Au Québec, fierté rime avec hockey !

L’étoffe des héros

Chronique de Louis Lapointe

Comme chaque printemps depuis des années, il ne se passera rien au Québec tant que les Canadiens de Montréal seront en séries éliminatoires. Une période pendant laquelle les Québécois s’assemblent dans les bars pour suivre les péripéties de leur équipe et sortent par milliers dans les rues pour fêter les victoires de leurs héros, arborant fièrement les couleurs de leurs favoris.

Il ne se passera rien au Québec tant que les Canadiens seront dans les séries parce les Québécois préfèrent le hockey à la politique. Non seulement les Canadiens de Montréal réussissent là où les politiciens balbutient, mais en plus, ils provoquent chaque année une euphorie collective qu’aucune fête nationale ne pourra jamais égaler. Quoi qu’on en pense, les drapeaux du Québec ne seront jamais aussi nombreux un 24 juin que ceux des Canadiens le sont pendant les séries éliminatoires de la coupe Stanley. Au Québec, fierté rime avec hockey !

Même si les Canadiens n’ont toujours pas gagné la coupe depuis 1993, d’année en année, les Québécois ne perdent jamais espoir de voir un jour leur équipe la remporter à nouveau. Loin de les décourager, leurs nombreux échecs consécutifs ont pour effet de raviver la fièvre qui accompagne inlassablement ces événements qui se reproduisent chaque année.

Pour ces raisons, nos politiciens sont conscients que leurs partis n’auront jamais le même succès médiatique que les Canadiens de Montréal. Ils savent que lorsqu'ils sont en séries, les pires scandales font couler moins d’encre qu'à l'habitude, alors que les gouvernements peuvent prendre des décisions plus controversées. Une période bénie où notre premier ministre Jean Charest pourra faire ce qu’il préfère, gagner du temps, le plus de temps possible d’ici la fin de la session parlementaire.

Gagner du temps avec un budget impopulaire, gagner du temps au sujet de dossiers aussi empoisonnés que celui des garderies, gagner du temps avant de remanier son conseil des ministres, gagner du temps avant de congédier certains ministres qui ne méritent plus la confiance du public, même si le premier ministre la leur a accordée du bout des lèvres, une confiance qui ne devrait normalement pas dépasser le temps des séries.

Pourquoi un premier ministre voudrait-il brûler de bonnes nouvelles si elles risquent d’être éclipsées sur l’échiquier médiatique par les succès des Canadiens de Montréal? Ses conseillers lui auront probablement suggéré d’attendre la fin des séries pour les annoncer ?

Le règlement très attendu de l’harmonisation de la taxe de vente ne pourrait pas mieux tomber pour un gouvernement en perte de vitesse et serait l’occasion rêvée pour Jean Charest de reculer sur la franchise santé, profitant de cette annonce pour faire oublier rapidement un incontournable remaniement ministériel où il pourra faire disparaître des écrans radars de l’opposition les plus controversés ministres de son cabinet comme celui de la Famille, Tony Tomassi.

***

Étrangement, si les Québécois peuvent accepter que les Canadiens perdent les séries chaque année, continuant d’espérer les voir gagner l’année suivante, il est paradoxal de constater qu’ils refusent l’idée même de subir à nouveau les affres d’un autre référendum sur la souveraineté. On peut encore espérer gagner la coupe Stanley, mais pas notre indépendance, un troisième référendum étant considéré comme une vaine tentative qui risquerait de se solder par un échec si l’on se fie à l’opinion exprimée par une majorité de Québécois.

Si leurs idoles doivent souffrir dans les coins de patinoire pour boire à la coupe Stanley, nos compatriotes refusent obstinément de faire les mêmes efforts pour connaître le Grand soir. Une majorité de Québécois croient que l’indépendance ne se fera pas. Que dirait-on des Canadiens de Montréal s’ils refusaient de faire les séries par peur de perdre ?

Comment ne pas dès lors accréditer cette thèse voulant que les Québécois soient un peuple de spectateurs qui préfèrent les estrades à la patinoire? Même s’ils n’apprécient pas les spectacles auxquels ils assistent à l’Assemblée nationale et à la Chambre des communes, ils ne font rien pour y mettre fin.

Pour eux, à l'image du hockey, la politique est un sport, et, comme au baseball, ils sont de moins en moins nombreux à s’y intéresser. Toutefois, contrairement au cas des Expos de Montréal, la survie de nos partis politiques est loin d’être menacée, puisque, manifestement, il y a suffisamment de gens d’affaires pour les soutenir financièrement, des gens qui y trouvent plus d'intérêts personnels que la plupart des Québécois qui n'ont aucune confiance en la parole des politiciens.

Les Québécois peuvent toujours dire que la politique est sale, mais tant qu’ils ne lui accorderont pas autant d’importance qu’au hockey, tant qu’ils ne quitteront pas leurs estrades pour chausser les patins, ils devront vivre avec les partis politiques et les politiciens qu’ils contribuent à élire en s’abstenant d’aller voter.

Tous ceux qui participent activement à la vie politique savent d’expérience que sans espoir de changer les choses, il ne peut y avoir de véritable engagement politique, alors que sans un véritable engagement politique, nous ne pouvons pas légitimement espérer changer l’ordre des choses.

S’il y avait une seule leçon à tirer de notre sport national, ce serait que les victoires se gagnent sur la patinoire, dans les coins, pas dans les estrades !

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2010

    Vous écrivez :
    « Tous ceux qui participent activement à la vie politique savent d’expérience que sans espoir de changer les choses, il ne peut y avoir de véritable engagement politique, alors que sans un véritable engagement politique, nous ne pouvons pas légitimement espérer changer l’ordre des choses. S’il y avait une seule leçon à tirer de notre sport national, ce serait que les victoires se gagnent sur la patinoire, dans les coins, pas dans les estrades !»
    On n'est pas pire ni meilleur qu'ailleurs. C'est comme ça partout :
    Toute la planète : soccer, tennis, courses de chars, shows de vedettes anglos-américaines, bières et pitounes...
    Amérique du Nord : football, baseball, volleyball, courses de chars, hockey, shows de vedettes anglos-américaines, bières et pitounes...
    La glace est mince mais découragez-vous pas

  • Marcel Haché Répondre

    6 mai 2010

    Quoi qu’on en pense, l’indépendance se fera avec plein de jeunes et de moins jeunes avec le chandail CH sur le dos. Il y a là une fidélité « sportive » portée partout et parfois très loin par les fans. Pour ma part, je trouve cet attachement et cette fidélité admirables.
    Et si vous déplorez le fait que le nombre de drapeaux du CH éclipse celui du Québec lors de notre fête nationale, c’est simplement que vous observez le mauvais évènement. Faut voir autrement.
    Le nombre de drapeaux du CH n’est rien, moins que rien, rien du tout, absolument rien, en comparaison du nombre de drapeaux québécois que vous verriez un jour ou un soir, ou même la nuit, en hiver comme en été, si une équipe du Québec devait jouer un match de hockey aux jeux olympiques ou aux championnats du monde…
    Il y a là une fidélité trahie.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mai 2010

    Monsieur Lapointe
    Excellent texte qui résume assez bien ce que je pense de cette bébelle fédéraliste qu'est le club de hockey "les Canadiens". Nous sommes un peuple de perdants et nous nous projetons dans les victoires de ce club; ça prend bien une compensation quelque part n'est-ce-pas? Autrement dit, nous vivons par procuration. Il m'a fait plaisir.
    André Gignac le 5 mai 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2010

    Monsieur Lapointe,
    Qu'est-ce à dire du citoyen de Rousseau?
    « Pour eux, à l’image du hockey, la politique est un sport ».
    Et comme le sport est un jeu de guerre sublimée, la politique est un jeu de guerre. Les peuples (concept né d'une illusion marxiste) des nations (du lat. nationem, qui vient de natus, né, Le Littré) ne sont solidaires que dans la guerre de ceux qui sont « nés » quelque part! Ils se la font - et c'est là qu'ils se reconnaissent. La vraie communauté, disait Georges Bataille, se trouve dans la tragédie -, se saoulent la gueule et assassinent l'adversaire. Quelle tristesse (mais quelle réalité) de découvrir la solidarité au sein même de la pulsion de mort.
    Je préfère la vie. Le hockey a cent ans, ici. Il coïncide avec la fin de la Première guerre mondiale. Et on commémore le tout dans les bars! Mais qui parle de politique comme chez les Grecs! En ce moment, leur âme est dévorée par les Cyclopes (ces politiciens criminels qui détruisent l'état de droit et lynchent quiconque s'y oppose) et les Québécois incultes se farcissent de juvéniles nabots inarticulés et millionnaires. Quelle indigence!
    À les voir, lorsque je me dirige vers Lucien-Lallier pour prendre le train, je me désole de découvrir le vrai Québécois pure laine! Il est attardé mentalement, grogne une langue incompréhensible (Le Frère Untel dans ses Insolences l'avait admirablement décrite. À ce compte, il devait être ethnologue pour décrire le dialecte primitif qu'utilise le Québécois aux abords du Centre Bell) et se gratte les couilles en signe de solidarité.
    Et vous voulez faire un pays avec ça!
    Bonne chance. En ce qui me concerne, je préfère m'exiler dans la littérature grecque...
    André Meloche
    P.S. De toute façon, il est trop tard pour fonder un pays! Nous sommes à l'ère de l'ordre mondial qui s'empressera bien de refroidir tout élan nationaliste...