L'inguérissable blessure

PQ - stratégie revue et corrigée

Et si le 26 mars 2007 marquait la fin d'une époque et l'évaporation d'un rêve? Déserter le Parti québécois aujourd'hui, comme l'ont fait tant d'électeurs, n'est pas seulement changer de parti. Si c'était, souvent en se faisant violence, perdre la foi dans cette idée aussi généreuse que folle de l'indépendance du Québec? Si c'était assumer enfin, non sans douleur, les conséquences des échecs successifs des deux référendums?

Car il faut savoir qu'une partie des électeurs qui ont quitté le PQ n'y retourneront jamais, convaincus qu'ils sont désormais qu'il n'y a plus de «temps nouveau» pour eux. Le choix erratique du chef du parti et les extravagances successives de celui-ci, que n'a pas atténuées sa prestation électorale, avaient contribué à rendre ses militants vulnérables à la tentation de la désertion. Ceux-là savent que le peuple qui a parlé lundi n'est ni traître ni taré, comme l'ont hurlé avec mépris et sans doute dans la douleur les mauvais perdants, parmi lesquels on retrouve autant de néophytes que de vieux croyants. Ils savent aussi qu'un vote pour le PQ n'est pas un vote comme les autres, ce n'est pas un vote qu'on brade d'un scrutin à l'autre. Voter PQ représentait pour nombre d'entre eux, croyaient-ils, un engagement à vie et, en ce sens, quitter le PQ signifie ne plus y retourner.
Car l'espoir est aussi un sentiment qui s'use. Et ils avaient tant espéré. Ils avaient trop connu les lendemains déchirants après les exaltations enivrantes. Surtout, ils avaient enkysté la blessure des échecs. Ainsi, ils ont assisté, impuissants, à la lente agonie de la vie intellectuelle dans leur parti, empêtré dans les luttes internes après avoir connu la mort ou l'abandon de chefs charismatiques. Parmi ceux qui ont lâché prise lundi, on trouve aussi des gens heurtés dans leur sensibilité, qui ne croient pas que l'éthique et la notion de progrès ont leurs quartiers réservés dans le Plateau Mont-Royal, cette métaphore de toutes les expériences du laboratoire social qu'on souhaiterait que soit le Québec chez des gourous déjantés.
Érosion
À 15 ans de distance, les deux NON, particulièrement celui de 1995, ont été vécus par les souverainistes dans le désespoir et la honte, ce sentiment qui agit selon le principe de l'érosion sur la pierre. S'est alors installée une fatigue diffuse et chronique du désir d'être indépendants que n'est pas arrivé à atténuer l'enthousiasme réel mais inquiet des plus jeunes, cette génération fragilisée se résolvant mal à s'affranchir de l'adolescence pour avoir trop vécu dans l'enfance les problèmes des adultes autour d'eux, atteints du mal de l'âme. En dépit de tous les discours quasi jovialistes à la limite, en dépit des appels à resserrer les rangs et à serrer les dents pour éviter les propos chargés de rage et de doute, après avoir traversé la saison des idées qui leur ont fait faux bond, les militants se sont offert ce psychodrame qu'a été la course à la direction du parti. Dans cette course, le PQ est apparu tel qu'en lui-même, prisonnier de son esprit procédurier, déchiré dans sa vision sociale et surtout traversé d'une panique qui s'est traduite dans cet élan obsessionnel de se rajeunir. Comme si, en diminuant des ans l'irréparable outrage, pour paraphraser ce vieux Racine, l'indépendance rejetée par le peuple allait se régénérer. En ce sens, et peu importe ses défauts et ses qualités, le nouveau chef a reçu en héritage un patrimoine hypothéqué.
Ceux qui ont refusé de se bercer d'illusions et assumé la vieille blessure deux fois ressentie ne peuvent pas être étonnés de ce chiffre maudit de 28 %. Parmi eux, certains ont mis fin à leur espérance et, le coeur lourd, se sont rendus aux urnes comme d'autres se rendent à l'abattoir. Ils ont voté contre le parti de leur famille spirituelle pour ne plus vivre dans la déception perpétuelle. Parce qu'ils savent aussi, même si on évite cette équation, qu'il y a un lien obligé entre le refus de la grande majorité des Québécois de vivre un autre référendum et la désaffection lente mais persistante devant l'idée de l'indépendance elle-même. Le courage est une vertu qui réjouit rarement le coeur; or, il en faut pour accepter cette brutale réalité.
Les maux dont souffre la société québécoise ne peuvent plus être attribuables à une domination par l'«autre», ce mythique ennemi qui nous a trop longtemps confortés dans notre statut de victime sacrificielle. Le dominant a changé de visage et le peuple est fatigué. Peut-être se trompe-t-il, mais il a la légitimité pour lui.
Enfin, aucune blessure, fût-elle inguérissable, n'autorise celui qui en est affligé à accabler son peuple. Car aucune cause, si noble soit-elle, n'est à l'abri d'une remise en question. L'histoire est ainsi faite.
denbombardier@vidéotron.ca


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