Quand l'ADQ avait proposé formellement la création d'un réseau de santé privé parallèle, à l'automne 2002, le tollé avait été général. Une des réactions les plus vives était venue du directeur du service de chirurgie du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, encore inconnu du grand public, mais qui jouissait déjà d'une grande réputation dans le milieu médical, Philippe Couillard.
Dans une lettre publiée dans La Presse le 3 octobre 2002, il écrivait: «Ne commettons pas l'erreur d'affaiblir notre système de santé gratuit et universel au profit de l'entreprise privée, qui s'est avérée incapable, partout où on lui en a donné l'occasion, d'offrir des services aussi accessibles et peu coûteux qu'un régime basé sur la taxation universelle.»
La perspective d'un régime mixte qui permettrait aux médecins de pratiquer dans le privé après s'être acquittés de leurs obligations dans le secteur public lui semblait cauchemardesque. Connaissant bien ses confrères, il frémissait à la pensée de l'appareil bureaucratique qu'il faudrait mettre sur pied pour assurer la «surveillance policière» à laquelle il faudrait les soumettre.
Son diagnostic de l'assurance privée était catégorique: «Le paiement direct et l'assurance partagent un paradoxe confirmé par tous les pays où ces régimes sont disponibles: la population économiquement défavorisée, celle qui a le plus besoin de services, devient le groupe le moins susceptible de recevoir des soins.»
Après être entré en politique, il s'est bien défendu d'avoir trahi son engagement envers le secteur public. «Nous, au PLQ, on a des principes sur lesquels il est difficile de faire des compromis», avait déclaré le ministre de la Santé en février 2008, quand il s'était distancié des recommandations de la commission Castonguay, dont il avait qualifié le constat d'«apocalyptique».
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Dans un autre texte publié dans La Presse hier, M. Couillard a paru étonné des réactions provoquées par le vibrant plaidoyer en faveur d'une plus grande ouverture au privé qu'il a livré la semaine dernière devant les membres de l'Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux.
Comment pouvait-il en être autrement? En réalité, ses arguments ont peut-être moins choqué que ce revirement qui semble davantage dicté par son intérêt personnel que par celui de la population. Après son passage plus que douteux au plan de l'éthique dans une firme privée d'investissement en santé, Persistance Capital Partners, qui a créé un malaise même chez certains de ses anciens collègues du cabinet Charest, son intervention était presque indécente.
Les idées qu'il défend aujourd'hui demeurent celles qui l'ont animé depuis 10 ans, assure l'ancien ministre. Ou bien il a la mémoire courte, ou bien il espère que tout le monde a oublié ce qu'il disait à l'époque.
Il est absurde de considérer la pratique mixte ou l'assurance privée comme des hérésies, alors qu'il faut plutôt en débattre avec rigueur, dit-il. C'est exactement ce qu'il avait fait à l'époque avant de les rejeter l'une et l'autre.
À partir du moment où il est établi que «la population économiquement défavorisée, celle qui a le plus besoin de services, devient le groupe le moins susceptible de recevoir des soins», comme il le soutenait en 2002, comment la cause pourrait-elle être portée en appel?
Le président de la FTQ, Michel Arsenault, a qualifié sa récente intervention de «tartufferie». Peut-être serait-il plus approprié de parler de schizophrénie. Le docteur Couillard semble en effet s'être métamorphosé en mister Hyde.
Il est vrai est que l'ancien ministre a déjà réclamé «le droit de changer d'idée et d'évoluer». Ainsi, pendant trois ans, il avait soutenu que le vieillissement de la population et l'explosion du coût des médicaments allaient imposer un poids insupportable au système de santé. À l'été 2006, alors que des rumeurs d'élections allaient bon train, il avait soudainement découvert que sa pérennité n'était aucunement menacée.
M. Couillard a toujours manié le sophisme avec une grande habileté. Il aurait toujours été possible d'utiliser la clause dérogatoire pour échapper au jugement Chaoulli. Quoi qu'il en dise, «encadrer» la pratique privée signifie aussi l'autoriser et, éventuellement, la stimuler. C'est un choix légitime, mais il faut dire les choses clairement.
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Au Québec, il est difficile de tenir un débat rationnel sur l'avenir de notre système de santé, déplore l'ancien ministre. En réalité, son texte laisse plutôt entendre qu'une plus grande ouverture au privé constitue le seul choix rationnel à ses yeux. Ceux qui s'y opposent ne sont que des émotifs ou des idéologues, incapables d'une analyse objective.
À ce qu'il me semble, le débat n'est pas plus irrationnel au Québec qu'ailleurs au Canada, où le medicare prend parfois des allures de symbole identitaire. Certes, la question soulève les passions, mais les tenants et aboutissants de la question ont été clairement exposés.
Depuis au moins trois élections générales, l'ADQ a fait de la création d'un secteur privé parallèle un élément central de sa plate-forme. Bien sûr, il y avait d'autres enjeux, et on ne peut pas dire que les résultats aient été très concluants.
À chaque campagne, le PLQ et le PQ ont réaffirmé de façon non équivoque leur attachement au système hérité de la Révolution tranquille. Toute ouverture au privé a été clairement conditionnée au maintien d'un financement strictement public. La «médecine à deux vitesses» a été catégoriquement exclue.
Depuis 2003, le gouvernement Charest a également demandé à deux groupes de travail d'analyser la question. Chaque fois, le Conseil des ministres et M. Couillard lui-même ont rejeté leurs recommandations. Si ce dernier veut aujourd'hui laisser entendre que les libéraux n'ont pas eu le courage politique d'aller à l'encontre de l'opinion publique, c'est une autre affaire.
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