La droite a beau jeu depuis quelque temps dans les démocraties occidentales. Le résultat n'est pas joli à voir, mais les objectifs sont clairement exprimés par des dirigeants comme Stephen Harper: une obsession de la sécurité comme condition pour que s'exprime l'initiative individuelle qui, elle, fait foi de tout. Il est curieux de voir les ténors de la droite se plaindre: leurs idées triomphent.
La victoire démocrate aux élections de mi-mandat aux États-Unis annonce-t-elle une nouvelle ère? La plupart des spécialistes en doutent. La situation en Europe ne porte pas à l'optimisme non plus. Certains se consolent en regardant l'évolution politique de l'Amérique latine. La difficulté est à gauche qui est plongée, dans tous les pays occidentaux, dans une profonde crise d'identité.
Je vous propose un petit jeu: dites-moi lequel des six personnages suivants est le plus à gauche?
- L'écologiste qui réclame une réduction radicale de l'exploitation forestière au nom du développement durable?
- Le chef autochtone qui revendique une part des bénéfices de cette exploitation pour sa communauté au nom des droits ancestraux lui étant reconnus?
- Le syndicaliste qui défend les emplois bien rémunérés de ses membres?
- Le député qui exige une aide de l'État pour sauver l'industrie dans un contexte de mondialisation exacerbée?
- Le petit entrepreneur social qui propose de transférer à des coopératives autogérées les permis de coupe afin de redonner le contrôle de la ressource aux communautés locales?
- Ou le militant alter-(ou anti-) mondialiste qui dénonce la mainmise des multinationales du papier sur l'économie québécoise?
Compliquons encore le portrait.
Le gauchiste du XXIe siècle soutient-il le principe de l'autodétermination des peuples et de la souveraineté des États ou, au contraire, appuie-t-il la création de mécanismes toujours plus puissants de gouvernance mondiale et le devoir d'ingérence?
Le recours à la violence est-il admissible à gauche et si oui, dans quels contextes: les luttes de libération nationale, l'écrasement d'un dictateur, la lutte contre le terrorisme? À quoi sert le pacifisme s'il permet l'injustice?
Un homme ou une femme de gauche doit-il, au nom du respect des droits des minorités, faire une place à la religion dans l'espace public, accepter le port du foulard et du kirpan, ou soutenir au contraire des politiques républicaines de construction identitaire et d'intégration nationale?
La figure de gauche moderne est-elle syndicaliste ou autogestionnaire?
Le gauchiste doit-il forcément être centralisateur et étatiste?
Une école privée peut-elle être de gauche?
La croissance économique est-elle une affaire de droite?
Y a-t-il une position de gauche unique sur le mariage entre conjoints de même sexe ou le clonage thérapeutique?
***
La gauche a du mal à se définir parce qu'elle est plus exigeante envers la société et envers elle-même. La gauche ne recherche pas seulement les conditions du bien-être individuel. Elle recherche le bien pour tous, le bien commun. Or il est devenu de plus en plus difficile de définir ce que constitue le bien commun parce que plus personne aujourd'hui, dans les sociétés libérales comme la nôtre, n'accepte que la définition du bien soit dictée par quelque autorité que ce soit.
La droite a beau jeu parce qu'elle ne prétend pas vouloir imposer une vision unique du bien commun, seulement la liberté.
Le bien commun correspond à ce qui permet de répondre à des besoins individuels et de favoriser l'exercice de la liberté, et en même temps de résoudre les problèmes que nous avons en partage au sein d'une société, d'une nation ou du monde. Il ne peut être défini que par une délibération ouverte fondée sur l'égalité de droit entre individus.
La liberté n'est pas une notion de droite. La gauche, en Occident, a toujours prétendu au contraire vouloir libérer les populations des tyrannies qui les opprimaient.
On peut aussi affirmer que le principal combat de la gauche sera, au cours des prochaines années, de protéger la liberté, la liberté de tous, contre les divers conservatismes qui sont à l'oeuvre.
On ne peut pas repenser la gauche si on la voit comme le creuset d'une idéologie programmatique, collectiviste et moraliste.
La gauche ne peut pas se définir à partir d'un ensemble de politiques prédéterminées qui constitueraient à ses yeux le bien commun. Son avenir réside, au contraire, dans sa capacité à proposer des mécanismes de définition collective du bien. La gauche se réinventera si elle invente la nouvelle démocratie.
L'homme et la femme de gauche seraient ceux capables de réunir l'écologiste, le chef autochtone, le syndicaliste, le député, l'entrepreneur et l'altermondialiste et de les amener à définir, par la négociation, ce qui permettra de préserver, le plus longtemps possible, les conditions de liberté du plus grand nombre.
Il s'agit d'une position insécurisante et extrêmement exigeante, plus difficile à défendre dans un clip de 15 secondes à la télévision que le simplisme d'un Stephen Harper ou d'un George W. Bush. Contre le simplisme de la droite, un simplisme de gauche sera toujours perdant. Contre le simplisme, on ne peut opposer que la complexité. Je sais, pour un tacticien partisan, ce n'est pas facile. Mais c'est la seule politique satisfaisante.
michel.venne@inm.qc.ca
Être de gauche
Québec 2007 - Québec solidaire
Michel Venne35 articles
Directeur général Institut du Nouveau Monde
Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences...
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Directeur général Institut du Nouveau Monde
Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.
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