L’ADQ et les assistés sociaux aptes au travail : une orientation digne des "neocons"

(...) populisme et préjugés constituent un bien mauvais mélange lorsqu’il est question d’élaborer des politiques sociales qui soient justes.

Chronique de Michel Gendron


Mario Dumont l’a dit : lui et l’aile jeunesse de l’ADQ sont sur la même longueur d’onde lorsqu’il est question d’adopter des mesures coercitives visant à mettre au pas les assistés sociaux aptes au travail.
On se rappellera que la proposition des jeunes de l’ADQ, adoptées lors de leur plus récent Conseil régional, prévoyait que, sous un gouvernement adéquiste, les assistés sociaux aptes au travail seraient forcés de participer à des programmes d’études sous peine de voir leur chèque amputé, et qu’ils perdraient progressivement leurs prestations s’ils en recevaient depuis quatre ans ou plus. Une telle proposition a dû faire saliver tous ces abonnés des lignes ouvertes qui ne ratent jamais une occasion de dénoncer les profiteurs de l’aide sociale, les Indiens (sic) qui reçoivent des millions des gouvernements et les étudiants gras durs qui se payent des études d’avocats et de notaires à même les impôts du bon peuple. L’ADQ, trouve toujours les mots pour plaire à sa clientèle. Loi de l’offre et de la demande oblige!
Une telle proposition des jeunes doit-elle surprendre? Pas du tout, puisque le programme de l’ADQ prévoit déjà de mettre en place une vaste réforme de l’aide sociale qui se résume comme suit : bonifier l’aide aux personnes inaptes au travail, et retourner sur le marché du travail les bénéficiaires aptes au travail. Les jeunes n’auront fait que proposer une façon de faire concrète à un point de programme qu’on avait bien pris soin de ne pas trop détailler.
Le programme de l’ADQ déplore qu’il y ait encore 500 000 bénéficiaires de l’aide sociale sur une population active d’un peu plus de 4 millions d’individus en âge de travailler. Avouons que ces chiffres frappent l’imaginaire. Un lecteur peu familier avec les données statistiques aura l’impression qu’il y a un adulte sur huit aptes au travail qui reçoit de l’aide sociale, ce qui a de quoi inquiéter celui qui prend ces données au mot. La réalité, pourtant, est tout autre. Ce que ne dit pas le programme, c’est que ce demi-million d’assistés sociaux comprend tous les bénéficiaires, autant les inaptes au travail que les aptes, tant les adultes que les enfants. Or, toutes ces personnes ne peuvent être associées à la population active. Pour y arriver, on doit retirer du calcul les personnes inaptes et les enfants. La vérité est qu’il y avait en septembre dernier 140 188 adultes aptes à l’emploi, ce qui fait qu’en termes de population active, il n’y a plus qu’un assisté social sur vingt-huit adultes en mesure d’occuper un emploi, soit un taux « exhorbitant » de 3,6%! La différence entre la réalité et les chiffres avancés par le programme de l’ADQ est énorme et ne peut être le fruit d’une erreur. C’est de la malhonnêteté intellectuelle, rien de moins.
L’ADQ ne pèche pas seulement en manipulant les chiffres. Ce parti cherche avant tout à séduire un électorat par des solutions simplistes qui les confortent dans leurs préjugés. Les jeunes conservateurs de l’ADQ n’ont peut-être pas l’expérience ni le savoir leur permettant d’aborder avec lucidité et objectivité la question complexe des politiques sociales, il n’en reste pas moins que Mario Dumont se refuse jusqu’à présent d’agir de manière responsable dans ce dossier. Par exemple, lors de la dernière campagne électorale, le chef de l’ADQ estimait à 25 000 le nombre d’assistés sociaux qu’il fallait retourner sur le marché du travail au bout d’un an. Ce que notre anti-Keynes national omet de dire, cependant, c’est qu’entre septembre 2001 et septembre 2007, il y a eu réduction de 21,1 % du nombre d’assistés sociaux aptes au travail au Québec.
Par ailleurs, rien dans le programme de l’ADQ ne fait état de la réalité complexe de l’aide sociale. À entendre les jeunes (devrait-on les surnommer les jeunes-vieux?) de l’ADQ et leur maître à penser, les aptes au travail constituent un bloc homogène envers qui il ne suffirait que d’agiter la carotte et le bâton pour atteindre les objectifs du « plan ». Prenons par exemple l’idée de forcer les aptes au travail à retourner aux études pour que ceux puissent espérer ne pas voir leur aide coupée. Notre future élite de l’ADQ sait-elle que 49% des aptes au travail ont 40 ans et plus? Est-il juste, socialement parlant, de viser ces personnes quand on connaît les difficultés qu’ont les chômeurs de cet âge à se trouver un emploi? Près de 40% des aptes au travail n’ont pas terminé leur secondaire, et le gros de ce contingent se situe justement dans le groupe des 40 ans et plus. Suffit-il à un homme de 48 ans de terminer son secondaire pour se trouver du travail? Quelle autre formation devrait-il acquérir pour espérer trouver un emploi décent malgré son âge? Sera-t-il « compétitif » par rapport aux jeunes qui sortent des CEGEP, des écoles techniques et des universités? De plus, s’est-on déjà demandé pourquoi ces personnes se retrouvent à l’aide sociale à un âge où toute perspective d’obtenir un emploi devient à chaque jour un peu plus illusoire? Quiconque connaît le milieu de l’assistance sociale sait que ces personnes ont le plus souvent eu un vécu difficile qui a largement contribué à leur exclusion. De plus, leur situation familiale est généralement loin d’être évidente : 75% des aptes au travail sont des personnes seules ou des familles monoparentales. À mon avis, populisme et préjugés constituent un bien mauvais mélange lorsqu’il est question d’élaborer des politiques sociales qui soient justes.
Par ailleurs, ces jeunes et leur mentor semblent aussi oublier que les mesures et la coercition mur à mur constituent un tout qui supporte mal les différences des régions. Les régions urbaines, notamment, vivent des situations de pauvreté souvent plus graves qu’en région. Difficile de cultiver un potager quand on est pauvre à Montréal. Encore plus difficile d’aller abattre un chevreuil, un caribou ou un orignal. Et que dire du coût des loyers? Le moindre taudis non chauffé vous coûtera un minimum de 500$ par mois. Quant aux immigrants nés à l’extérieur du pays, la situation risque de devenir dramatique pour nombre d’entre eux. Ils représentent 28% des aptes au travail recevant de l’aide sociale, ce qui en fait le groupe proportionnellement le plus affecté par le sous-emploi. Francisation inadéquate, politique d’intégration inepte, diplômes non reconnus, ostracisme et racisme latent, faiblesse du réseau social, compétition interraciale, voilà le genre d’obstacles que nos nouveaux arrivants doivent d’abord surmonter pour espérer s’intégrer socialement et économiquement. Il va de soi que les mesures préconisées par les jeunes adéquistes et leur guide auront des impacts importants dans nos centres urbains, dont Montréal où vivent 80% des immigrants qui reçoivent de l’aide sociale.
Et que dire maintenant de cette volonté de couper l’aide à ceux qui recevraient de l’aide sociale depuis quatre ans? Une telle mesure coercitive ne peut que générer la pire exclusion qui soit, l’itinérance, ce drame bien connu des milieux urbains. Qu’on se le dise : les personnes actuellement aptes au travail sont souvent des personnes qui connaissent des difficultés d’intégration et/ou ont un réseau social pauvre. Bon nombre de ces citoyens qu’on couperait deviendraient des sans-abri. Ces personnes feraient quoi pour survivre? Nos jeunes adéquistes et leur bon pasteur savent-ils ce que c’est que de vivre dans la rue? Et les coûts sociaux et économiques que cela occasionnerait? J’en doute.
En voulant responsabiliser l’individu à tout prix, l’ADQ en vient à rejeter le fait que les individus ne naissent pas tous égaux devant la vie. Les plus fragiles des milieux les plus modestes sont le plus souvent ceux qui vivront l’exclusion économique et sociale. Il faut intervenir en amont, toujours. Ce n’est pas toujours évident, je sais, et l’État ne peut et ne doit se substituer en tout temps et en toute cause aux responsabilités des citoyens. Mais il y a des injustices que l’on doit combattre. L’assurance-chômage, par exemple, a connu d’innombrables coupures et refontes depuis les 25 dernières années. Une bonne partie de nos assistés sociaux le sont parce qu’ils n’ont pas travaillé un nombre de semaines suffisantes, ou encore parce que la période pendant laquelle ils ont reçu des prestations était trop courte. Nos jeunes réformateurs et leur grand timonier s’en émeuvent-ils? Le programme de l’ADQ n’est pas loquace sur la question.
La politique fédérale en matière d’assurance-chômage a fait très mal aux petits salariés en situation de travail précaire. Les surplus engrangés année après année servent avant tout à réduire la dette, une dette pour laquelle ces travailleurs ne sont nullement responsables. Que le fédéral soit en partie responsable de cet état de fait ne semble pas indiquer à l’ADQ le combat à mener. Idéologie conservatrice oblige!


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 janvier 2008

    Merci monsieur Gendron (non, pas Stéphane!). Votre éditorial est hyper intéressant et éclairant sur un sujet parfois presque tabou. Les mêmes grosses têtes médiatiques qui blâment toujours les "B.S." (Bons Samaritains?) omettent de critiquer les Vincent Lacroix , Conrad Black et autres. C'est très facile que de s'en prendre à ceux qui n'ont pas le pouvoir économique pour se défendre. Votre article est juste en ce qui concerne l'ADQ. Dumont le manipulateur et son cabinet fantôme (devrions-nous dire "de fantômes") jouent le jeu des défenseurs de la classe moyenne - - mais en réalité ils sont acoquinés avec la haute finance et certains de leurs élites en particulier... amis des Lacroix, Black et autres je-ne-sais quels administrateurs pétroliers ou de l'industrie pharmaceutique. La loi du plus fort s'applique, pour na pas dire la loi de la jungle. C'est un fait qu'un parti de droite (parfois TRÈS à droite) comme l'ADQ n'a aucun intérêt à défendre les moins bien nantis, leur plus grand intérêt n'étant pas véritablement la classe moyenne (dont ils se fichent) mais les "gros bonnets" qui supportent leurs idées moralement sinon financièrement. Pas surprenant, sur ce point, de voir une certaine "parenté d'esprit" entre les Conservateurs de Stephen Harper et les adéquistes de Dumont. Les gros consortiums, ainsi que les grosses machines à piastres soutenues par des organismes "charitables" comme l'Institut Économique de Montréal, sans parler des empires sans coeur tels que Québécor et Bell, n'en ont rien à cirer des plus démunis de la société, ceux-là qui leur rapportent moins au plan économique. "Les B.S. sont moins rentables", pourrions-nous dire. L'ADQ est un des engrenages d'une puissante machine dont l'économie est un prétexte - - plus qu'un idéal ou une science -- afin d'assouvir la faim du pouvoir, du posséder et du tout contrôler (genre Québécor) de certains individus visant le sommet de la pyramide. $$$

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    8 décembre 2007

    Quel article!
    Une telle démonstration point par point réduit le parti de Dumont à ce qu'il ne soit qu'une coquille vide.
    L'excès de populisme et de d'incohérence d'ensemble condamne l'Action démocratique à l'éternelle opposition.
    Comment croire après quelques mois d'opposition adéquiste vaseuse que Mario Dumont deviendra Premier Ministre.
    C'est seulement le régionalisme de la région de Québec qui soutient ce parti qui est la propriété personnelle d'un politicien. Ce qui est un comble!