Il m'arrive souvent d'être sollicité par toute une série de lobbys chrétiens/catholiques dans la mesure où j'évoque (ici ou ailleurs), des questions de spiritualité comme l'athéisme en quelque sorte d'inspiration chrétienne du cinéaste wallon Luc Dardenne, le lynchage des 11 religieuses wallonnes qui désirent accueillir une réprouvée etc. Je suis très profondément catholique mais...
Déchristianisation
Lorsque je suis venu au Québec il y a quelques années, j'ai eu l'impression que la déchristianisation avait été foudroyante dans ce pays d'Amérique du Nord dont beaucoup de toponymes, noms de rue, villes etc., sont liés à la religion catholique. J'ai été aussi frappé par la réflexion d'un prêtre dans Les invasions barbares qui semble dire qu'un dimanche au milieu des années 1960, les Québécois avaient décidé de ne plus aller à la messe, ce qui est sans doute une exagération de créateur et en même temps une façon d'exprimer une vérité, m'a-t-il semblé. D'une certaine manière le Québec a une identité catholique forte, liée d'ailleurs à son identité française face à une nation dominante anglaise, elle-même à dominante protestante. Evidemment, il y a beaucoup d'églises protestantes, mais elles ont au moins ceci en commun de ne pas être papistes, façon dont les Anglais ont désigné longtemps les catholiques, ne supportant pas leur double allégeance au pape et à la monarchie britannique.
J'en ai déjà trop dit peut-être, parce que tous les mots que je viens d'utiliser mériteraient d'être fort nuancés. Et en tout cas, si je dis que le Québec a une identité catholique, cela n'a plus aujourd'hui qu'un sens historique, culturel, même s'il demeure un Québec catholique devenu minoritaire.
Face à cela, la Wallonie a été plus vite déchristianisée puisqu'elle est devenue en termes relatifs (et même parfois absolus), dès la fin du 18e siècle la deuxième puissance industrielle mondiale. Or qui dit industrialisation dit déchristianisation. Qui dit industrialisation dit aussi libéralisme et socialisme, soit des idéologies, pas nécessairement et forcément anti-chrétiennes ni athées, mais qui en Europe continentale l'ont été en tout cas (partiellement aussi, même si majoritairement), notamment en Wallonie et en France. Cela s'est traduit politiquement en Wallonie par le fait que les libéraux ont toujours dominé électoralement depuis l'indépendance belge. Rejoints dès l'instauration du suffrage universel en 1894 par les socialistes qui ont consolidé cette majorité politique laïque (dont ils sont depuis la branche essentielle), qui, jamais, n'a été mise en cause. La proportion a été au départ, environ, de 60% d'électeurs pour les deux Partis laïques contre 40 % au Parti catholique. Dès le suffrage universel pur et simple après la Grande guerre, la proportion des catholiques s'est réduite à 30% du corps électoral, puis à partir des années 70 à 20%, puis dans les dernières années un peu plus bas et les démocrates-chrétiens, du moins en Wallonie, ont abandonné l'étiquette chrétienne sous l'impulsion de Joëlle Milquet qui déclara un jour qu'elle ne croyait pas en Dieu (le Parti Social Chrétien - PSC fondé en 1945 - devenant le cdH (centre démocrate Humaniste)).
Les Wallons se sentent catholiques à 60% mais...
Le monde catholique en Wallonie ne s'est jamais identifié absolument à l'expression politique catholique. Malgré l'immémoriale prédominance politique laïque en Wallonie, selon Le Soir , qui rassemblait en une brochure (Jésus Crise, Enquête sur les derniers catholiques, février 2010) une semaine d'enquête sur les catholiques, 60% des Wallons s'estimaient catholiques (39% des Bruxellois, 64% des Flamands). Mais (chiffre belge cette fois), il n'y avait plus que 14%, parmi les catholiques, qui pratiquaient. Ce qui met la pratique religieuse en Wallonie sans doute autour de 8% sur la population globale, peut-être moins. Et il faut dire que Le Soir avait constaté en 1984 que sur les répondants se disant catholiques cette année-là, 46% étaient pratiquants, 17% en 2005 et cinq ans plus tard 14 %.
Parmi ces catholiques pratiquants, une majorité parfois large adhère aux points essentiels de la Foi chrétienne. Sauf l'infaillibilité du pape dont les idées en matière de morale sexuelle ne sont guère entendues, cette fois parmi tous les catholiques, puisque 70% des catholiques ne les suivent que jamais ou rarement, 12% parfois et 5% seulement souvent ou toujours (6%« le plus souvent»). Cela veut dire que les points sur lesquels, avec le pape, s'agitent les lobbys religieux ou quelqu'un comme Christine Boutin en France (euthanasie, avortement, homosexualité), semblent compter très peu pour maints catholiques. N'ont-ils pas raison? Face au message inouï du Christ débouchant sur un univers «machine à faire des dieux» (Bergson), ergoter sur des trucs de moralité sexuelle contestables, semble fort dérisoire!
En fait, depuis le début des enquêtes du "Soir", un catholique sur trois a renoncé à la foi.
Le christianisme, fait limité, n'est vrai que dans le dénuement
En 1974, dans Le christianisme éclaté (paru au Seuil à Paris en 1974, un dialogue d'abord radio-diffusé entre M. de Certeau et JM Domenach), Michel de Certeau écrivait « Le christianisme est un phénomène limité (…) il y a peu de chances pour qu’on aille vers une plus grande extension. Au contraire (…) Il faut en tenir compte ; même si le débat n’est pas tranché par une situation de fait (...) Peut-être réglera-t-elle le problème théorique. Mais il y a aussi une question de droit. Le christianisme se construit sur la reconnaissance d’un Dieu fait homme, un individu particulier, Jésus, qui a expérimenté comme tout autre la limite et (…) la mort. Dans l’Evangile, cette mort est acceptée, pour faire face à un « plus grand » et à d’autres (…) l’absolu n’est pas une vérité universelle ou englobante, mais (…) est indissociable d’une limite, tel Jésus lié à une croix. Le sens n’est pas de l’ordre des généralités. Il est indissociable d’une particularité, c’est-à-dire d’une mort et d’un rapport à d’insurmontables altérités (…) le christianisme tout entier doit reconnaître dans sa particularité de fait la condition d’un accès à la vérité même qu’il annonce au lieu de céder à l’illusoire prétention d’être (…) un message en principe vrai pour tous (…) Ce sera lier une existence effective à la venue d’une mort, au moins sous la forme d’une limite infranchissable (…) Mais, avec la certitude de mourir, croît le risque de vivre, jubilatoire quand il est vécu comme hospitalité à l’étranger, union dans la différence, passation de la vie. Le christianisme offre lui-même, depuis ses origines, des indices de ce mouvement. D’avoir annoncé la mort de son Dieu, scandaleuse audace, il ne pouvait pas ne pas être compris dans son message.» (pp. 69-71).
Il me semble que c'est à cela que le christianisme devrait, non pas se résoudre mais aspirer à être, un peu comme l'Eglise catholique d'Algérie, persécutée mais dont le rayonnement extraordinaire s'est révélé à travers le film Des hommes et des dieux. En Wallonie, peut-être d'une manière différente de celle de Michel de Certeau et en fonction d'une autre sensibilité, un homme comme Jacques Vallery avait incarné cette façon de voir dans le recul de la religion d'habitude (comme le disait Mounier), la chance et même la grâce de retrouver l'authenticité chrétienne. Bien que Joseph Malègue ait pu considérer la permanence de l'Eglise comme un miracle permanent, il a à mon sens perçu également le fait que le sens porté par les générations de chrétiens depuis le Christ ne s'éprouve véritablement que dans le dénuement et la déréliction.
A cela s'ajoute et lui convient bien à mon sens, la réflexion de Jean Pirotte lors du 25e anniversaire d'Eglise et Wallonie A partir d'Olivier Roy et de son livre La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Seuil, 2008, l'historien wallon résume ainsi le propos de Roy : «La mondialisation en cours, par nature déculturante, joue en faveur des fondamentalismes.» (Wallonie, Eglise. Turbulences et espérances, Louvain-la-neuve, p. 87), estimant avec Roy que l'idée d'un choc des civilisations est une illusion condamnable et l'effet, en réalité, d'une destruction des civilisations, laissant libre cours à la sauvagerie, au n'importe quoi de la violence et des lynchages.
Pays de la mort de Dieu
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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