La connerie

Écoles privées juives

Maintenant qu'il a réglé le cas des incendies criminels, on brûle de connaître la solution du gouvernement Charest pour prévenir les vols de banque et le trafic de stupéfiants.
Au fil des jours, un gouvernement assiégé par d'innombrables lobbys est appelé à prendre toutes sortes de décisions contestables, mais celle de subventionner à 100 % les écoles privées juives atteint vraiment un sommet dans la connerie.
Dans une entrevue accordée au Devoir l'automne dernier, le ministre de l'Éducation, Pierre Reid, expliquait que la confusion dans l'expectative était préférable à la confusion dans l'action. Au nom de l'intérêt public, M. Reid devrait persister dans la passivité.
Le lien qu'il a établi entre l'incendie de la bibliothèque de l'école Talmud Torah, l'été dernier, et l'octroi d'un traitement de faveur aux écoles juives ne traduit pas seulement une certaine confusion de l'esprit : il est franchement loufoque.
Tout le monde au Québec s'est indigné de l'incendie de la bibliothèque, mais la dernière chose à faire est de jeter de l'huile sur le feu. Loin de favoriser de meilleurs rapports entre la communauté juive et les autres composantes de la société québécoise, la décision de M. Reid risque au contraire de renforcer les préjugés dont cette communauté est l'objet.
Alors que le système public crie famine, comment justifier que l'État accorde un financement équivalent à des écoles privées fréquentées par des enfants dont les parents ont les moyens de payer des droits de scolarité de 7000 $ par année ?
Jusqu'à présent, la Fédération de l'appel juif unifié (CJA) subventionnait les écoles juives à hauteur de 2,5 millions de dollars, une somme qui pourra désormais être utilisée autrement. Une part importante des sommes recueillies par la CJA étant envoyée en Israël, certains se demanderont inévitablement si les subventions du ministère de l'Éducation n'aboutiront pas indirectement là-bas.
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Sans parler de la boîte de Pandore que M. Reid vient bien étourdiment d'ouvrir. «C'est une nouvelle fantastique ! C'est très bon de savoir que l'État est prêt à aider les autres religions», s'est exclamé le président du Conseil musulman de Montréal. On comprend son enthousiasme : au fond de la boîte de Pandore, il y a l'assiette au beurre. Pas besoin d'être devin pour prédire que les «échanges interculturels» vont connaître une vogue sans précédent dans les écoles de toutes confessions au cours des prochaines années.
Le ministre de l'Éducation a beau nier toute considération de nature religieuse, ceux qui se feront refuser un traitement équivalent, à commencer par les écoles privées catholiques, pourront invoquer les dispositions de la Charte des droits interdisant la discrimination basée sur la religion.
Il est tout à fait plausible, voire probable, que la décision de subventionner à 100 % les écoles juives ait été téléguidée par le bureau du premier ministre Charest. D'ailleurs, M. Reid n'aurait jamais osé s'aventurer dans un pareil champ de mines sans son autorisation formelle. S'il doit perdre son poste lors du prochain remaniement ministériel, comme le veut la rumeur, aussi bien lui faire porter l'odieux d'une mesure qui fait pratiquement l'unanimité contre elle. Au point où il en est...
Si M. Charest est bien à l'origine de l'affaire, celle-ci n'en est que plus inquiétante. Que le premier ministre soit particulièrement sensible aux pressions des lobbys, surtout ceux qui alimentent généreusement la caisse du PLQ, on le savait déjà. Le plus choquant est la désinvolture avec laquelle il remet en cause les principes fondamentaux sur lesquels la société québécoise est difficilement parvenue à faire consensus au cours des dernières décennies.
La déconfessionnalisation progressive de l'école publique, fondée sur la séparation de l'Église et de l'État, a fait l'objet de débats douloureux depuis la Révolution tranquille. Le processus est d'ailleurs loin d'être achevé. Soudainement, parce qu'un groupe plus puissant que les autres le réclame, le gouvernement introduit en catimini le principe du plein financement des écoles confessionnelles par l'État.
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Contrairement au Canada, qui a fait du multiculturalisme une de ses pierres d'assise, le Québec a opté pour un modèle de société privilégiant l'intégration des communautés culturelles à la majorité francophone. Là encore, la décision concernant les écoles juives va à contre-courant.
Les organismes qui oeuvrent à l'intégration des immigrants ne cessent de déplorer les compressions budgétaires qui leur ont été imposées par le gouvernement Charest. Ainsi, dans le budget de dépenses 2004-05, les sommes consacrées à l'apprentissage du français ont été amputées de plus de 50 %.
À raison de 5200 $ par élève, comme dans le secteur public, les subventions versées aux 15 écoles privées juives du Québec pourraient totaliser 36,4 millions, soit sept fois plus que ce qui reste pour l'apprentissage du français. M. Reid prétend favoriser les échanges culturels, mais sa politique contribuera plutôt à renforcer la ghettoïsation des communautés culturelles.
Depuis qu'il est devenu premier ministre, on a découvert que M. Charest considère l'État comme une sorte de service à la clientèle. Sa conception de la société québécoise est à l'avenant : un agglomérat de groupes plus ou moins disparates dont il faut gérer les demandes.
Dans le dossier du CHUM, il est sans doute désolant de voir le gouvernement à la remorque du puissant lobby orchestré par le recteur de l'Université de Montréal, mais son projet de technopole de la santé comporte d'incontestables attraits, qui justifient qu'on en débatte. Dans le cas des écoles juives, on a beau examiner la question sous tous les angles, il n'y a que des inconvénients.
mdavid@ledevoir.com


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