France: la peur de changer

Les jeunes Français ont raison d'être en colère. Mais ils se trompent de cible. C'est tout le Code du travail qu'il faut libéraliser.

2006 textes seuls


Tout travailleur québécois non syndiqué qui a moins de deux ans d'ancienneté dans un emploi peut être congédié sans raison juste et suffisante, avec deux semaines de préavis. Ainsi va la Loi québécoise sur les normes du travail.
En France, le projet du gouvernement d'offrir aux employeurs la possibilité d'embaucher des jeunes de moins de 26 ans selon des règles semblables a déclenché des violences, fait descendre dans la rue des millions de personnes et pourrait réduire à néant les ambitions présidentielles de l'actuel premier ministre, Dominique de Villepin.
Les jeunes Français ont raison d'être en colère. Ils sont trop nombreux à être exclus du marché du travail. Exclus aussi des avantages qui accompagnent un emploi stable: accès au crédit, à la propriété, etc.
Ils ont raison de dire que le contrat première embauche (CPE) n'est pas la solution. Mais pas pour les raisons qu'ils invoquent. Ce contrat ne va pas assez loin! C'est tout le Code du travail français qu'il faudrait libéraliser. "Le vrai drame, ce n'est pas de perdre son emploi. C'est de ne pas en retrouver un autre", dit l'économiste Marc Van Audenrode, professeur à l'Université de Sherbrooke. "J'embauche des dizaines de jeunes à l'université, mais en France, je ne le ferais pas. Car si ça ne fonctionnait pas, je ne pourrais pas congédier mon employé comme je peux le faire ici. La vraie cause de la crise, c'est la rigidité du Code."
Dans l'Hexagone, congédier quelqu'un, peu importe son âge, c'est s'exposer à ce qu'il porte plainte aux prud'hommes - variante du Tribunal du travail - et obtienne gain de cause (dans plus de 75% des cas). Pour licencier un groupe d'employés, il faut obtenir une autorisation administrative de l'État. Le patron doit faire la preuve qu'il n'a pas d'autre choix. Il doit aussi proposer un "plan social" pour ces personnes remerciées. Lourd fardeau.
La sécurité d'emploi - et ses avantages sociaux - dont jouissent des millions de Français a un prix: la précarité et l'exclusion imposées à des millions d'autres. Au Québec, l'employeur doit cotiser, pour chacun de ses salariés, à l'assurance-emploi, à la CSST, à la Régie des rentes, etc. En France, il doit payer des contributions parfois égales au salaire de l'employé! La France est le pays de l'OCDE où ces cotisations sont les plus lourdes. (L'impôt sur le revenu des particuliers y est faible par comparaison au Canada; c'est l'impôt sur la masse salariale des entreprises qui finance l'État.)
Aucun Parlement ne peut imposer la croissance économique en légiférant ni forcer des entreprises à créer des emplois. C'est vrai. Mais il peut mettre en place des conditions pour susciter cette création. Et il doit faire un bon travail de communication pour expliquer les réformes qu'il juge nécessaires. Ce travail-là, le gouvernement Villepin ne l'a pas fait.
Un commerçant français installé au Québec depuis 20 ans me disait la semaine dernière être inondé de lettres de jeunes Français désireux de venir travailler pour lui. "En France, ils ne voient qu'un avenir bouché", m'expliquait-il. La même semaine, la chaîne de télévision France 2 avait diffusé un court reportage sur le "miracle canadien". On y rappelait certains des progrès récents du Canada: croissance soutenue, réduction du déficit, remboursement de la dette, faible taux de chômage. Rien de neuf pour les Québécois, mais des images d'eldorado pour des jeunes enlisés dans les sables mouvants du chômage.
Pourtant, ces jeunes hésitaient encore. Surtout lorsque ce commerçant évoquait avec eux les deux semaines de vacances payées (au lieu de quatre ou cinq), les 40 heures de travail par semaine (au lieu de 35), le moins grand nombre de jours fériés et de "ponts" - ainsi que les Français nomment les longues fins de semaine -, les congés de maternité moins généreux... et le risque d'être congédié si "ça n'allait pas". Devant tous ces "sacrifices", nombre d'entre eux préféraient attendre que ce soit leur tour d'accéder au saint des saints de la protection française.
C'est un choix. Ou c'est un symptôme, comme l'écrivait l'ancien premier ministre Michel Rocard dans un récent numéro du Monde, d'une "société qui a peur".
Le capitalisme a beaucoup changé depuis 30 ans. En refusant de tenir compte des mutations qui se sont produites et de proposer à ses citoyens de nouvelles façons de faire, la France ralentit sa croissance. Et condamne ses citoyens au chômage. Le CPE n'y changera rien. Ou si peu.


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