L'art de ne pas se faire avoir

Une autre façon de mieux orienter votre vote, serait de faire partie d'un groupe d'électeurs échangistes anti-Harper

Tribune libre 2008


Si la politique, d'après Paul Valéry, c'est l'art de se servir des gens, ça serait peut-être aux gens de servir de la politique pour faire de l'art.
L'art de ne pas se faire avoir.
Quand le 21 avril 2002, Jean-Marie Lepen a été qualifié au second tour des
élections présidentielles en France, 82% des électeurs français, de
différents courants politiques, se sont mobilisés au second tour pour voter
contre l'extrême droite. Des manifestations de masse avaient eu lieu tous
les jours exprimant l'opposition populaire à la politique d'extrême-droite
de Le Pen. Devant une telle mobilisation, les chefs des autres partis, les
communistes, les socialistes et les verts, ont appelé à voter pour Chirac. Dans le Journal Libération, Daniel Cohn-Bendit avait qualifié la nécessité
de voter pour le candidat de droite de ''super mensonge ludique''.
Chez nous, malgré le danger réel que représente la réélection du parti
conservateur en gouvernement majoritaire, apparemment rien ne laisse
présager que les autres partis politiques vont constituer en pleine
campagne électorale un front anti-Harper. Le NPD ne se ralliera jamais au
parti libéral et le Bloc ne cédera jamais la place au NPD. Et pourtant,
nous avons au Canada, et particulièrement au Québec, une plus forte raison
pour imiter les français, puisque notre extrême droite est déjà au pouvoir
depuis deux ans et demie. Et nous savons maintenant concrètement de quoi
elle est capable.
La division de la gauche a grandement contribué aux succès de la droite
partout dans les démocraties occidentales. La montée spectaculaire de
l'ADQ en 2007 et l'élection du parti conservateur en 2006 sont révélateurs de la faiblesse de la gauche et de son incapacité à former une coalition
forte et solidaire. La menace d'un gouvernement majoritaire formé par le
parti conservateur va-t-elle mettre fin à cette division?
À défaut de compter sur une coalition Bloc-NPD avec le parti libéral, le
seul front capable d'empêcher Harper et son parti d'être réélus demeure
celui des voix progressistes. Les objecteurs de conscience devraient
s'exprimer haut et fort à l'intérieur et en dehors des partis politiques,
pour réhabiliter une certaine conscience canadienne, celle fondée sur la
justice sociale, les droits de l'homme, la promotion de la paix, le soutien
à la culture et la protection de l'environnement. Des valeurs qui placent
le Canada parmi les pays les plus modernes attirant chaque année des
milliers d'immigrants. Des valeurs pour lesquelles le parti conservateur
a démontré clairement son total mépris.
Durant son premier mandat, Harper et son gouvernement conservateur ont
coupé dans le financement aux organismes d'aide à la condition féminine. Ils ont remis en question, avec leur projet de loi C-484, le droit à
l'avortement. Ils ont consacré 15 milliards à l'armement. Ils ont voté
contre l'adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones. Ils ont enfoncé le Canada en Afghanistan dans une guerre coûteuse, inutile
et dont personne ne prédit la fin. Ils ont écarté toute possibilité pour
le Canada d'adhérer aux objectifs de Kyoto. Ils ont coupé dans les
programmes d'aide à la culture. Ils ont essayé de museler les journalistes
de la Chambre des communes. Ils ont modifié la loi pour que les jeunes
contrevenants de 14 ans reçoivent des peines pour adultes et ce malgré
l'opposition de la cour suprême. Ils ont refusé de rapatrier un jeune
canadien de l'enfer de Guantanamo lui enlevant toute possibilité d'être
jugé au Canada dans un procès juste et équitable. En quoi ces actions et
ces mesures du gouvernement conservateur correspondent aux valeurs
canadiennes?
Quand Stephen Harper nous dit avec ironie qu'il se contenterait d'un
autre gouvernement minoritaire, c'est parce qu'il sait lui-même à quel
point les canadiens et particulièrement les québécois ne peuvent adhérer
totalement aux valeurs de son parti. Des valeurs propres à une idéologie
d'extrême droite que Harper essayent de camoufler derrière l'image d'un
père aimant et un homme touché par la mort de jeunes soldats. ''J'ai
pleuré'' a t-il dit aux journalistes pour parler des premiers soldats morts
en Afghanistan.
Aucun de ces journalistes n'a osé demander à Harper quelle genre
d'émotion avait-il ressenti face aux images d'un jeune canadien en
détresse, détenu à Guantanamo depuis 2002. Apparemment les journalistes,
ainsi que les autres partis politiques, ne considèrent pas l'affaire Omar
Khadr comme un enjeux électoral. Quelle voix sera assez courageuse pour
rappeler que l'affaire Omar Khadr, c'est notre affaire à tous. Une affaire
de respect. Le respect du droit, le respect des droits de l'enfant et le
respect des conventions internationales dont le Canada est signataire
interdisant le recrutement et l’utilisation des enfants soldats. À nous de
nous servir de la politique pour faire du respect de la dignité humaine un
enjeu électoral.
Certains pensent que voter contre ou voter stratégique n'est pas la
meilleure façon de servir la démocratie. Mais l'histoire nous enseigne que
la démocratie est souvent une affaire d'ironie. Les présidentielles de
2002 en France est un parfait exemple. Des millions de français ont marché
sur leur orgueil en votant pour un candidat qui n'était nullement leur
préféré. Ils l'ont fait pour une bonne cause. Pour combattre la
résignation.
Résignation, une pilule au goût amer que des sondeurs, des analystes et
beaucoup de journalistes essayent de nous faire avaler pour supporter,
selon eux, l'inévitable réélection du parti conservateur. Comme si
l'histoire était écrite d'avance. Comme si Harper était un ouragan contre
lequel on ne pouvait rien. Comme si les citoyens n'avaient plus leur mot à
dire. Comme si aucune alternative aux conservateurs n'était possible. Et comme si le vent de changement et d'optimisme qui règne aux États-Unis
ne pouvait pas nous inspirer.
Quel que soit le parti pour lequel vous envisagez voter le 14 octobre
prochain, il serait peut-être pertinent de vous demander simplement si
votre vote, pour votre candidat ou votre parti préféré, ne favorise pas
indirectement l'élection d'un parti qui ne vous ressemble pas.
Une autre façon de mieux orienter votre vote, serait de faire partie d'un
groupe d'électeurs échangistes anti-Harper. D'après Radio-Canada, cette
nouvelle façon de voter a été initiée par un internaute de Hamilton en
Ontario. Dans le cadre d'un réseau d'amis sur facebook, de plus en plus de
citoyens canadiens envisagent voter de la façon suivante: ''Si par exemple
un électeur néo-démocrate vit dans une circonscription où il est possible
pour le parti libéral de battre les conservateurs, il peut proposer de
voter libéral et, en échange, un autre internaute votera NPD dans une autre
circonscription''.
Aussi stratégique, pour ne pas dire ludique, soit-il, votre vote doit
tenir compte de la menace que représente la réélection d'un gouvernement
conservateur, qu'il soit minoritaire ou majoritaire. C'est votre droit
d'exercez votre art de ne pas vous faire avoir.
Mohamed Lotfi

Journaliste et réalisateur radio

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 septembre 2008

    En réponse aux trois premiers commentaires, je réponds que je ne me reconnais pas dans une stratégie qui va nous mener tout droit vers la réélection d'un parti que nous jugeons dangereux. Un parti qui se nourrit fondamentalement de notre division. Dans plusieurs comptés, voter pour le Bloc, c'est voter indirectement pour les conservateurs.
    Par ailleurs, le Bloc et tous ses députés rendraient un grand service à la cause indépendantiste s'ils faisaient preuve d'imagination et d'abnégation. Par exemple, démissionner en bloc pour redonner un élan et une force sans précédent à l'idée de l'indépendance. Initier un model historique de mobilisation pour remettre la cause à jour.
    Une cause qui a connu d'ailleurs de meilleurs jours dans le passé sans avoir besoin d'être représentée à Ottawa..
    Quand le Bloc intervient dans des dossiers canadiens comme l'Afghanistan, il consacre le fédéralisme canadien. Cela contribue à la situation de faiblesse dans laquelle nous nous trouvons au Québec. Tant d'énergies consacrées à représenter davantage ce que Duceppe appelle ''le consensus'' québécois représenté par les quatre partis (PLQ, PQ, ADQ et QS), qu'a faire la promotion de la cause indépendantiste.

  • Michel Guay Répondre

    17 septembre 2008

    Voter Harper c'est voter
    1) pour l'anglicisation du Québec ,
    2) pour la multiplication des camps de concentrations style le camp Harper à Kingston en Ontario. Incarcérations sans procès
    3) pour le capitalisme sauvage d'extrème droite,
    4) pour notre fermeture au monde,

    5) pour le sable bituminable donc l'énergie sale,
    6) pour le sous développement du deux tiers de l'humanité, c'est en fait voter pour Bush et MacCain ,
    7) pour l'incarcération des enfants et la fin de la rééducation
    8) pour la sous culture anglo canadian Hollywoodienne,
    9) pour une constitution canadian de 1982 diminuant les pouvoirs de l'Assemblée national du Québec
    10) pour les retardés royalistes le faux système fédéraliste et pour le contrôle des médias Québecois par Gesca Ontarion et Corus Alberta
    Pour un Québecois voter Harper , Dion, ou Layton c'est suicidaire
    Votons Bloc en Bloc et libérons nous

  • Archives de Vigile Répondre

    17 septembre 2008

    La seule façon d,arrêter le progrès du parti conservateur au Québec c'est de se regrouper derrière son adversaire le plus fort soit le Bloc. Vous pouvez donc commencer à promouvoir ce parti et ses candidats partout. La force nationaliste est de son coté, la fierté québécoise y loge. Dans le reste du Canada, nous n'y pouvons rien. Avec le Bloc on a un peu la balance du pouvoir. Avec un gouvernement majoritaire c'est le silence de la solidarité de parti ou le Québec se fait avoir. Avec les coupures annoncées dans la culture alors que ce gouvernement minoritaire a des surplus de revenus qu'est-ce qui nous attend s'ils entrent majoritaire et que les surplus de revenus disparaissaient avec le ralentissement? Ce serait la famine et les coupures partout. Si les rencontres que vous préconisez vont dans le sens que je suggère, elles en valent la peine.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 septembre 2008

    L'idée de base peut être bonne mais en pratique, vaut mieux ne pas toucher à l'idée d'un groupe d'échangistes anti-Harper pour une simple raison : Le vote est secret au Canada, M. Lofti.
    Qui va contrôler ces votes ? Qui va se fier à un ou inconnu(e) qui peut écrire ou dire le contraire de son idée ?
    Nous serions mieux d'inciter les souverainistes trop mous ou critiques pour aller voter, de se lever, en faisant un petit effort, et voter Bloc "seul parti qui n'est pas full-fédéraliste" dans cette élection.