Les défis de Dion

Le prestige de sa nouvelle charge aidant, le nouveau chef libéral tentera peut-être d'offrir une image différente, plus souple, plus aimable

S. Dion, chef du PLC



Depuis le milieu des années 60, bref depuis que des nationalistes québécois réclament un pays, le Parti libéral est hanté par la question du Québec: comment y répondre? Comment bloquer cette revendication? Comment construire l'identité canadienne en face de l'identité québécoise?
Deux réponses ont été formulées. La première, choisir un francophone avec un discours de fermeté, voire de fermeture. Pendant trente des quarante dernières années, telle a été la réponse des libéraux. Ce fut le cas de Pierre Trudeau, de Jean Chrétien et maintenant de Stéphane Dion. Il n'y a que pendant les années Turner et Martin, tous deux originaires d'une autre province, que les libéraux ont tenté une deuxième approche plus conciliante avec le nationalisme québécois.
Ce n'est donc pas étonnant que la course se soit terminée par l'affrontement de deux camps qui se sont démarqués par leur attitude à l'endroit du Québec: d'un côté, les "trudeauistes" menés par les Dion et Kennedy, auxquels se sont ajoutés la majorité des candidats et, de l'autre, les partisans d'Ignatieff, porteur d'une attitude marquée par des signes d'apaisement et de rapprochement avec le Québec.
La victoire de Dion est celle de la ligne dure, de la vielle recette: auteur du plan "B", ayant peu d'appuis au Québec, le nouveau chef incarne une attitude simple qui consiste à croire qu'il ne faut rien céder et que toute concession sera utilisée par l'adversaire souverainiste pour relancer une spirale de nouvelles revendications. Derrière le refus du compromis, se cache la crainte des "maîtres chanteurs" souverainistes, selon l'expression de Trudeau.
Le premier défi de Stéphane Dion est donc de convaincre les francophones, de leur montrer que le flirt nationaliste est improductif et que des questions plus importantes l'environnement par exemple méritent le maintien d'un lien fédéral fort jouant le vert contre le bleu. À ce chapitre, la tâche s'annonce titanesque.
Le défi du contenu
Le deuxième défi de Stéphane Dion est celui du programme. Si les libéraux ont pu se maintenir au pouvoir si longtemps depuis cent ans, c'est qu'ils sont capables de jongler habilement avec les différents enjeux en occupant le centre de l'échiquier politique. Leurs programmes ont été souvent des montages de solutions empruntées tantôt au centre-gauche, tantôt au centre-droit. À notre époque, c'est sans aucun doute la combinaison environnement-économie qui préoccupe le plus l'opinion publique. Comment protéger l'environnement sans ralentir le développement économique et nuire ainsi à la compétitivité du Canada? Autre préoccupation: comment faut-il se comporter avec notre puissant voisin? Distance ou rapprochement? Guerre en Irak, bois d'uvre, sécurité des frontières sont autant d'enjeux précis qui questionnent le degré de proximité avec Washington et qui divisent les Canadiens.
Or, sur ces deux thématiques, les conservateurs de Stephen Harper ont du mal à sortir d'une ornière idéologique prévisible. Ils ont pu s'en extirper lors de la campagne de janvier dernier, mais le naturel est revenu au galop dès que le printemps s'est manifesté. Trop peu verts et trop pro-américains, ils adoptent des attitudes qui tranchent avec le cur de la culture politique canadienne. Pour le nouveau chef libéral, la capacité à occuper habilement le centre de l'échiquier politique constitue le deuxième défi.
De ce point de vue, Stéphane Dion a développé tout au long de la course un argumentaire intéressant, imaginatif. Il ne serait pas étonnant qu'il soit en mesure de marquer des points en Ontario et d'élargir l'électorat libéral au pays. Ce défi risque d'être moins exigeant que le premier.
Le défi du charisme
Le troisième défi renvoie à la stature de l'homme. Les libéraux ont souvent eu pour chef des intellectuels prestigieux (Mackenzie King, Trudeau), des diplomates reconnus (Pearson) ou des orateurs charismatiques (Laurier). Ils ont aussi eu des leaders pragmatiques (Saint-Laurent, Turner, Chrétien, Martin). Les premiers ont été admirés par leurs électeurs, les autres appréciés. À une époque où l'image joue un grand rôle, où le charisme est une composante importante des campagnes électorales, le nouveau chef libéral se doit de renouer avec la tradition des grands leaders. À ce chapitre, Stéphane Dion a l'avantage de l'intellectuel tout comme Michael Ignatieff, mais il n'a pas le charisme de ce dernier ni l'audace rhétorique de Bob Rae.
Au terme d'une course à la direction, est-ce qu'on connaît vraiment la capacité de Stéphane Dion à relever les défis de sa fonction? Oui et non. On connaît sa vivacité, son expérience et son engagement environnemental. Le prestige de sa nouvelle charge aidant, il tentera peut-être d'offrir une image différente, plus souple, plus aimable que celle forgée par les caricaturistes. Pour beaucoup de Québécois cependant, l'homme restera le même, peu importe le travail des communicateurs.
Que provoque sa victoire chez ses adversaires? Stephen Harper est-il déjà craintif? Jean Charest, déçu? Quant à Gilles Duceppe, il est probablement en train d'échafauder un double pari: les Québécois bouderont les conservateurs parce qu'ils ne se reconnaîtront pas dans les politiques sociales et environnementales de Stephen Harper; et ils bouderont également les libéraux, parce qu'ils ne verront pas dans le nouveau chef l'attitude d'ouverture qu'ils réclament depuis toujours. Bref, une victoire étonnante qui change la donne politique.
L'auteur est politologue à l'Université de Sherbrooke.


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