1840, c’est la clé de toute l’explication de l’évolution politique du Québec

Réplique à "L’excitation est à son comble"

Tribune libre - 2007


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Commentaire à :
Monsieur Zach Gebello,

Monsieur Nicolas Rodrigue,

Monsieur Pierre Daviau,

I
Tout d’abord, il ne faut pas confondre les Acadiens, peuple qui vit à l’Est du Canada, (les Acadiens sont demeurés Acadiens, ils n’ont pas changé de nom comme nous, (Canadiens-Canadiens-Français-Québécois), et les Canadiens de la Nouvelle-France, qui vivent « en Canada », ce « en Canada » de 1608 à 1760, qui finira par comprendre l’actuelle province de Québec, puis vers l’ouest jusqu’aux basses Rocheuses (à la vue des Rocheuses), plus au sud, le Missouri, jusqu’à la rencontre du Mississipi et du Missouri, et les Grands Lacs.

Celles et ceux qui ont décidé de demeurer en permanence dans la partie canadienne de la Nouvelle-France commencent très tôt à se distinguer des Français de passage.

Ils deviennent des « Canadois » (« Canadois », appellation que l’on donnait au registre d’embarquement à des colons Français qui s’embarquaient en 1653 lors de la Grande Recrue, une centaine de colons qu’a recruté de Maisonneuve, pour venir vivre à Ville-Marie, qui deviendra Montréal), ou des Canadiens. Selon les recherches de l’historien Gervais Carpin, le nouvel « ethnonyme », le nouveau nom de Canadien apparaît au cours des années 1660 (un peuple est né).

Ces Canadiens préféreront se faire appeler « habitants » plutôt que « paysans ».

Le voisinage des Indiens influencera leur manière de vivre : rapidement, ils adopteront leurs moyens de transport. Dans son Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement (communément) dite le Canada, ouvrage publié à Paris en 1664, Pierre Boucher écrit : « On se promène partout sur les neiges par le moyen de certaines chaussures faites par les Sauvages, qu’on appelle raquettes, qui sont fort commodes. » Le canot devient lui aussi nécessaire pour naviguer sur les rivières et les lacs. Les coureurs de bois (20 % de la population courait les bois) n’auraient pu faire la traite des fourrures sans l’utilisation du canot et de la raquette.

Une parenthèse. Notez, entre parenthèse, que contrairement aux Britanniques, les Français du Canada et les Canadiens pratiquaient le métissage avec les Amérindiens. D’ailleurs, à l’article 1 du contrat d’engagement des Britanniques à la Compagnie de la Baie d’Hudson (Hudson Bay Company), il était écrit : « Unlike de French, you shall not mix with the Indians ». Traduction libre : Contrairement aux Français, (aux Canadiens), vous ne vous « mixerez » avec les Indiens. Le métissage avait donc été observé. Il est d’ailleurs très documenté.

Une deuxième parenthèse. Lors de son premier voyage « en Canada » en 1603, Champlain, (1567-1635), avait promis aux Montagnais de Tadoussac qu’il les aiderait dans leur guerre contre les Iroquois. Six années plus tard, en 1609, il doit tenir sa promesse. Accompagné de deux autre Français, il se rend en Iroquoisie (près de New York). Il traverse alors un lac auquel son nom sera attribué : le lac Champlain. La participation des Français aux côtés des Algonquins et des Hurons fera des Iroquois des ennemis irréductibles. À part quelques périodes d’accalmie, commence alors près d’un siècle de guerre et de tension (à Québec, Trois-Rivières, Ville-Marie, etc.) avec les Iroquois.

Il faut cependant remarquer qu’il aurait été impensable que Champlain s’aliène les amérindiens avec qui il faisait la traite des fourrures pour s’allier à des nations qui vivaient au loin. En effet, si, à l’époque de Jacques Cartier, (1491-1557, venu ici en 1534-1535 et 1541), les régions de Québec et de Montréal étaient occupés par des Iroquois, lors de la fondation de Québec en 1608, les Iroquois avaient quitté la vallée du Saint-Laurent et les Algonquins les avaient remplacés. Leur disparition de la vallée du Saint-Laurent aurait été due soit à la maladie, soit à des guerres avec des Algonquins, des Montagnais et des Hurons.
Fin de la parenthèse.

Le ministre Colbert fait pression sur l’intendant (sorte de ministre des Finances) Talon pour franciser les Amérindiens. Il lui écrit de « tâcher à civiliser les Algonquins, les Hurons et les autres Sauvages qui ont embrassé le christianisme et les disposer à se venir établir en communauté avec les Français pour y vivre avec eux et dans nos coutumes ».

Mais comme le fait remarquer Marie de l’Incarnation (née en France en 1599, décédée à Québec en 1672, fondatrice de l'ordre des ursulines au Canada, mystique de Tours et de Québec et écrivaine, qui portait, avant d'entrer en religion, le nom de Marie Guyart) : « On fait plus facilement un Sauvage avec un Français que l’inverse. »

Pour le gouverneur Denonville, (Jacques-René de Brisay, marquis de, gouverneur général de la Nouvelle-France de 1685 à 1689), « les Canadiens sont tous grands, bien faits et bien plantés sur leurs jambes, accoutumés dans les nécessités à vivre de peu, robustes et vigoureux, mais fort volontaires et légers, et porté aux débauches. Ils ont de l’esprit et de la vivacité ».

Pour l’officier militaire et écrivain, connu sous le nom de baron de Lahontan, (1666-1716, arrivé à Québec en 1684, reparti en en 1690, retour en 1691 et départ en 1692 ; pendant son séjour ici, Lahontan avait pris soin de consigner par écrit ses observations, presque au jour le jour ; il publia trois ouvrages: les Nouveaux Voyages, les Mémoires de l'Amérique septentrionale (1703), et la Suite du voyage de l'Amérique (1704)), « les Canadiens ou Créoles (Français nés dans la colonie) sont bien faits, robustes, grands, forts, vigoureux, entreprenants, braves et infatigable ».

En 1691, le père Chrestien Le Clercq disait qu'«un grand homme d'esprit» lui a appris que le Canada possède «un langage plus poli, une énonciation nette et pure, une prononciation sans accent».

Si, sur certains points, les Canadiens continuent d’être Français, sur d’autres, ils ont développé une grande spécificité. En 1720, le jésuite François-Xavier de Charlevoix note, parlant des Créoles du Canada » : « On politique sur le passé, on conjoncture sur l’avenir ; les sciences et les beaux arts ont leur tour et la conversation ne tombe point. Les Canadiens, c’est-à-dire les Créoles du Canada respirent en naissant un air de liberté qui les rend fort agréable dans leur commerce de la vie (le père Charlevoix est presque idyllique lorsqu'il écrit :) et nulle part ailleurs on ne parle plus purement notre langue. On ne remarque même ici aucun accent. »

Un Suédois de passage au Canada en 1749, Pierre Kalm, fit rire de lui par «les dames canadiennes, celles de Montréal surtout» en raison de ses «fautes de langage» et il s'en montra fort choqué.

Jean-Baptiste d'Aleyrac, un officier français qui vécut au Canada de 1755 à 1760, déclarait que les Canadiens parlaient «un français pareil au nôtre»:
Tous les Canadiens parlent un français pareil au nôtre. Hormis quelques mots qui leur sont particuliers, empruntés d'ordinaire au langage des matelots, comme amarrer pour attacher, hâler pour tirer non seulement une corde mais quelque autre chose. Ils en ont forgé quelques-uns comme une tuque ou une fourole pour dire un bonnet de laine rouge... Ils disent une poche pour un sac, un mantelet pour un casaquin sans pli... une rafale pour un coup de vent, de pluie ou de neige ; tanné au lieu d'ennuyé, chômer pour ne manquer de rien; la relevée pour l'après-midi; chance pour bonheur ; miette pour moment; paré pour prêt à. L'expression la plus ordinaire est de valeur, pour signifier qu'une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse.

Le PREMIER Canada

Avant 1760, il n’y avait qu’un seul Canada (français). Ce premier Canada, ce Canada français, avant 1760, aurait pu devenir une nation. Les Canadiens, à l’époque coloniale française, vivaient sous le régime de la projection et de la protection française. De 1608 à 1760, les Canadiens d’origine française vivent seuls dans un État séparé. Ils défendent cette séparation par les armes mêmes. Ce Canada était apte à devenir une nation normale. Mais l’Amérique anglaise est vingt fois plus peuplée, grande différence quantitative, très grande infériorité de voisinage.

Le Canada succombera finalement aux attaques concertées des coloniaux anglo-américains et de la Grande-Bretagne parce qu’il est investi par des forces supérieures en nombre : près de 30 000 hommes en 1758 à Louisbourg, près de 40 000 hommes en 1759 à Québec et près de 20 000 homme en 1760 à Montréal. Conquis militairement en 1760, le Canada capitule et devient complètement occupé. La Conquête de 1760 et la Cession du Canada de 1763, c’est la fin du PREMIER Canada ; et 1763, c’est la fondation du DEUXIÈME Canada, une autre colonie anglaise à côté des colonies anglaises le long de la côte atlantique, la naissance du Canada-Anglais.

Notez que jusqu’ici, ce nom de « Canadiens » ne désignait que les Canadiens (français, francophones).

Notez qu’en 1787, dans ce DEUXIÈME Canada, dans ce Canada-Anglais, le maître de poste Hugh Finlay réclame le droit de s’appeler, lui aussi, Canadien : « Certaines gens affectent d’appeler les sujets naturels du roi nouveaux Canadiens. Celui qui a mieux aimé, disent-ils, fixer au Canada sa résidence a perdu son titre d’Anglais. Les vieux Canadiens sont ceux que nous avons assujettis en 1760 et leurs descendants; les nouveaux Canadiens comprennent les émigrés de l’Angleterre, de l’Écosse, de l’Irlande et des colonies, maintenant les États-Unis. Par la loi de la 14e année du règne de Sa Majesté actuelle (le Quebec Act, l’Acte de Québec, 1774) ils deviennent des Canadiens et Canadiens ils doivent rester toujours. »

Mais il faudra attendre plusieurs décennies avant que les anglophones s’appellent « Canadiens », ce qui amènera les Canadiens (français, francophones) à adopter l’appellation de « Canadiens Français ».
II
En 1840, les 400 000 Britanniques du Upper Canada (Ontario), s’unissent aux 150 000 Britanniques du Lower Canada (Québec) pour former une majorité de 550 000 Britanniques au-dessus d’une minorité canadienne-française de 450 000 habitants.

Au total la population de la Province of Canada est d’environ 1 000 000. Avec l’Union de 1840, le Canada-Anglais est désormais en majorité : majorité dans la population avec 55 % de la population (400 000 + 150 000 = 550 000 = 55 %, contre 450 000 = 45 %) ; majorité dans l’assemblée législative ; majorité dans le Conseil législatif (sorte de Sénat) ; et majorité au Conseil exécutif (sorte de Conseil des ministres).

En 1840, le Canada-Anglais est en train de devenir une Nation, mais une Nation-État. Le Québec (le Canada-Français), devient une Nation, mais malgré lui une nation au sens sociologique du terme, c’est-à-dire un groupe social, une collectivité qui est fixée dans le rôle provincial de la nation annexée, annexée au Canada-Anglais.

1840, c’est la clé de toute l’explication de l’évolution politique du Québec (du Canada-Français) et du Canada-Anglais.

Si l’on n’a pas bien saisi ce que signifie pour les deux nationalités, (1. le Québec, les Canadiens-Français, les Québécois, 2. le Canada-Anglais), l’Union au point de vue politique, il devient absolument impossible de comprendre le régime d’union fédérale de 1867, et 1982.

IL EST INUTILE D’ÉTUDIER L’HISTOIRE DU CANADA APRÈS 1840, OU APRÈS 1867, OU APRÈS 1982, SI L’ON N’A PAS ÉTUDIÉ L’HISTOIRE DES CANADIENS, (DES CANADIENS-FRANÇAIS, DES QUÉBÉCOIS) AVANT 1760, C’EST-À-DIRE AVANT LA CONQUÊTE, ET AVANT 1840, SOIT DURANT LA PÉRIODE PRÉCÉDANT L’ACTE D’UNION.

Voilà pourquoi votre discussion est si intéressante, parce qu’elle revient à l’histoire des Canadiens, (des Canadiens-Français, des Québécois), avant 1760 .

Serons-nous un jour vraiment chez nous au Québec, sans connaître l’histoire des Canadiens (des Canadiens-Français, des Québécois) 1) avant 1760, et 2) avant 1840 ? Sans passé, il ne peut pas y avoir d’avenir.


Salutations cordiales,

Geneviève Châtigny


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2009

    Bonjour Mme Châtigny,
    Quelques précisions historiques sont importantes.
    Vous dites:
    « Tout d’abord, il ne faut pas confondre les Acadiens, peuple qui vit à l’Est du Canada, (les Acadiens sont demeurés Acadiens, ils n’ont pas changé de nom comme nous, (Canadiens-Canadiens-Français-Québécois), et les Canadiens de la Nouvelle-France, qui vivent « en Canada », ce « en Canada » de 1608 à 1760, qui finira par comprendre l’actuelle province de Québec, puis vers l’ouest jusqu’aux basses Rocheuses (à la vue des Rocheuses), plus au sud, le Missouri, jusqu’à la rencontre du Mississipi et du Missouri, et les Grands Lacs. »
    Rectifications:
    Premièrement, l'Acadie d'avant 1755 était une province de la Nouvelle France dont la capitale était la ville de Québec. Donc de prétendre que le peuple Acadien était distinct du peuple Canadien (Québécois) est faux. Les deux communautés appartenaient à même juridisction territoriale et ne faisait qu'un. Comme l'Acadie a été envahie et cédée à l'Angleterre avant le reste de la colonie française, son appartenance a été rompue prématurément par la force . Les deux groupes sont naturellement issus du même peuple mais divisés par un envahisseur extérieur.
    Deuxièment, notre peuple n'a pas choisi l'appellation canadien-français. Ce terme nous a été attribué par les britanniques qui résidaient au Canada après la conquête. Se considérant eux-mêmes comme les vrais Canadians. Il fallait bien qu'ils redéfinissent l'appellation identitaire du peuple conquis. Il est donc faux de prétendre que c'est la nation dominée qui a choisi le terme canadien-français. Le terme Québécois quant à lui ne doit pas être lié à l'enclos provincial du Québec. La nation Québécoise (descendants des Canadiens de la Nouvelle France ayant la ville de Québec comme capitale), est le légitime réprésentant des peuples de langues françaises en Amérique avant que ces peuples soient divisées territorialement par l'Angleterre.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2007

    Ahhh! Que c'est bon de se faire parler de "NOUS"!
    Merci infiniment, Mme Châtigny.
    Si nos clercs du PQ et du Bloc pouvaient moins parler des fédéralistes et plus de nous, nous serions peut-être déjà indépendant depuis longtemps.
    Et quand je dis nous, je veux dire aussi les Amérindiens et les Métis.
    Ce doit être le coeur du mouvement indépendantiste.
    C'est ce qui nous uni tous.
    Ce n'est pas la reconnaissance de notre peuple par le fédéral qu'il nous faut, mais notre propre reconnaissance de nous-mêmes. Il faut rappeller au peuple qui il est. Pour qu'il s'aime à nouveau.
    À MORT LA DAMNÉE NATION CIVIQUE!

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2007

    Votre texte confirme que beaucoup plus que 1867 (date de la Confédération)c'est l'Acte de l'Union de 1840 qui est une date charnière de l'histoire politique du Québec. Fruit du rapport de Lord Durham ce fut le début de la minorisation des francophones d'Amérique. Notre plus grand malheur est l'ignorence des Québécois de leur histoire qui les empêchent de définir leur avenir comme une suite normale de leur évolution historique.