L’augmentation des tarifs, pour qui? Pourquoi?

Chronique de Louis Lapointe

Les spécialistes l’ont dit abondamment, le coût de l’électricité est trop bas pour que la privatisation d’Hydro-Québec puisse devenir une opération rentable pour ceux qui l’effectueront, acheteurs et gouvernement. Il faut donc tarifer la valeur du service à son juste coût pour qu’Hydro-Québec puisse être vendue à un juste prix en regard des revenus qu’elle procurera à ses acheteurs et des royautés qui seront versées à l’État.
Ce ne sera pas la première fois que nos politiciens effectueront de grands détours pour atteindre le but caché qu’ils recherchent. C’est exactement le même genre de stratagème qu’avait conçu Lucien Bouchard pour fusionner Montréal et éviter qu’on l’accuse de vouloir faire disparaître les municipalités anglaises du West-Island qui menaçaient de partitionner le Québec. Il a donc fusionné toutes les grandes villes du Québec. Les Québécois ont alors pu constater où ce genre de stratagème menait, au cynisme et à la démobilisation politique. Nous en payons encore le prix aujourd’hui avec 43% d’abstentionnisme aux dernières élections, en particulier dans le 450, là où les fusions et les défusions municipales ont le plus écœuré les citoyens.
Mais contrairement aux fusions municipales, l’objectif est beaucoup plus ambitieux et les acteurs beaucoup plus déterminés. En fait, c’est drôlement plus insidieux cette fois-ci, puisque tous les lucides sont de la partie, qu’ils soient libéraux, péquistes ou adéquistes. Depuis plus d'une semaine, les journaux ont été bombardés d’informations venant de toute part affirmant qu’il serait plus rentable pour le Québec d’augmenter ses tarifs, que cela n'avait rien à voir avec la crise économique. Que les Québécois vivaient au-dessus de leurs moyens, qu’ils ne payaient pas la juste valeur des services qu’ils recevaient, que c’était régressif et injuste pour les plus pauvres! Qu’il fallait diminuer encore plus les impôts des plus riches pour mieux taxer la classe moyenne en augmentant les tarifs, tout en donnant des crédits d’impôt aux plus démunis!
Ainsi, d'un coup de baguette magique, on pourra régler tous les problèmes de financement des universités et du réseau de la santé. Cette apparente équité cache pourtant une double tarification. Ceux qui payent le plus d'impôt au Québec, sont justement ceux qui utilisent le plus de services. Où est le problème?
Il faut chercher ailleurs. Cette belle unanimité des commentateurs patentés cache encore une fois les profondes motivations qui suscitent cette vaste opération de relations publiques orchestrée par les lucides. La vraie raison, c’est que les Québécois viennent de se faire voler 40 milliards $ et qu’il faut que quelqu’un paye la note. Comme dans notre merveilleux monde capitaliste les voleurs sont toujours récompensés, surtout au Canada, ce seront encore une fois les contribuables qui devront payer la facture. Cette fois-ci, elle sera vraiment salée, passez-moi en un papier.
***
Ce qui est présenté aujourd'hui comme de justes tarifs permettra de faire passer comme des lettres à la poste toutes les mesures les plus impopulaires que les gouvernements successifs depuis 1996 n’ont pas réussi à infliger à la population.
Lorsque les Québécois paieront moins d’impôts et des tarifs beaucoup plus élevés, non seulement pourra-t-on vendre Hydro-Québec à l’entreprise privée, mais cela justifiera également la privatisation des réseaux de distribution de l’eau, la même logique de profit prévalant. Payer le juste prix pour l’eau en fera une ressource payante à exporter.
Alors que nos dirigeants ne savent plus comment faire pour privatiser le réseau de la santé, les arguments viendront naturellement. Quand les contribuables paieront le juste prix pour les services publics qu’ils recevront, qu’est-ce qui empêchera les autorités de les convaincre qu’il n’y a plus de différence entre les services de santé privés et publics, ceux-ci étant tous les deux facturés? On pourra alors privatiser des grands pans de notre réseau de santé sans que cela soulève le moindre tollé. Pourquoi ne pas confier de la même façon une partie du réseau de l'éducation au secteur privé?

Pourtant, comme c’est le cas avec les PPP, cela coûtera beaucoup plus cher collectivement, parce que les banques, les actionnaires et tous les autres intermédiaires prendront leurs cotes. Les biens pensants diront alors qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, car le jeu de la concurrence finira par tourner en notre faveur. Que ce ne serait qu’une question de temps et qu’à long terme nous serions tous gagnants!
Qu'on ne s'illusionne pas trop! Lorsque les propriétaires et actionnaires de nos services seront disséminés un peu partout sur la planète, ce sera exactement la même logique qui prévaudra pour le paiement des tarifs d’eau, d’électricité, de santé que c’est le cas pour le pétrole actuellement. Ce sera le marché qui décidera du juste prix, pas le gouvernement qui se limite timidement à fixer ce qu’il appelle le prix plancher de l'essence à la pompe. On ne peut rien faire politiquement contre la mondialisation!
Comme par hasard, un autre lucide nous expliquait dans le Devoir de ce matin qu’on devrait scinder la Caisse de dépôt et de placement en trois entités parce qu’elle serait trop grosse et difficile à gérer. Dans le fond, ce ne serait tout simplement pas parce qu’elle va être plus facile à privatiser, en tout ou en partie, lorsqu’on voudra vendre les divisions les plus rentables au secteur privé ?
Le Québec à vendre n’est pas seulement le fait de Jean Charest et du PLQ comme on voudrait bien nous le laisser croire, c’est l’affaire des tous les lucides, un groupe de personnes qui contrôle tous les partis politiques et les médias au Québec. L'alternance de gouvernement n'y changera rien. Je n’ai pas besoin de les nommer, nous les connaissons tous. Ils brillent par leur habileté à nous convaincre que nous ne sommes pas assez productifs. Les articles et les journaux de leurs amis sont assez éloquents à cet égard.
Qu’on ne se méprenne pas à propos de leurs véritables intentions, la crise que nous vivons actuellement n’est pas le fruit de la présumée faible productivité des Québécois ou le fait qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens comme on semble vouloir les en convaincre. Elle est le résultat des manigances de boursicoteurs qui se sont enrichis à nos dépens, dérobant le contenu de notre Caisse de retraite. Comme les lucides le souhaitaient tous, nous devrons travailler plus fort et plus longtemps pour la renflouer.
Et comme si ce n’était pas assez, les requins se montreront encore plus audacieux, estimant pouvoir nous dévaliser une deuxième fois et légalement cette fois-ci. Le contenu de la Caisse n’étant plus suffisant, ils voudront non seulement s’approprier de toute la Caisse, mais aussi de tout le fond de commerce du Québec: électricité, eau, universités, soins de santé. Ça me fait penser aux voleurs qui reviennent sur les lieux de leur crime pour offrir à la victime leurs services de sécurité. Décidément, nous prennent-ils tous pour des valises ?

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    24 février 2009

    Pour répondre à cet article, j'aimerais apporter quelques pistes "théoriques", en apportant un exemple que je connais: celui de l'Union européenne et de la Belgique.
    La privatisation des systèmes de réseaux (transport, électricité, eau, télécoms) sont presque toujours des échecs.
    J'habite en Belgique, et ici, le système public d'électricité a été privatisé pour en assurer la "libéralisation" - la logique de marché voulant que des entreprises en compétition veulent gagner des parts du marché et fassent baisser les prix. Résultat ? Le service est de plus en plus mauvais, et les prix de plus en plus hauts, puisqu'il n'y a pas de réels compétiteurs sur le marché ni de régulateur contre les abus.
    Je mets donc en garde le Québec : pourquoi remettre à des entreprises privées des monopoles d'État ? S'il n'y a pas libéralisation d'un secteur, pourquoi donner un monopole à une entreprise privée, pour qui le but n'est pas de servir le citoyen mais de faire des profits ?
    Il ne faut pas que le Québec marche dans les pas de l'Europe, qui est en train d'anéantir tous les services publics au nom de cette économie de marché, qui est en crise actuellement. Cette crise ne serait-elle pas également la réponse à des abus du capitalisme ? Ne faudrait-il pas revoir cette logique de privatisation à tout prix, qui ne mène pas nécessairement à la libéralisation ?
    Soyons fiers de notre système public, qui, nous l'oublions souvent, est probablement un des meilleurs au monde - il est (relativement) efficace et accessible à tous !