Financement d'écoles privées religieuses

Vers une configuration multiconfessionnelle du système scolaire

Par Micheline Milot

Écoles privées juives

mercredi 19 janvier 2005
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Le tollé de protestations suscité par la décision de financer à 100 % des écoles privées juives montre bien que cette annonce ne correspond pas à la cohérence politique définie depuis l'amorce du processus de déconfessionnalisation du système scolaire. [...]
Et si, sous cette apparente étourderie politique dans laquelle les moyens utilisés n'ont rien à voir avec l'objectif poursuivi de favoriser les échanges culturels, il y avait une réelle cohérence politique : le projet d'un système scolaire multiconfessionnel qui emportait l'adhésion de l'opposition libérale en 1999, lors des débats publics à la suite de la parution du rapport Proulx ? C'est là une hypothèse qui mérite qu'on s'y arrête, tant le laissent présager à la fois le mode de prise de décision du gouvernement dans cette affaire, les effets aisément prévisibles de cette annonce de financement et les positions antérieures des différents acteurs sociaux.
Une ouverture au multiconfessionnel
L'octroi à des écoles privées juives d'un financement à la hauteur de celui en vigueur dans le réseau des écoles publiques ne semble concerner pour le moment qu'un nombre délimité d'écoles. La principale raison justifiant cette décision, soit «favoriser les échanges culturels», est louable à première vue. Toutefois, les conséquences prévisibles de cette décision pulvérisent la cohérence politique qui s'était établie peu à peu par l'établissement de commissions scolaires linguistiques en 1997 et par la déconfessionnalisation du système d'éducation en 2000, le tout effectué dans un cadre démocratique et préservant le droit à l'école privée.
On peut d'ores et déjà anticiper les effets domino. D'autres écoles privées manifestent déjà la volonté de se prévaloir des mêmes droits de financement, le ministre de l'Éducation ayant lui-même affirmé son ouverture à ce sujet. Le gouvernement ne pourra pas configurer le système scolaire au cas par cas ou privilégier un seul type d'école privée pour accorder ces contrats d'association, fort avantageux financièrement, au risque de contestations judiciaires pour motif de discrimination.
Des écoles publiques seront légitimement tentées de devenir privées afin de se doter d'un projet confessionnel. On pense notamment aux écoles évangéliques, qui ont contesté, par voie judiciaire, l'interdiction qui leur a été faite de définir un projet éducatif confessionnel dans le système public.
Les commissions scolaires pourraient même effectuer un lobby auprès d'écoles privées pour conclure des ententes similaires qui leur permettraient de gonfler leur budget des 10 % de «commission» rattachés au contrat d'association. C'est donc toute la configuration du système scolaire qui est touchée, ce qui appuie d'autant plus notre hypothèse.
Éléments du puzzle
En consultant les archives des débats de la Commission parlementaire de l'éducation qui s'est tenue sur la question de la déconfessionnalisation du système scolaire en 1999-2000, on retrouve des éléments du puzzle avec lesquels les événements récents se situent en droite ligne.
On constate que les députés de l'opposition, libérale à l'époque, se montraient fort réticents aux arguments favorables à la laïcisation des structures scolaires. Ils penchaient pour l'aménagement d'une configuration multiconfessionnelle du système d'éducation, s'appuyant en cela sur l'Énoncé de politique du Parti libéral sur la religion à l'école, énoncé qui entendait respecter «le choix des parents». Le porte-parole officiel de l'opposition en matière d'éducation, Claude Béchard, avait d'ailleurs maintes fois repris l'argument d'un modèle «multiconfessionnel» lors des auditions de la commission parlementaire.
Les groupes opposés à la déconfessionnalisation du système scolaire avaient tous fait de cet argument du choix des parents la pierre d'angle de leur plaidoyer. Respecter le choix des parents, c'est accepter que les projets éducatifs des écoles reflètent les appartenances religieuses, ethniques ou philosophiques diversifiées dans la société. D'ailleurs, même le Congrès juif canadien, région Québec, proposait clairement la création d'un «réseau parapublic d'écoles religieuses [...] qui dispenseraient un contenu religieux spécifique en plus des régimes pédagogiques», solution qui paraissait la plus respectueuse du choix des parents (audition de la Commission parlementaire de l'éducation du 2 novembre 1999). L'Association des parents catholiques appuyait la même proposition, d'où sa réaction très positive à l'annonce récente du ministre de l'Éducation.
Cette commission parlementaire concernait le réseau scolaire public. Toutefois, si l'on se montre favorable à un système multiconfessionnel dans ce réseau, a fortiori le renforcement de l'appui aux écoles privées semble aller de soi puisque ces écoles, au Québec comme ailleurs en Occident, puisent leur principale raison d'être dans le droit des parents de faire éduquer leurs enfants selon leurs convictions religieuses.
Un projet qui n'avait pas passé le test
Le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école avait examiné cette possibilité d'un système multiconfessionnel (en plus d'un réseau d'écoles laïques) sous ses différents aspects, sociaux, pédagogiques et juridiques. Il avait conclu dans son rapport (rapport Proulx, 1999, p. 189-191) qu'une telle perspective communautarienne, quoique conforme en principe au droit à l'égalité, allait à l'encontre des politiques sociales québécoises visant à favoriser la cohésion sociale. Elle laissait entrevoir des difficultés majeures à répondre aux demandes légitimes de toutes les religions minoritaires en plus de soumettre l'orientation des écoles de quartier au jeu des rapports de force entre groupes religieux ou ethniques.
En outre, cette configuration ne correspondait pas aux attentes sociales telles que révélées dans la vaste enquête produite pour éclairer les recommandations du Groupe de travail (Les attentes sociales à l'égard de la religion à l'école publique. Étude n° 2, ministère de l'Éducation, 1999).
Les instances concernées au premier plan par le monde scolaire (et qui n'ont tout simplement pas été consultées cette fois-ci) avaient, lors des débats en commission parlementaire, clairement émis l'avis qu'un système multiconfessionnel qui consoliderait les projets d'écoles ethno-religieuses n'était absolument pas souhaitable.
Un déficit démocratique
Depuis 2000, les écoles du réseau public ont été déconfessionnalisées et la Loi modifiant diverses dispositions législatives dans le secteur de l'éducation concernant la confessionnalité (loi 118) ne permet plus à une école publique de se doter d'un projet éducatif confessionnel. Rappelons que la déconfessionnalisation du système scolaire s'est opérée à la suite de vastes consultations et de larges débats publics. Les décisions gouvernementales bénéficiaient ainsi d'une solide assise de légitimité.
Comment ne pas voir dans le financement complet d'une école privée confessionnelle une voie ouverte au «démaillage» de la configuration scolaire plus globale, fruit d'un véritable travail démocratique (même si des décisions restent encore en suspens, notamment la question du degré de financement des écoles privées et celle des clauses dérogatoires qui protègent présentement les enseignements religieux confessionnels) ?
Comment ne pas s'étonner que la Commission consultative sur l'enseignement privé, organisme gouvernemental dont le mandat concerne précisément le statut des écoles privées et leur développement, ne semble pas (sauf erreur) avoir été consultée sur la question du financement des écoles privées juives ? En 1993, cette commission avait d'ailleurs émis un avis défavorable à la multiplication des écoles ethniques et religieuses (L'école privée et les communautés culturelles et religieuses. Avis présenté à la ministre de l'Éducation, Montréal, gouvernement du Québec). [...]
On est donc en droit de supposer qu'il s'agit d'une décision qui marque un changement de cap dans la politique de laïcisation du système scolaire, entamée sous le gouvernement du Parti québécois. Au gouvernement actuel de nous convaincre du contraire.
Micheline Milot
_ Professeure, département de sociologie, Université du Québec à Montréal


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