Pour justifier le retour au cabinet de Pierre Corbeil, qui avait contrevenu à ses directives en se recyclant dans l'industrie minière quelques semaines après avoir quitté son poste de ministre des Ressources naturelles, le premier ministre Charest avait plaidé l'existence de «zones grises».
Dans le cas de Philippe Couillard, qui avait négocié les conditions de son futur emploi dans un fonds privé d'investissements en santé alors qu'il était toujours ministre, M. Charest avait invoqué le rapport du commissaire au lobbyisme, qui avait pourtant refusé de se prononcer.
On aurait pu espérer que le projet de code d'éthique présenté jeudi par le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Jacques Dupuis, éclaire ces zones grises. Au contraire, il propose de les enchâsser dans une loi.
Il est certainement préférable de confier à un commissaire à l'éthique le soin de juger la conduite des élus, en particulier des membres du conseil exécutif, plutôt que de s'en remettre à l'appréciation extrêmement souple du premier ministre.
Le problème est que le projet de M. Dupuis énumère d'entrée de jeu une série de raisons que pourrait faire valoir un ancien ministre afin d'abréger ou même d'éviter complètement le purgatoire de deux ans auquel il serait normalement astreint.
Il faudra tenir compte de la durée de son séjour au cabinet, des circonstances de son départ et de ses «perspectives d'emploi». Le niveau d'autorité ou «l'influence effective» qu'il a pu avoir dans ses rapports avec son futur employeur sera également un facteur. Il y a aussi «l'importance des renseignements» qu'il a pu obtenir dans ses fonctions ministérielles, la nature de celles qui lui seront confiées, de même que les conditions qu'il s'engage à respecter, Avec autant d'échappatoires à leur disposition, MM. Corbeil et Couillard auraient-ils pu passer le test?
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L'opposition péquiste s'inquiète surtout des dispositions qui concernent les conflits d'intérêts. Sans surprise, le projet comprend les assouplissements que M. Charest a apportés progressivement aux règles héritées du PQ pour les adapter à la situation particulière de tel ou tel de ses ministres.
Il serait absurde de penser que le ministre du Travail, David Whissell, est entré en politique pour permettre à l'entreprise d'asphaltage fondée par son grand-père, dans laquelle il a une participation de 20 %, obtienne davantage de contrats du gouvernement. D'ailleurs, même s'il le voulait, il ne pourrait rien y faire.
On aura beau multiplier les précautions pour éviter toute possibilité d'influence indue, la population n'en continuera pas moins de trouver inacceptable que l'entreprise d'un ministre ou d'un membre de sa famille reçoive des contrats du gouvernement. Qui plus est, depuis les beaux jours de Duplessis, l'asphalte est associé de près au favoritisme. Si M. Whissell possédait une pépinière, l'effet serait peut-être moindre.
En réalité, le cas du ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui a des intérêts dans une clinique privée, soulève plus de questions, même si ces intérêts ont également été confiés à une fiducie sans droit de regard. M. Bolduc, qui est responsable de l'architecture générale du système de santé, peut-il conserver un point de vue totalement objectif sur le rôle que doivent jouer les cliniques privées?
L'idéal serait certainement de revenir à la règle introduite par Jacques Parizeau en 1994, qui interdisait carrément à un ministre ou à un membre de sa famille immédiate toute participation dans une entreprise qui faisait affaire avec l'État.
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Le mieux est cependant l'ennemi du bien. Le projet présenté par M. Dupuis est certainement perfectible, mais il faut choisir ses batailles. L'adoption d'un code d'éthique, même imparfait, et la nomination d'un commissaire marqueront un progrès certain.
Même dans les petites choses de la vie, la vertu des élus s'en trouvera renforcée. S'ils avaient dû faire rapport au commissaire, les deux députés péquistes qui ont accepté une invitation à une partie de pêche au camp de la compagnie Kruger, l'an dernier, auraient peut-être réfléchi davantage.
On peut comprendre que le cas de M. Whissell hérisse le PQ, mais il vaut mieux connaître les intérêts d'un ministre et tâcher de les encadrer le mieux possible que d'en laisser un autre utiliser sa fonction pour se négocier secrètement un emploi. Un éventuel gouvernement péquiste aura tout le loisir de renforcer les dispositions de la loi, s'il est toujours convaincu que cela s'impose.
Sans exclure que le gouvernement puisse utiliser le poids de sa majorité pour imposer son projet, M. Dupuis a clairement indiqué sa préférence pour une adoption unanime. Peut-être se montrera-t-il ouvert à un resserrement des dispositions relatives à l'après-mandat.
Il est généralement bon de battre le fer quand il est chaud, mais le sujet se prête mal à la bousculade. Pourquoi tout faire d'un coup? Le projet de loi de M. Dupuis pourrait très bien être scindé. La nomination d'un commissaire à l'éthique ne devrait pas causer de problème. Le débat sur le code lui-même pourrait très bien se poursuivre à l'automne. Cela vaudrait mieux que d'enchâsser la grisaille.
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mdavid@ledevoir.com
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