
ceux-ci, 84.3% des membres étaient en faveur de l’adoption du nouveau
scrutin.

“April 14, 2007, Should Ontario keep its current electoral system or adopt
the Assembly’s Mixed Member Proportional system?
• 16 for current system,

86 for Mixed Member Proportional,
Total votes = 102 (1 member absent)”

“April 15, 2007, Do you want to recommend the Assembly’s Mixed Member
Proportional system to the people of Ontario?
• 94 yes,
• 08 no,
Total
votes = 102 (1 member absent)” (1)
L’écart de 47.4 % entre les opinions des membres de l’Assemblée citoyenne
et les résultats référendaires peut sans doute être attribué à
l’approfondissement des opinions des membres de l’Assemblée par rapport à
la superficialité relative des opinions des citoyens votants. En
Colombie-Britannique, ce même écart était de 35.1%, soit 92.8 % des membres
de l’Assemblée appuyaient la réforme tandis que seulement 57.7 % des
citoyens ont voté en sa faveur. Ce phénomène de structuration des
préférences par la délibération et l’approfondissement d’une question est
bien documenté par les études sur la démocratie délibérative. Notons que
dans les deux cas, les opinions sont radicalement changées par les mois
d’approfondissement de la question, et, ce qui importe particulièrement,
dans le sens d’un appui à la réforme. La conclusion : le niveau de
connaissance des citoyens influe directement sur leurs opinions politiques,
surtout, ce qui est logique, pour une question plutôt technique comme le
mode de scrutin. Conscients de cette réalité, les opposants à la réforme,
qui contrôlent les moyens d’information aux citoyens, comme nous le
verrons, n’avaient en réalité qu’à empêcher que ceux-ci soient correctement
informés.
2- Lors d’un sondage mené entre le 13 et le 16 septembre 2007, soit un peu
moins d’un mois avant le vote, 47 % des sondés affirmaient ne rien savoir
du mode de scrutin proposé. Lors d’un second sondage, mené entre les 6 et 7
octobre, soit quelques jours avant le vote, 24 % des sondés affirmaient
toujours ne rien savoir. La moitié des sondés, 51 %, affirmaient alors
connaître un peu le système proposé.
En conclusion, donc, 75 % des citoyens ne connaissaient peu ou pas le
système proposé.
Notons que parmi les gens décidés lors du sondage un mois avant le vote,
les gens qui connaissaient beaucoup la proposition de l’Assemblée citoyenne
l’appuyaient par une forte majorité, de 60 %, tandis que, inversement, ceux
qui n’en connaissaient rien affirmaient, eux, qu’ils allaient voter contre
à 60 %.
Une comparaison avec la Colombie-Britannique peut ici être intéressante.
Les taux d’appuis à la réforme dans les sondages en Ontario étaient de 10 %
inférieurs à ceux en Colombie-Britannique au moment du premier sondage et
de 15 % inférieurs au moment du second sondage quelques jours avant le
référendum. L’on remarque enfin des chutes de 5 % des appuis à la réforme
en Colombie-Britannique et de 11 % en Ontario entre le dernier sondage et
le vote référendaire. Ces dernières sont notamment attribuables aux votes
des indécis une fois aux urnes, ce qui laisse penser que les faibles taux
d’information jouent inéluctablement pour le statu quo une fois les
citoyens réellement confrontés à la décision effective du jour du vote. On
peut aussi peut-être y voir un effet d’entraînement dans le cas Ontarien.
(3)
3- Enfin, les taux de participation électorale et référendaire en 2007
étaient les plus faibles de l’histoire de l’Ontario : seulement 52.8 % des
votants ont voté à l’élection et 51.1 % au référendum. (4)
Le taux d’abstention énorme laisse penser que l’importance de la question
référendaire n’a su être correctement relayée aux citoyens. En tout cas, il
ne paraît pas que plusieurs seraient allés voter pour la seule réforme
électorale, pourtant une question d’égale ou de plus grande importance,
structurellement, que l’élection d’un gouvernement.
À ces données quantitatives, l’on peut ajouter ces quelques informations
quantitatives :

- Le référendum, portant sur une question éminemment importante, a été
jumelé à l’élection. Cette manière de faire a contribué à occulter la
question plus structurelle par des enjeux plus immédiats et conjoncturels.
- L’impression du rapport de l’Assemblée citoyenne par Publications
Ontario a été bloquée par le camp du « non », en début de campagne
référendaire (avant le 13 septembre 2007). Il était injuste, selon eux, que
le gouvernement informe les citoyens des motifs qui ont poussé l’Assemblée
citoyenne à rejeter le système en place et à en proposer un autre.
- La mise en branle tardive de la campagne d’information, le 1er août
2007, mais surtout la nature trop peu « mordante » (« toothless ») de
l’information fournie par Élections Ontario (5), ont été dénoncées par
divers chroniqueurs et le camp du « oui ».
- Aucun débat télévisé majeur n’a été tenu sur la question. Seul un débat
sur la chaîne TVO, la chaîne publique ontarienne, a été tenu le 6 octobre
2007.
- Les médias, généralement, sont tous sortis contre la proposition de
l’Assemblée citoyenne. Certains chroniqueurs, cependant, l’appuyaient.
- Le parti gouvernemental libéral est resté neutre, manière de dire « On
est contre, mais on préfère ne pas se compromettre. » Le leader du parti
conservateur, lui, s’est prononcé contre, tandis que le NPD et le Parti
vert se sont prononcés pour.
- Le camp du « non », à mon avis, abusait clairement de l’ignorance
générale pour lancer des arguments démagogiques et faux (6). Bien qu’ils
aient été dénoncés, trop peu trop tard, ces arguments ont néanmoins trouvé
un terrain fertile dans les médias et, de là, dans les consciences
citoyennes non informées ou mal informées.
- Pour finir, preuve de la bonne volonté du gouvernement et de sa grande
éthique démocratique… (ironie dans le ton), ce dernier avait pris soin de
fixer un seuil d’adoption référendaire à 60 % pour que la proposition soit
adoptée par le Parlement.
En résumé, donc, le gouvernement a fait son grand possible pour que les
citoyens restent dans l’ignorance. Il faut dire qu’il faudrait peut-être
aussi pointer Elections Ontario du doigt, non pour une mauvaise volonté
manifeste, mais plutôt pour son incompétence manifeste. Lorsque la moitié
des votants un mois avant le référendum et un quart quelques jours avant ne
savent rien du système proposé, il y a là un clair manque d’information. La
principale leçon qu’il faut tirer de cette mésaventure, donc, c’est qu’il
faut initier l’information publique bien avant, avec des moyens
conséquents, et diffuser les motifs de l’Assemblée pour le changement
proposé, peut-être en les faisant participer à la sensibilisation
citoyenne.
Il faut par ailleurs noter que le mandat de l’Assemblée était de
déterminer tout d’abord si un changement s’impose et, si oui, lequel, mais
qu’elle pouvait décider ne pas proposer de modification. Si elle choisit de
proposer une modification, le gros bon sens commande d’informer les
citoyens du pourquoi de cette décision.

On peut enfin se questionner légitimement sur la valeur du vote. Avec 75 %
de citoyens peu ou pas informés, celui-ci pouvait-il être éclairé? Il est
clair que non. Faut-il alors compter sur la seule information citoyenne,
améliorée, ou faut-il aussi exiger, comme l’on proposé certains membres de
l’Assemblée elle-même, que le référendum se tienne séparément? Évidemment,
les taux d’abstention augmenteront, mais la nature éclairée du vote, elle,
brillera.

Enfin, clorant la boucle, il est clair que l’on doit continuer d’exiger,
au Québec, un seuil d’adoption référendaire à la majorité simple. La prime
donnée au statu quo en fixant un seuil d’adoption à 60% est d’un ridicule
consommé.
Reste qu’il y a trois écueils, il faut l’admettre, à cette stratégie pour
le Québec.

Le premier est que le gouvernement détient le pouvoir formel d’agir, donc
de mettre en place une assemblée citoyenne, et de l’encadrer. Rien ne
laisse penser qu’un parti gouvernemental sera mieux intentionné au Québec
qu’en Colombie-Britannique ou en Ontario. Cependant, nous sommes maintenant
conscients de certains des torpillages possibles du gouvernement et savons
quoi exiger et dénoncer pour éviter une débâcle à l’ontarienne. Le problème
de la mauvaise volonté gouvernementale, cependant, reste.

L’autre écueil consiste en l’atrophie du mouvement de réforme, qui
mobilise pour quêter une réforme auprès du gouvernement, mais ne réussit
pas à convaincre ce dernier d’agir. Là, je dois avouer, le référendum perdu
d’Ontario leur donnera des arguments défaitistes, mais ce mouvement devra
un jour ou l’autre réaliser qu’il est comme l’âne qui court après une
carotte tenue par les partis qui se succèdent au pouvoir. Notons aussi que
la stratégie néo-colonisée de quêter une réforme auprès de gens en conflit
d’intérêt pourrait aussi mener à l’adoption d’une réformette
insatisfaisante du point de vue démocratique. La proposition du
gouvernement libéral va par ailleurs en ce sens : un système à deux
vitesses, proportionnel pour les grandes formations politiques, mais pas
pour les plus petites. Ça donne une idée de leurs intentions. L’Assemblée
citoyenne permet d’en faire abstraction.

Le troisième écueil est le problème de la prise de position par les
médias. Cela semble avoir joué un grand rôle en Ontario, et est plus
difficile à contrôler. N’empêche que le camp du « oui » au Québec saura
jouer le jeu médiatique, lui aussi. Il ne manque pas de « personnalités »,
qui sauront passer le tamis référendaire, pour défendre la réforme. Pensons
aux Paul Cliche, Jean-Pierre Charbonneau, Pierre Serré, Henry Milner, Diane
Lamoureux, André Larocque, Claude Béland, Françoise David, Amir Khadir,
Scott MacKay, etc. D’autres moins connaissant de la question, mais ayant
quand même une légitimité institutionnelle, sauront aussi faire des sorties
médiatiques et prendre position.
Il convient finalement, pour terminer, de mentionner une différence
importante entre le mouvement de réforme québécois et le mouvement de
réforme ontarien. En deux mots : le mouvement québécois est mieux ancré et
a plus d’histoire. C’est un mouvement plus fort et mieux outillé pour agir
sur la question. Le mouvement de la Colombie-Britannique, lui aussi, me
semblait mieux ancré que celui de l’Ontario, ce qui explique peut-être
pourquoi il y a eu une très nette majorité en faveur de la réforme, avec
57.7 %, en Colombie-Britannique. Une Assemblée citoyenne sur la réforme du
mode de scrutin au Québec viendrait chapeauter un long processus de
délibération sociétale, au lieu de sortir un peu de nulle part comme en
Ontario. Je maintiens donc qu’une Assemblée citoyenne au Québec avec une
campagne d’information décente et un seuil référendaire à la majorité
simple risquerait de réussir, et de donner lieu à un changement du mode de
scrutin conforme à la volonté citoyenne éclairée.
Il faut cependant savoir qu’il y aura une lutte importante à mener et
s’organiser en conséquence. Les outils, cependant, rappelons-le, sont déjà
en place, et bien aiguisés. Le Mouvement pour une démocratie nouvelle, le
Collectif féminisme et démocratie, l’Association pour la revendication des
droits démocratiques et le Mouvement démocratie et citoyenneté au Québec,
le chapitre Montréal du Mouvement pour une représentation équitable au
Canada, et, bien sûr, la campagne pour une Assemblée citoyenne sur la
réforme du mode de scrutin au Québec, sauront, le cas échéant, être le
ferment qui fasse lever la pâte de la réforme du mode de scrutin au
Québec.
David Litvak
Version anglaise: Prelude to a Quebec Citizens’ Assembly: Seven Lessons from Ontario’s Experience
***
(1) Source :

http://www.citizensassembly.gov.on.ca/assets/One%20Ballot,%20Two%20Votes.pdf,
p. 19.
(2) Source:

http://www.theglobeandmail.com/
(3) Source :

http://www.thestrategiccounsel.com/our_news/polls/Ontario%20Referendum.pdf
(4) Sources :

http://www3.elections.on.ca/internetapp/realtimehome.aspx?

http://www.cbc.ca/canada/ontariovotes2007/story/2007/10/11/ov-turnout-071010.html

http://www3.elections.on.ca/internetapp/realtimereferendum.aspx?
(5) Voir : http://www.yourbigdecision.ca/en_ca/default.aspx
(6) Voir : http://nommp.ca/index.shtml
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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[Campagne pour une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec ->http://www.assemblee-citoyenne.qc.ca/]





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