Réplique à Patrice Boileau

Face à l’indépendance du Québec

Pour qui désire la souveraineté, l’indépendance, l’indépendance de l’esprit vis-à-vis des autres et des événements est la condition de l’action libre et du travail pour y arriver

Tribune libre - 2007


M. Patrice Boileau,

[Vous écrivez->6954]
Le déni s’incruste parfois profondément dans la nature humaine : Ottawa a beau répéter qu’il n’a rien à offrir, qu’il s’apprête même à affaiblir le poids politique du Québec dans le Parlement canadien, plusieurs Québécois s’illusionnent encore à l’idée que le Canada est ouvert à des négociations politiques…
Il me semble que le déni vient plutôt de ceux qui ont adopté la stratégie suivante : 1. le fédéralisme canadien-canadian n’est pas réformable ; 2. vu que la réforme du fédéralisme n’est pas possible, il nous faire l’indépendance du Québec. Ils n’ont pas observé l’échec absolu de cette approche, qui dure depuis plus 25 ans. Ils n’ont pas observé que cela ne fait que maintenir des attentes de fédéralisme, de réforme du fédéralisme, plus tard, mais un jour qui viendra, quand des personnes de bonne volonté seront là.
Tout cela ne mène nullement à l’indépendance, mais à maintenir des attentes fédéralistes.
Quant au poids politique du Québec au Canada-Anglais, vous manquez une bonne occasion de rappeler à vos lecteurs que celui-ci, le Québec, est minoritaire, ou plutôt les Canadiens-Français, puis les Québécois sont minoritraires depuis 1840-1841.
En 1840, il y avait
450 000 Canadiens-Français au Québec (Bas-Canada)

150 000 Canadiens-Anglais au Québec

400 000 Canadiens-Anglais en Ontario (Haut-Canada)
450 000 Canadiens-Français (45 %) et 550 000 Canadiens-Anglais (55 %) dans la Province du Canada, ou le Canada-Uni.
Que l’on soit minoritaire à 45 %, à 33 %, à 25 %, à 22 %, à 20 % voire même à 15 % ne change rien, absolument rien à l’affaire, car, dès qu’on est minorisé, le pouvoir du gouvernement central, à Ottawa, nous échappe !
Vous écrivez : Il n’en fallait pas plus pour que l’intelligentsia péquiste conclue que l’idée de tenir un référendum, dans le prochain mandat d’un gouvernement souverainiste, doit être abandonnée. Vous écrivez : Trop d’occasions de se débarrasser du boulet référendaire ont été gaspillées ces dernières années. Inutile d’en faire l’énumération : la douleur est déjà assez vive.
Quand en aurons-nous fini avec cette fixation sur le « référendum ». Nous les avons perdus. Est-ce une raison pour avoir laissé, après nos échecs, le terrain en jachère ?
Enfin, vous écrivez : C’est l’ADQ qui ferait ainsi le travail pédagogique à la place du PQ en se cassant les dents à Ottawa. Le naufrage du projet autonomiste de Mario Dumont ravivera en effet l’option indépendantiste du Parti québécois.

C’est dire à quel point il faut être désespéré. Depuis quand, lorsqu’on a un projet, doit-on se fier sur les autres pour le faire aboutir ? Depuis quand, lorsqu’on a un projet, doit-on espérer que les adversaires du projet fasse le travail à notre place ? Voilà des manières de penser, et de ne pas agir, qui nous condamnent aux lamentations.

Le sentiment d’avoir élaboré un projet, fait des choix et pris des responsabilités, c’est-à-dire l’accès à un niveau supérieur de l’idée de liberté, constitue un pivot de l’indépendance dont on voit mal comment elle pourrait s’édifier en son absence.

Pour autant, à quelle réalité cela correspond-il ?

Pour le Québec dans le Canada-Anglais, il est impossible d’avoir des relations d’égalité dans l’interdépendance. À 45 % ou à 25 % ou à 15 % ne change absolument rien à l’affaire. Dès que nous avons été minorisés, et depuis que nous sommes minorisés, le pouvoir du gouvernement central, en tant que Québec, nous échappe.

Vouloir la souveraineté, l’indépendance du Québec, c’est vouloir :
- agir suffisamment par soi-même, dans sa vie économique (autonomie financière),
- agir suffisamment par soi-même, dans sa vie politique (autonomie interne et autonomie externe).

L'autonomie externe, c'est pouvoir agir par soi-même, sans aucun autre pouvoir interposé, sans aucune autre collectivité interposée, avec les autres, avec les autres sociétés, cultures, nations, pays, le monde.

Et c'est pouvoir en retirer l'expétrience, l'initiative, et l'expertise.

Et c'est pouvoir en retirer des nouvelles habitudes d'agir et de penser.

Et c'est pouvoir en retirer richesse, rayonnement, dynamisme, liberté.

Maurice Duplessis a passé des années, de 1939 à 1954, à expliquer partout dans des sous-sols d’église, dans les campagnes, entre les campagnes, son idée de l’autonomie provinciale, sans s’arrêter parce que personne n’y comprenait rien quand il a commencé à le faire, mais non, il a continué à expliquer son idée… et c’est ainsi qu’il a pu, quand le peuple était prêt, créer le 24 février 1954 l’impôt provincial québécois. L’autonomie provinciale n’est qu’une petite autonomie interne, sans la véritable autonomie externe.

Combien d’heures avons-nous passé avec le Parti québécois, et le Bloc québécois, au cours des 12 dernières années, à expliquer ce que c’est que l’autonomie interne (comme Maurice Duplessis l’a fait, sans s’arrêter, avec son idée de l’autonomie provinciale), à expliquer ce que c’est que l’autonomie externe ? En utilisant les vrais mots : autonomie interne et autonomie externe ???

Le passé est garant de l’avenir. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Les Québécois qui souhaitent l’indépendance du Québec, 39 % nous dites-vous, sont-ils en effet susceptibles de puiser dans leur être les ressorts propres de leurs décisions, pour transmettre à d’autres pourquoi l’on doit souhaiter l’indépendance du Québec, reflétant leur liberté en tant que sujets irréductibles à l’ensemble des déterminants qui pèsent sur eux, et notamment le Parti québécois et le Bloc québécois ? ou bien est-ce là une illusion née de l’impossibilité pour quiconque, du fait de leur complexité, de connaître l’ensemble des causes de la pensée fédéraliste et des actions qui en découlent ?

Dans le Parti québécois, dans le Bloc québécois, les choses apparaissent ambiguës.

D’un côté tout ce qui advient au peuple québécois et à ses adversaires, la malédiction qui s’abat sur certaines stratégies et tactiques, correspondent à la volonté des fédéralistes à Québec et à Ottawa.

Cependant, jamais nous n’avons mal agi, même l’aller-retour Ottawa-Québec-Ottawa de Gilles Duceppe est une victoire, on récompense celui qui a résisté à la tentation (par exemple, les sondages qui ont suivi).

À proprement parler, si leurs erreurs ou leurs mérites n’étaient que des victoires, l’expression de la volonté humaine, la sanction aussi bien que la manifestation de la satisfaction apparaîtraient singuliers.

L’être humain est « normalement » sensible à la privation de sa liberté et soucieux de sa fantaisie. Mais le Québécois, 61 %, ne voit pas que sa collectivité, le Québec, est privé de sa liberté collective.

Ainsi il faut être capable d’être un être pensant et agissant à transmettre à d’autres pourquoi il nous faut souhaiter l’indépendance du Québec, en dehors du Parti québécois, en dehors du Bloc québécois ; il nous faut, à nouveau, redevenir un « roseau pensant » capable d’imaginer l’avenir, d’y inscrire un projet, de décider des moyens de le réaliser et d’en apprécier la valeur, notamment morale.

Même si la nature du fédéralisme canadien-canadian impose les conditions initiales de ces différents niveaux de liberté, il est peu vraisemblable qu’il détermine un seul effet, une seule issue possible.

Avec le Parti québécois, et le Bloc québécois, le Québécois est certain d’une chose, c’est que le projet de l’indépendance du Québec se construit à côté des perceptions et des sensations communes aux Québécois, une représentation mentale de ce qui doit être l’état de préparation et du travail accompli pour être prêt à s’engager dans la voie de l’indépendance, de vivre dans la transition vers un Québec indépendant, ce qui, en général, gâche tout car cette représentation, produit de l’imagination, a une furieuse tendance à avoir toujours à remettre à plus tard le travail que l’on pourrait accomplir maintenant, et de la sorte à se dérober sans fin.

Face à l’indépendance du Québec, le Québécois peut ainsi prendre conscience de sa responsabilité, puisque, depuis 12 ans, il aurait pu agir autrement qu’il ne l’a fait. C’est là que devrait résider l’origine du sentiment de liberté, principe essentiel à l’édification de la pensée indépendantiste, indépendantistes qui seront capables de réagir aux circonstances de manière différenciée et qui pourront, par exemple, accepter, ou désespérer du Parti québécois et du Bloc québécois, crier leur souffrance, se révolter, ou encore, par exemple, s’y lamenter, ou en pleurer, ou en rire.

Il ne s’agit pourtant pas de résignation : pour qui désire la souveraineté, l’indépendance, l’indépendance de l’esprit vis-à-vis des autres et des événements est la condition de l’action libre et du travail pour y arriver.

Salutations respectueuses,

Geneviève Châtigny



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