«Être ou ne pas être»

2006 textes seuls


Les déclarations récentes des hommes de culture Michel Tremblay et Robert Lepage à propos de la souveraineté ont soulevé les passions. Cela devrait réjouir les souverainistes puisque c'est bien la preuve que ce projet politique est vivant et demeure central dans le débat politique québécois.


Je me permets de préciser que ni l'un ni l'autre de ces grands créateurs n'a rejeté le projet souverainiste. Ils ont critiqué et lancé un débat qui ne porte pas sur la souveraineté ou le fédéralisme mais plutôt sur le discours du projet souverainiste. Michel Tremblay affirme que l'économie prend trop de place et qu'on ne fait pas un pays pour des raisons économiques. Robert Lepage, pour sa part, déplore l'argumentaire essentiellement négatif qui voudrait que la souveraineté soit fondée sur le rejet du Canada.
Je constate qu'aucune de ces déclarations ne remet en cause l'importance de réaliser la souveraineté du Québec. Il s'agit, au contraire, de l'expression de la diversité des points de vue, une diversité qui contribue pleinement à l'enrichissement de notre projet collectif.
J'ai moi-même prononcé d'innombrables discours au Canada et au Québec soulignant à quel point le mouvement souverainiste a changé au cours des dernières années en ce sens qu'il n'est désormais plus fondé sur une réaction face au Canada. J'ai souligné, notamment devant tous les congressistes du Bloc québécois, que le Canada est un grand et un beau pays, que j'apprécie les Canadiens, des gens que je fréquente quotidiennement depuis plus de 15 ans à Ottawa. Les militants du Bloc québécois ont chaque fois chaleureusement applaudi à ces propos, comme l'ont d'ailleurs fait les Canadiens venus m'entendre à Toronto ou à Calgary.
Au cours de la dernière année, le Bloc québécois a travaillé sur son programme qui s'intitule Imaginer le Québec souverain, un document qui suggère tout ce que le Québec souverain pourra faire dans bien des domaines. Et ces possibilités sont exaltantes à bien des égards.
Les êtres humains d'abord
En ce qui concerne les préoccupations soulevées par M. Tremblay, je me dois de rappeler que la principale richesse d'une nation, ce sont les êtres humains qui la composent. De là la conviction pour le Bloc québécois que la pierre d'assise du développement des sociétés, ce sont l'éducation et la culture. Les questions sociales, d'économie, d'environnement, de l'avenir du Saint-Laurent, de nos relations avec les nations autochtones et de nos relations avec les autres peuples sont par ailleurs tous des aspects de la vie d'une nation qui sont intimement liés l'un à l'autre.
L'économie n'est pas une icône, mais ce serait une grave erreur que de l'évacuer. Elle doit être au service de l'être humain pour permettre ensuite l'épanouissement de la culture, de l'éducation ou de toute autre préoccupation. De plus, l'économie québécoise participe elle aussi de l'identité québécoise par sa différence (mouvement coopératif très étendu, taux de syndicalisation élevé, économie sociale) et par le fait qu'on ne peut être maître chez soi sans être maître de son économie. Ce serait tout de même déplorable qu'on en revienne au temps où l'économie était une chose considérée trop sale pour que les Canadiens français y touchent. L'important, au fond, n'est-il pas que l'avoir soit au service de l'être ?
Depuis des années, le Bloc québécois a contribué, côte à côte avec le Parti québécois et tous les souverainistes, à renouveler le projet souverainiste. Nous avons par exemple réfléchi longuement à propos de la mondialisation, et notre conclusion n'est pas tellement d'ordre économique plutôt que culturelle. La mondialisation menace notre culture et donc notre différence, bien plus que notre économie qui en tire autant de bénéfices que de contraintes. La souveraineté, c'est l'existence du Québec dans le monde. Je pose donc la question : pourquoi le Québec refuserait-il d'exister ?
Bien sûr, le Bloc québécois, comme le Parti québécois, a le devoir de défendre les intérêts du Québec et donc d'éliminer le déséquilibre fiscal, qui risque de se transformer en déséquilibre social. Cela étant dit, éliminer le déséquilibre fiscal, ce n'est pas évacuer la souveraineté. Pas plus, par exemple, que le fédéralisme ne se résume à l'élimination ou non du déséquilibre fiscal.
La solution est politique
Les raisons qui poussent des millions de Québécois à rallier le projet souverainiste sont très diverses, mais elles tournent toutes autour d'un enjeu central : la liberté politique. C'est la liberté du peuple québécois de prendre lui-même ses propres décisions. Il existe deux grands courants dans le monde actuel : la constitution de grands ensembles et la souveraineté des peuples, deux courants qui, en dépit des apparences, ne sont pas du tout contradictoires. François Mitterrand affirmait à ce sujet que, pour participer aux grands ensembles, encore faut-il exister...
Tout cela repose sur un fondement essentiel, soit que les Québécois forment une nation. Une nation différente, ni meilleure ni pire que les autres. Simplement différente. Et cette différence, qui repose chez nous en bonne partie sur la langue française, c'est ce que nous avons de plus précieux.
Si, auparavant, le projet souverainiste a pu se concevoir comme une lutte des Canadiens français en réaction au Canada, les choses ont beaucoup évolué. Le rêve s'est transformé. Aujourd'hui, il appartient aussi à tous les Maria Mourani, Maka Kotto, Meili Faille et Vivian Barbot de ce monde qui, maintenant, ont repris le flambeau. Le Québec souverain auquel j'aspire appartient à tous les Québécois, peu importe leurs origines. Le Québec souverain que nous voulons construire, tous ensemble, sera un pays francophone en Amérique, et notre la langue publique commune sera parlée avec des accents divers.
J'invite les Québécois à imaginer ce Québec souverain, à y projeter leurs rêves de nouveau et à ne pas hésiter à participer au débat public, comme l'ont fait Michel Tremblay et Robert Lepage.
La plateforme électorale du Bloc québécois en 2004 débutait, en hommage à la culture québécoise, par une citation de Gaston Miron : «Nous avons certes fait beaucoup de chemin, d'immenses progrès. Je ne vois cependant pas que la situation ait fondamentalement changé parce que nous n'avons pas été jusqu'au bout. La solution est politique. Point.»
Pour ma part, je considère que le débat sur l'avenir du Québec peut se résumer par cette question qui transcende les années : «être ou ne pas être», telle est la question fondamentale pour le Québec.
Gilles Duceppe
_ Chef du Bloc Québécois


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