L'énigme souverainiste

Québec 2007 - Parti Québécois


Dans le dernier sondage CROP, 48% des répondants appuient la souveraineté-partenariat, mais le Parti québécois ne recueille que 32% des intentions de vote. L'enquête de Léger Marketing, avec une question différente, trace un portrait similaire: 44% pour la souveraineté et 28% pour le PQ. Comment expliquer un tel écart? Les gens sont-ils frappés d'incohérence?
Une façon de résoudre l'énigme est de considérer que la souveraineté a une double signification dans l'opinion publique québécoise.
Pour une majorité de souverainistes, l'indépendance du Québec ne fait aucun doute. Pour eux, la souveraineté doit arriver «le plus tôt possible». Le projet constitue une condition incontournable à un plein développement économique, social et culturel du Québec. D'où l'urgence maintes fois répétée. Voter pour le PQ est indispensable à leurs yeux, peu importe le slogan ou le chef. Ils sont la base électorale du PQ: en gros trois électeurs sur dix!
Par contre, pour d'autres, la souveraineté constitue plutôt une réaction défensive. Pour deux électeurs sur dix, elle n'est pas une nécessité, mais une possibilité. On la brandit lorsqu'Ottawa ou le Canada anglais heurte le Québec. Ainsi s'expliquent les variations des appuis à la souveraineté au moment de la mort de Meech ou lors du scandale des commandites. L'appui au projet souverainiste relève alors de l'opposition, d'une «menace» et non d'un projet ferme. Pour ces souverainistes, le projet est une «police d'assurance», selon l'expression de René Lévesque. Quand la colère est passée, l'accordéon se contracte et l'option de la souveraineté, sans être reniée, passe au second plan. On continue de préférer l'option souverainiste, mais sans empressement, sans urgence.
Derrière le 44 ou 48% de gens favorables à la souveraineté, on retrouve donc les deux groupes de souverainistes: ceux de la souveraineté-nécessité et ceux de la souveraineté-possibilité. Pour le PQ, cette double définition de son projet dans l'opinion publique est cependant étourdissante.
Au sein du parti, cette ambivalence de l'opinion publique alimente les luttes de factions. En juin 2005, au milieu du scandale des commandites, les purs et durs l'ont ainsi emporté parce que le PQ faisait le plein chez tous les souverainistes; c'est alors que le partenariat a été éjecté.
À l'externe, les conséquences de cette ambivalence sont tout autant difficiles pour le PQ. Ainsi, après le revers infligé aux libéraux fédéraux du Québec et l'arrivée d'un Stephen Harper plus conciliant à Ottawa, plusieurs ont remisé l'arme défensive. «Ils ont eu leur leçon», se sont-ils dit. Le PQ, avec son programme radical, adopté formellement dans un tout autre contexte, exprime une colère qui n'est plus là. Ils passent pour des «chialeux».
On comprend alors pourquoi les deux tiers des Québécois ne veulent pas d'un référendum: certains parce qu'ils détestent ce débat, d'autres parce qu'ils craignent que le OUI ne se fasse battre pour une troisième fois et plusieurs parce qu'ils ne sentent pas le Québec menacé à ce moment-ci.
Autres thèmes
Mais il y a plus. Quand l'urgence de la souveraineté s'estompe, ce sont les autres thèmes qui reprennent de la vigueur: débat gauche-droite, environnement, accommodements raisonnables, remboursement de la dette. Le PQ semble alors déphasé avec son projet de souveraineté. On est tenté de regarder ailleurs: ADQ, Verts ou Québec solidaire.
Aucune incohérence dans ce comportement: c'est parce que, pour plusieurs, la souveraineté n'est pas une nécessité et qu'ils peuvent aller voir du côté des tiers partis. Pour eux, voter pour le PQ n'est pas, n'est plus indispensable. Le leadership d'André Boisclair n'est donc pas seul en cause. Un examen attentif des sondages montre qu'une bonne part des pertes du PQ a été enregistrée bien avant les frasques automnales du jeune chef péquiste.
Le travail actuel du chef du PQ est donc celui d'un équilibriste qui tente de récupérer les morceaux perdus et de traiter des autres thèmes, sans pour autant abandonner celui qui unit les souverainistes. La «Feuille de route», les contradictions avec le programme et le nouveau logo du PQ sont autant de preuves que le bricolage est difficile.
L'attitude de l'«autre»
Le drame du chef péquiste, quel qu'il soit, reste entier: les motifs initiaux du projet du PQ - l'infériorité économique des francophones et l'utilisation de l'État comme outil de rattrapage - , ont perdu de leur pertinence. L'humiliation vécue structurellement par les francophones, jour après jour, appartient plus au passé qu'au présent; et le PQ n'est pas étranger à ce relèvement.
Le chef du PQ sait fort bien qu'une partie importante de la variation des appuis à son parti depuis vingt ans s'explique essentiellement par l'attitude de l'«autre», celle d'Ottawa, qui, par des gestes ou des mots, replace le Québec dans un rapport d'infériorité.
De ce point de vue, un peu d'arrogance d'Ottawa dans cette campagne, quant au déséquilibre fiscal notamment, ferait le bonheur du PQ parce qu'elle pourrait ranimer la colère, du moins de manière conjoncturelle, et raviver la thèse de la nécessaire souveraineté. Stephen Harper fera-t-il cette erreur? Rien n'est moins sûr.
Jean-Herman Guay
L'auteur est politologue à l'Université de Sherbrooke.


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