L’impasse fédérative et les deux peuples fondateurs

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!

Plus de quarante-cinq années ont passées depuis la parution du rapport préliminaire de la Commission Laurendeau-Dunton. Au chapitre des rapports voués au destin de la tablette poussiéreuse des publications gouvernementales, destin réjouissant pour certains, déplorable pour d’autres, le rapport préliminaire de la Commission Laurendeau-Dunton surprend toujours qui veut bien le lire ou le relire de par la pertinence inattendue de son analyse des relations entre « les deux peuples fondateurs », laquelle échappe encore, pour l’essentiel, à l’épreuve du temps, au moins pour ceux qui possèdent encore la capacité essentielle et fort recherchée d’éviter les couloirs achalandés de la pensée brevetée. La pensée officielle est bel et bien une pensée de couloirs, et d’un couloir, on sait généralement ou il nous mène. Balisé, il nous dispense de l’effort réflectif; il nous dispense d’avoir à établir nos propres balises, et pour le meilleur et pour le pire, nous confine à l’étroitesse de par l’inhérence de sa disposition. La ligne droite, la rectitude politique, le port des œillères et j’en passe, toutes des choses qui constituent un passage obligé par la tentation sécurisante, l’allègement complaisant du raccourci intellectuel.
Outre ces gens qui se plaisent à croire que ce dont on ne parle pas n’existe pas, malgré eux ou de façon intéressée, il n’en demeure pas moins que le problème fondamental entre le Québec et le Canada anglais est celui d’une majorité à l’échelle du Québec, et d’une autre à l’échelle de la fédération canadienne. L’histoire canadienne d’après la conquête britannique, c’est d’abord, avec un certain recul, une histoire de relations profondément inégalitaires, basées sur le droit de conquête, qui cristallisera un rapport de force favorable aux britanniques et défavorable aux colons français et à leurs descendants. Cette cristallisation façonnera les relations entre les peuples fondateurs et continuera à influencer de manière prépondérante le fonctionnement de la fédération canadienne, animée par ce que nous appellerons le paradigme relationnel colonial.
Deux temps, dans la perpétuation de cette dynamique; un premier lors duquel le conquérant britannique s’appliquera à exercer son droit en minoritaire à l’endroit du majoritaire, un second, caractérisé par la minorisation politique des descendants des colons français, institutionnalisée par l’Acte d’union. Ce dernier constitue l’acte fondateur qui introduira le paradigme relationnel colonial et l’ancrera profondément comme base relationnelle entre les « deux peuples fondateurs ». En ce sens, le rapatriement unilatéral de la constitution canadienne de 1982 cristallise un rapport de force qui fait défaut au Québec et instaure grosso modo le maintien des mêmes institutions, formellement ou de manière symbolique, qui eu permis au paradigme relationnel colonial de s’inscrire durablement dans les relations Québec-Canada.
Sur fond de cristallisation dudit rapport de force, le problème des deux majorités survient lorsque la majorité francophone du Québec, passive et reclus dans un nationalisme de conservation, prendra conscience du fait qu’elle constitue elle-même une majorité au sein du territoire québécois. Cette conscience arrive avec la montée des revendications de la jeunesse d’après-guerre, nombreuse et ayant des exigences culturelles élevées. Désormais, elle n’accepterait plus de subir passivement la domination socio-économique de la minorité de langue anglaise, elle aspirait maintenant à plus que la défense, la conservation, mais bien à l’épanouissement, conformément à elle-même.
Comme toute entité individuelle ou collective qui atteint une certaine maturité, arrive avec cette jeunesse un goût de plus en plus prononcé pour un certain degré d’autonomie. Sincère et déterminée, cette nouvelle élite, il est vrai, en est une de rupture, pas avec elle-même mais bien avec ce qui la séparait d’elle-même, car très peu nombreux étaient ceux qui voulaient réellement rompre avec leur moi ancien, majoritaires étaient ceux qui aspiraient à se débarrasser de leurs chaines. Car en vérité, tout ce que cette jeunesse avait de différent avec les générations précédentes tient dans le fait que désormais, elle oserait aller de l’avant sans l’aval immédiat de ses maitres de jadis. Elle oserait être elle-même pleinement et sincèrement, héritant mais dépassant ses vieilles pathologies de peuple rabroué, diminué, rabaissé par la conquête. La conquête et ses suites, l’instauration d’un rapport de force par le droit conféré au plus fort, maintenant perçues comme autant de vieilleries décadentes d’une époque révolue, doivent être traitées comme ce qu’elles sont, désuètes, encombrantes, malsaines. En un mot, on vise la mise au rancart, pour de bon, du paradigme relationnel colonial qui eu animé les relations entre les deux peuples fondateurs depuis leur rencontre.

Cependant, le Canada anglais, de bonne foi ou de façon intéressée, ne voit pas les choses de cette façon. Pour eux, rompre avec le paradigme relationnel colonial, c’est renoncer, partiellement ou en totalité, au pays dont le Canada anglais rêvait tant, multiculturel et uni dans la diversité, mais surtout, renoncer à exercer son rôle de culture suggérée implicitement, allant de pair avec la dominance que lui confère sa majorité politique au sein des institutions fédérales. Sachant cela, le refus de reconnaitre adéquatement le Québec comme entité collective légitime, conjugué à la montée d’un antagonisme identitaire, aura une influence prépondérante dans la formation réciproque des deux identités des peuples fondateurs. Cela signifie que l’opposition, le goût de tendre ultimement vers leurs idéaux identitaires réciproques et contradictoires, prioriseront dans la formation des identités. D’où l’idée de « cristallisation de l’antagonisme identitaire », qui ne peut se solder que par la capitulation de l’un ou l’autre d’un des deux idéaux identitaires tant que ceux-ci demeurent dans un contexte de cohabitation plus ou moins forcée.
En résumé, l’identité canadienne en est venu à constituer la négation de l’identité québécoise et vice versa. Dans cette perspective, l’arrangement constitutionnel à court ou moyen terme est fort peu probable, puisque si suffisant en regard des revendications du Québec, il correspondrait véritablement à une concession pure et simple envers celui-ci, une concession à même l’idéal identitaire canadien anglais, pancanadien et multiculturel.
Au final, l’avenir du Québec tel que lui-même se perçoit, distinct du reste du Canada et refusant d’incarner une minorité ethnique parmi tant d’autre au sein d’une société multiculturelle, passe par un spectre des possibles se réduisant au choix suivant : s’affranchir, au moins politiquement, ou disparaître graduellement, la majorité historique francophone perdant peu à peu son caractère déjà difficilement maintenu de culture suggérée, de culture de convergence. Dans un tel état des choses, le projet d’affranchissement collectif du peuple québécois, celui de la souveraineté nationale, est la seule alternative au renoncement de soi, l’unique avenue à emprunter pour s’inscrire dans la pérennité.


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