Fausses visions qui détruisent

Chronique de José Fontaine

Cherchant sans cesse à m’informer le plus possible, j’ai pourtant partagé plusieurs erreurs commises ci-dessous. Tellement elles semblent «évidentes». Tellement nombre de dirigeants wallons (comme le maïeur de Namur), se préoccupent le plus souvent de ne même pas prononcer le mot même du pays qu'il dirige, d'éviter d'être vu à côté de son emblème (lui préférant le belge et celui de l'Europe, associés).
La première est celle dont il est le plus difficile de se débarrasser.
« La Wallonie vit sous perfusion de l’Etat belge »

J’ai cru longtemps que l’exemple même du gaspillage des deniers publics avait été – entre autres ! - les milliards investis dans les charbonnages wallons, pourtant tous fermés (sauf une exception), dès le début des années 1960. Mais pendant une trentaine d’années, c’est plusieurs centaines de milliards supplémentaires qui aideront les charbonnages flamands peu rentables eux aussi mais qui ne se fermeront qu’après 1990.

On a montré d’ailleurs que durant le dernier siècle écoulé, c’est la Flandre qui a le plus reçu d'aides de l'Etat. Alors que l’opinion wallonne croit toujours encore aujourd’hui, souvent, qu’elle ne survit que sous perfusion de l’Etat belge. C’est d’ailleurs l’opinion d’un grand mensuel français en train de perdre toute crédibilité en Wallonie à force de n’y jamais rien dire sur la question wallonne («rien» est vraiment le mot), sauf des stupidités comme celle-ci : « La Wallonie, jadis prospère, ne survit depuis des décennies que sous perfusion de l’Etat belge » (Serge Govaert, Solidarité entre Wallons et Flamands, in Le Monde Diplomatique, juin 2010)
« Les Wallons ont refusé le bilinguisme en 1932 »
Depuis une cinquantaine d’années, j’ai entendu d’abord dans ma famille ensuite dans les écoles, enfin dans tous les médias que la solution pour maintenir l’unité belge avait été refusée par les Wallons en 1932, à savoir faire du pays tout entier un territoire bilingue, ce que les Flamands auraient proposé. Cette légende, propagée encore il y a peu par des historiens universitaires (je les ai déjà cités et je les ménagerai aujourd'hui), est sans fondement (Stéphane Rillaerts La frontière linguistique, 1878-1963 in Courrier hebdomadaire du CRISP 2010/24-25 - n° 2069-2070, p. 41). On peut cependant reprocher à l’auteur de cette étude – la plus rigoureuse qui ait jamais été produite sur un tel sujet – de minimiser parfois l’importance que le tracé d’une frontière peut avoir politiquement, alors que ipso facto elle institue deux des trois éléments qui font l’Etat contemporain, le territoire et la population appelant le troisième qui est le gouvernement. La décision politique en Belgique dès 1965 (ouvrage paru sous la direction de Meynaud, Ladrière et Perin), l’avait fortement souligné. Mais avait par contre affirmé que le pouvoir du roi « devenait de plus en plus formel » (p.20), alors qu’il s’était renforcé à l’époque où le livre a paru, notamment au cours des grandes grèves de 1960-1961. Enfant alors, je me souviens qu’en janvier 1961, des commerçants de la ville avaient parlé à mon père d’une intervention du roi qui, de fait, s’est produite alors (Vincent Delcorps en parle longuement dans La Couronne et la rose, Le Cri, Bruxelles, 2010, pp. 159-163). Mais qui avait suscité beaucoup de scepticisme chez mes parents (que j’avais partagé).

« Durant les guerres les Belges sont profondément unis »
Il est aussi une vérité solidement ancrée, c’est que les deux grandes guerres mondiales auraient renforcé l’unité belge. Alors que c’est le contraire, la deuxième guerre ayant vu les 2/3 de l’infanterie flamande soit refuser de combattre, soit ne pas pouvoir le faire ou se rendre en masse aux soldats nazis. Cela au cours des 18 jours de résistance de l’armée belge en mai 1940. Il arrive que l’on se sert habilement des chiffres pour dire par exemple que le Non à Léopold III en Wallonie n’aurait concerné que 2 provinces sur 9. Ces chiffres sont exacts, mais ce sont les provinces wallonnes les plus peuplées et sur les 13 arrondissements wallons, neuf votèrent Non (ou 10 arrondissements francophones sur 14 si l’on compte Bruxelles). Or ce vote qui a profondément divisé le pays est une des conséquences les plus importantes de la deuxième guerre mondiale pour la Belgique. Sur cette question, j’ai eu le plaisir dès 1979 de montrer que la Wallonie était prête à aller très loin dans la résistance, jusqu’à faire sécession et c’est devenu un des 100 articles thématiques de l’Encyclopédie du mouvement wallon. J’avais entendu parler de cela effectivement comme d’une rumeur mais bien qu’il m’ait fallu beaucoup de temps pour le faire, elle était vérifiable.
« La Flandre et la Wallonie sont des sous-produits de la Belgique »

Face à la division du pays qui s’accentue, même quelqu’un d’honnête comme le professeur Stengers a pu écrire dans les derniers mois de sa vie que la Flandre et la Wallonie n’étaient que des sous-produits de la Belgique et qu’en réalité avant que la Belgique ne devienne un Etat , elles n’avaient jamais existé auparavant.
Or, c'est le contraire, et plusieurs historiens le soulignent aujourd'hui : la Wallonie a été au moins préfigurée, de même que la Flandre par les provinces des grands ordres religieux de la Contre-Réfiorme qui, socialement, dominèrent toute la vie collective des populations au XVIIe siècle et au XVIIe siècle Même si la carte ci-dessus doit être interprétée avec prudence, ce qu'elle représente avec évidence n'est pas faux. Les populations des Pays-Bas du Sud avaient été divisées selon la langue, et pour des motifs pratiques, dès le début du XVII siècle. Alors que l'on présente encore aujourd'hui la division du pays qui la prolonge comme quelque chose d'incongru. Il est évident que tout cela ne tombe pas du ciel. Et n'est pas non plus le fait de seules volontés politiciennes perverses comme on le dit souvent.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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