Enquête

Financement des partis : les politiques et le généreux patronat

Élection présidentielle française

Par David Servenay - Pierre Messmer, madame Pompidou, François Léotard, Gérard Longuet, le couple Chirac, Edouard Balladur, Bernard Kouchner, Danielle Mitterrand ou encore Renaud Donnedieu de Vabres : la liste des politiques soupçonnés d'être financés par Liliane Bettencourt s'allonge. Selon le témoignage de l'ancienne comptable de la milliardaire, tous seraient venus chercher leur enveloppe à l'hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine.
Cette liste peut sembler disparate, mais elle est en fait cohérente, si l'on reprend le parcours politique d'André Bettencourt. Engagé à droite sous l'étiquette des Républicains indépendants (député dès 1951, puis neuf fois ministre dans les années 60 et 70), il cultive de nombreuses amitiés à gauche. En particulier celle de François Mitterrand, qu'il a connu avant guerre dans un internat rue de Vaugirard.
Marié en 1950 à la fille du fondateur de L'Oréal, il va devenir l'un des riches financiers de la classe politique. Il n'est pas le premier.
Les grands patrons
En France, les capitaines d'industrie ont toujours été en première ligne pour faire naître et croître les vocations. A commencer par le grand avionneur Marcel Dassault, qui a bâti sa fortune après guerre grâce à l'aide de l'Etat.
Lui-même député RPF à partir de 1951, il achète des journaux dans les circonscriptions où il se présente et finance les carrières, notamment celle des campagnes gaullistes : « Je les ai tous payés », confie-t-il à Thierry Wolton dans un livre paru en 1989. Tous y compris le Parti communiste, en souvenir de la protection que les camarades lui ont apportée pendant sa déportation à Buchenwald.
Marcel Dassault et un jeune espoir nommé Chirac
Comme le raconte Martine Orange (dans l'ouvrage que nous avons co-signé), le vrai protégé de la famille Dassault s'appelle Jacques Chirac. Son père, Abel-François, a été le banquier de Marcel Dassault et de son associé Henry Potez. Marcel Dassault entretient une relation quasi-filiale avec son protégé.
En 1962, il l'introduit auprès du Premier ministre Georges Pompidou, qui en fait un secrétaire d'Etat au Budget. En 1967, le magnat finance la campagne corrézienne du jeune Chirac pour son premier mandat de député. Il créé même un journal électoral, L'Essor du Limousin, un temps dirigé par Philippe Alexandre. Des liens si serrés qu'ils susciteront une certaine jalousie du fils, Serge Dassault. Pourtant, dans son fief de Corbeil-Essonnes, l'héritier a repris les mêmes recettes, y compris en direction des électeurs, choyés comme il se doit par la fortune familiale.
Michel-Edouard Leclerc se plaint du « racket » des élus
Parfois, les grands patrons se rebellent contre la pression exercée par les politiques. C'est le cas de Michel-Edouard Leclerc, héritier des hypermarchés, qui s'insurge contre le « racket » pratiqués par les élus dans les commissions qui autorisent l'implantation des magasins. Nous sommes alors en 1988, juste avant les premières lois régissant le financement des partis politiques. Autant dire l'ère du far-west… (Voir la vidéo)
Les éminences grises du patronat
Les patrons ne sont pas seuls à assurer le train de vie des partis. Il y a aussi leurs représentants, intégrés aux organes représentatifs. Dès la Libération, le Centre national du patronat français (CNPF) dirigé par Georges de Villiers, un patron de PME lyonnaise déporté dans les camps pour fait de Résistance, fait appel au service d'André Boutemy.
Boutemy finance les députés gaullistes
L'homme a un pedigree : fonctionnaire, il est pendant l'Occupation patron des Renseignements généraux (RG) de Vichy, puis préfet du Rhône où il parvient à sauver la tête de Georges Villiers, arrêté par la Gestapo. Blanchi en 1945 -après deux mois de prison-, il est réintégré dans l'administration et embauché par le CNPF pour assurer la direction du Centre d'études administratives et économiques (CEAE).
Au « Comité de Penthièvre » (du nom de la rue où sont situés ses bureaux), les candidats gaullistes à la députation trouvent le soutien nécessaire à leurs ambitions. Avec un tarif : 500 000 francs pour un député, un million pour un ancien minitre. Là encore, pas d'exclusive : droite et gauche ont guichet ouvert, sauf le PC en raison de l'anti-communisme viscéral du grand patronat.
La carrière éclair d'André Boutemy s'achève dans le scandale. Nommé ministre de la Santé et de la Population en janvier 1953, il fait l'objet d'une virulente campagne du Parti communiste, rappelant son passé et son rôle. Réponse :
« Il est vrai que j'ai distribué beaucoup d'argent. Je ne me souviens plus très bien de qui je les tenais, mais je sais très bien à qui je l'ai donné ! »
Il démissionne finalement le 11 février 1953.
Aimé Aubert, l'homme de l'ombre du CNPF
Malgré ces scandales publics, le CNPF n'abandonne pas les vieilles habitudes. Dans les années 70, un homme de l'ombre incarne la toute-puissance patronale : Aimé Aubert, surnommé le « pharaon ». Dans notre « Histoire secrète du patronat », Benoît Collombat a retracé le parcours de celui qui dirigeait le Service des études législatives (SEL), rebaptisé plus tard Direction générale des études législatives (DGEL).
Officiellement, il s'agit de dresser les cartes électorales les plus précises possible et de suivre au plus près l'actualité parlementaire. En coulisse, ce proche de François Ceyrac mène une autre mission : financer les candidats de droite, selon les vœux du Président Georges Pompidou. En avril 1974, voici comment Nicolas Brimo décrit le fonctionnement de cette officine dans le journal du PS, L'Unité :
« En mars 1973, tout candidat de la majorité qui passait dans son bureau repartait avec 300 000 anciens francs. Les fonds que distribue Aimé Aubert proviennent du budget propre du CNPF. Par ailleurs, les très grosses fédérations, celles qui ont les plus importantes ressources (entre 500 et 700 millions d'anciens francs) financent par elles-mêmes. »
A titre d'exemple, pour les élections législatives de 1978, Aimé Aubert distribue 20 millions de francs de l'époque à 134 candidats de tous les partis politiques. Le même adage s'applique : avoir toujours au moins deux fers au feu…
Photo : André Bettencourt lors d'un meeting de soutien à Edouard Balladur, en avril 1995 (Charles Platiau/Reuters)
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