Dialectique autour de l’idée d’une constitution québécoise

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Le gouvernement de la CAQ pourrait faire sienne la proposition de Rousseau : remplacer la clause dérogatoire par une clause de réinterprétation dans une constitution québécoise

J’ai intitulé mon texte « Dialectique autour de l’idée d’une constitution québécoise », car, après une brève présentation, j’ai l’intention de vous présenter, dans un premier temps, des avantages de cette idée, dans un deuxième temps, des inconvénients et, en troisième lieu, des solutions de remplacement. Pour ce qui est des avantages, je serai bref, car je compte me référer à d’autres auteurs. Pour les inconvénients, je me baserai essentiellement sur mon analyse juridique du projet de constitution no 196 déposé par le PQ en 2007. Cette deuxième partie sera donc plus élaborée et plus technique. Quant à la troisième partie, elle sera pour ainsi dire une pure création, ou presque, puisqu’elle tiendra compte des éléments soulevés dans les deux premières parties… et dans la partie préliminaire.


Partie préliminaire

Dans cette partie préliminaire, je souhaite simplement rappeler que le Québec a déjà une constitution au sens matériel. Elle est composée essentiellement de deux choses : des lois touchant les institutions politiques québécoises, comme la Loi sur l’Assemblée nationale, et des conventions constitutionnelles, comme celle qui fait du chef du parti majoritaire en chambre le premier ministre. Lorsque l’on parle d’adopter une constitution québécoise, je présume que l’idée est d’adopter une constitution formelle ; et donc de regrouper les principales règles et les principes qui existent déjà dans un même texte constitutionnel, de prévoir que ce texte rendra invalides les règles de droit qui seront jugées incompatibles avec lui et d’y inscrire une formule d’amendement requérant plus qu’un vote à la majorité simple à l’Assemblée nationale. Il s’agit là explicitement de l’idée de Daniel Turp qui est, de loin, celui qui a mené les réflexions les plus riches et les plus approfondies sur l’idée d’une constitution québécoise. Il s’agit aussi de l’idée d’autres auteurs qui ont apporté des contributions pertinentes, tels Marc Brière, Jacques-Yvan Morin et, plus implicitement et dans des contextes différents, Danic Parenteau et Marc Chevrier.


Thèse

Dans son livre La république québécoise, Marc Chevrier défend la thèse selon laquelle le Québec devrait se doter d’une constitution, et ce, avant même son accession à la souveraineté. Pour ce faire, il donne 5 grandes raisons :



  • clarifier et organiser le droit politique québécois, notamment pour donner une direction d’ensemble au législateur et des critères aux citoyens pour évaluer le travail des représentants ;

  • cristalliser un projet de réforme démocratique, en consacrant ses principes dans une constitution et en laissant ses modalités d’application à la loi ;

  • actualiser la souveraineté populaire, en faisant ratifier une constitution par la population qui, par ce geste de grande portée, deviendrait un peuple, soit un ensemble de citoyens faisant son unité autour de principes communs ;

  • clarifier les valeurs communes, en fournissant des repères publics ou un guide de référence ;

  • doter les citoyens d’un outil de pédagogie politique, en élaborant un texte qui rend lisibles les principes organisateurs de la cité.


De manière différente, dans ses deux plus récents ouvrages sur le républicanisme, Danic Parenteau défend la thèse d’une démarche constituante menant à l’adoption d’une constitution et à la souveraineté. Je ne reprendrai pas tous ses arguments, puisque, sauf erreur, ils vous sont présentés ailleurs dans le présent numéro. Je me contenterai d’en rappeler deux qui me seront utiles pour ma démonstration. Premièrement, selon Parenteau, une telle démarche constituante aurait l’avantage de faire en sorte que le projet indépendantiste puisse incarner une vision sociale et ainsi rallier les progressistes qui viendraient s’ajouter aux nationalistes. Sans entrer dans les détails, disons qu’il imagine une constitution d’inspiration républicaine qui, de ce fait, pourrait rallier ces deux groupes. Deuxièmement, selon lui une démarche constituante aurait pour effet de « rehausser le jeu politique au Québec » et d’aider le peuple à renouer avec la « grande politique ». Autrement dit, si j’interprète bien son propos, débattre de grands enjeux constitutionnels amènerait les citoyens à s’intéresser à la politique dans ce qu’elle a de plus noble, et pas seulement à leurs intérêts individuels de contribuables, ce qui pourrait les prédisposer à appuyer davantage l’indépendance.


Voilà donc ce qui constitue, à mes yeux, certains des principaux arguments développés récemment pour défendre l’idée de l’adoption d’une constitution québécoise, soit avant, soit simultanément, à l’accession à l’indépendance. Voyons maintenant certaines des principales objections.


Antithèse

Toujours dans son livre La république québécoise, Marc Chevrier identifie au moins trois objections à l’idée d’une constitution québécoise : le désintérêt du peuple pour cette question, les risques de discorde et la possibilité que le gouvernement des juges s’en trouve renforcé. À mon avis, bien que Chevrier tente habilement d’en diminuer la portée, ces trois objections sont en grande partie fondées.


En ce qui concerne le désintérêt du peuple, cela m’apparaît évident. Les questions entourant la constitution et les institutions politiques ne passionnent plus autant qu’avant, sauf lorsqu’elles sont liées à un enjeu concret, comme les accommodements raisonnables. Les questions politiques qui suscitent davantage d’intérêt sont souvent plus matérialistes, qu’on pense aux frais de scolarité ou aux ressources naturelles. Selon moi, un peuple change rarement de constitution autrement que dans un contexte de crise politique et/ou de revendications démocratiques concrètes fortes. Pensons à la Constitution française de 1958, qui visait à rétablir un exécutif stable et fort dans le contexte de la guerre d’Algérie. Pensons à la Constitution canadienne de 1867, qui visait à mettre un terme à l’instabilité ministérielle qui prévalait à la fin du régime de l’Union et à établir le principe du rep by pop. Or, les institutions québécoises ne me paraissent pas en crise, du moins pas en crise aiguë, et aucune revendication démocratique forte ne me paraît sortir du lot, sauf peut-être celle relative au mode de scrutin partiellement proportionnel, et encore. Cela ne veut évidemment pas dire que ces institutions sont parfaites. Elles sont souvent critiquées, et avec raison, notamment parce qu’elles permettent à un gouvernement représentant moins de 50 % des électeurs de spolier les ressources naturelles des Québécois, ou à des juges non élus de décider à la place des élus. Certes, la Constitution canadienne, et particulièrement la charte de 1982, a un grave problème de légitimité. Mais pas au point d’engendrer une crise, ni même une revendication constitutionnelle consensuelle. Il faut dire qu’en matière constitutionnelle, au Canada comme au Québec, il n’y a jamais de consensus.


Ce qui nous mène à l’objection relative à la discorde qui découlerait d’un projet de constitution. Pour ce qui est d’une démarche constituante devant mener à l’indépendance, dès le départ elle risquerait d’être boycottée par la vaste majorité des fédéralistes, ce qui minerait sa légitimité. Pour ce qui est du projet d’une constitution provinciale, comme le remarquait le sociologue Yves Martin dans sa préface du livre Pour sortir de l’impasse : Un Québec républicain, un tel projet risquerait de susciter très peu de participation chez les souverainistes.


Pire encore, selon moi, même entre souverainistes, il y aurait des désaccords profonds, voire irréconciliables. Par exemple, dans un article intitulé « Les dangers d’une Charte des droits enchâssée pour un Québec indépendant », Josée Legault s’oppose vivement à l’idée d’une telle charte. À l’inverse, Daniel Turp est favorable à une telle charte, et ce, dans la constitution d’un Québec souverain ou pas.


Prenons donc le projet de constitution no 196 déposé par Daniel Turp au nom du PQ. J’ai choisi ce projet de constitution, car il est très bien fait et moins polémique que d’autres, comme celui de Marc Brière par exemple. L’article 1 de ce projet de constitution no 196 commence par les mots « Le Québec est une société libre et démocratique ». Cela peut sembler consensuel, mais ce ne l’est pas du tout. Personnellement, je m’opposerais vivement à cet alinéa, puisqu’il reprend exactement des mots de l’article 1 de la Charte canadienne. Autrement dit, il risquerait de constituer une invitation à interpréter la Constitution québécoise comme la Constitution canadienne, soit de manière conforme au libéralisme anglo-saxon. Comprenez-moi bien, le but n’est pas de faire un reproche au professeur Turp, dont j’admire le travail et avec qui je suis d’accord sur une foule de sujets. Le but est de souligner que toute constitution québécoise serait rédigée, influencée et interprétée par des juristes formés sous le système canadien (et notamment des juristes beaucoup moins soucieux de la spécificité québécoise que Daniel Turp). Toute constitution québécoise serait donc au moins en grande partie canadianisée. Pour le dire de manière imagée, elle serait la petite jumelle difforme de la Constitution canadienne. Certes, l’idée de lui donner un tour républicain pourrait diminuer ce danger, mais ne saurait l’éliminer.


Pire encore, toujours dans le projet de constitution no 196, à l’article 8 il est mentionné que les articles 1 à 48 de la Charte québécoise des droits feront partie de la Constitution, et pourront donc servir à invalider toutes les autres lois québécoises. À l’heure actuelle, seuls les articles 1 à 38 ont ce caractère supra-législatif. Le projet 196 propose donc de donner ce caractère aussi aux articles 39 à 48. Que retrouve-t-on à ces articles ? Notamment, le droit des parents d’assurer l’éducation religieuse de leurs enfants, le droit à l’école privée et le droit des personnes appartenant à des minorités ethniques de maintenir leur propre vie culturelle (autrement dit, le multi ou l’inter culturalisme). Concrètement, cela signifie qu’une loi pour la laïcité, l’école publique ou la convergence culturelle risquerait plus, voire beaucoup plus, d’être déclarée inconstitutionnelle après l’adoption de la Constitution québécoise proposée par le projet de loi 196. Certes, le deuxième alinéa de cet article 8 du projet de loi 196 précise que, dans l’interprétation de ces articles de la Charte québécoise, il doit être tenu compte, et je cite « du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment de l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques ». Mais, a priori, tous ces mots ne veulent rien dire. Ce qui signifie que les juges peuvent leur faire dire n’importe quoi. Prenons par exemple le principe de l’égalité homme-femme. Autant il peut servir à valider une interdiction de symboles religieux réputés comme symbolisant l’infériorisation des femmes, autant il peut servir à invalider une telle interdiction, sous prétexte qu’elle affecte les femmes qui portent ces symboles. Comme le disait Charles Evans Hughes, juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, « The Constitution is what the judge say it is », la Constitution est ce que les juges en disent.


Au-delà des aspects techniques, il faut retenir que cet article 8 du projet de loi 196, et son idée de constitutionnaliser les articles 39 à 48 de la Charte québécoise illustrent deux choses : les risques bien réels de discorde et de renforcement du gouvernement des juges. Pour ce qui est de la discorde, c’est évident : ce projet de constitution a été déposé par Daniel Turp, un juriste dont je suis plutôt proche, notamment sur le plan de la philosophie politique et juridique. Pourtant, je suis opposé à ce projet de constitution. Pour ce qui est du renforcement du gouvernement des juges, les trois exemples de lois que j’ai mentionnés sont révélateurs.


Vous vous dites sans doute, il y a sûrement des moyens techniques de régler ces problèmes techniques. Oui et non. Oui, il y a un moyen de s’assurer qu’un projet de constitution suscite un consensus, ou même une simple majorité : s’en tenir à de grands principes. Oui, il y a un moyen de faire en sorte qu’un projet de constitution ne renforce pas le gouvernement des juges : y insérer seulement des clauses hyper détaillées. Mais non, parce qu’on ne peut pas faire les deux. Soit on a un projet de constitution hyper détaillée et c’est la pagaille ; soit on a un projet de constitution vague et c’est un chèque en blanc aux juges ; soit, pire encore, on a un projet assez précis pour ne pas susciter de consensus, mais quand même assez vague pour renforcer le gouvernement des juges. Comme c’est le cas du projet de loi 196.


Et il y a pire, car ce projet de loi prévoit à son article 13 qu’il faudra une majorité des deux tiers de l’Assemblée nationale pour modifier la Constitution. Cela fait en sorte que le problème que j’ai soulevé à propos de l’article 8 du projet de loi 196 se poserait pour tous les autres articles ou presque. Prenez l’article 6 qui constitutionnaliserait le principe de la prédominance du français. Eh bien, il pourrait servir à invalider la Charte de la langue française qui prévoit la nette prédominance dans l’affichage.


Concrètement, cette règle de la majorité des deux tiers pour modifier la Constitution signifie qu’un parti ayant 66,5 % des sièges à l’Assemblée nationale qui verrait sa loi pour la laïcité, l’école publique, la convergence culturelle ou la langue française déclarée inconstitutionnelle, par des juges nommés par le fédéral ou par un autre parti politique québécois, ne pourrait rien faire (sauf déclencher des élections et obtenir plus de 66,6 % des sièges… ce qui est peu réaliste et peu pratique considérant que le gouvernement des juges rendrait plusieurs décisions semblables chaque année). Donc, avec une telle constitution, la souveraineté aurait été transférée du Parlement au gouvernement des juges ; plus précisément à une alliance entre le gouvernement des juges et 33,5 % des députés. Et la formule d’amendement prévue par le projet de constitution de Marc Brière est encore pire puisque, pour modifier la constitution, elle exige 60 % des membres d’une constituante, 60 % des députés et 60 % de OUI lors d’un référendum (autrement dit, elle rend pratiquement impossible le renversement d’une décision du gouvernement des juges). Quant à la formule d’amendement envisagée par Jacques-Yvan Morin, elle tourne aussi autour d’une majorité renforcée de députés ou d’une consultation populaire, mais viserait seulement certaines dispositions fondamentales (les autres pouvant être modifiées par simple majorité). Cela illustre que le problème n’est pas seulement la formule d’amendement du projet de loi 196. Le problème, c’est toute formule d’amendement autre qu’un vote majoritaire à l’Assemblée nationale. Or, une telle formule est une caractéristique essentielle d’une constitution formelle. Sans ça, la Constitution est matérielle et non formelle. Or, le Québec a déjà une constitution matérielle.


Dès qu’on quitte les lieux communs autour de l’idée d’une constitution adoptée par la nation, qui renforcerait la démocratie, etc., et qu’on regarde concrètement à quoi ressemblerait une constitution québécoise formelle, on voit qu’elle diminuerait concrètement la démocratie et sans doute le caractère national du Québec. En exagérant à peine, je dirais : vous avez aimé la Constitution canadienne de 1982, vous allez adorer la Constitution de la province de Québec.


Car évidemment, la démonstration que je viens de faire est valable surtout pour l’idée d’une constitution avant l’indépendance. Cependant, elle est aussi valable, dans une moindre mesure, pour la constitution d’un Québec souverain. Certes, dans un Québec indépendant les juges seraient nommés par des autorités québécoises, mais les juges nommés par le fédéral continueraient de siéger longtemps et même les juges nommés par Québec seraient imprégnés par la jurisprudence canadienne, et donc par le libéralisme anglo-saxon. La Constitution pourrait être républicaine sur papier, mais à mon avis il y a une contradiction fondamentale entre le principe républicain du gouvernement du peuple et le principe libéral du gouvernement des juges.


Heureusement, il y a peut-être moyen de faire une synthèse entre la thèse favorable à la Constitution québécoise et son antithèse.


Synthèse

Une première façon d’obtenir une partie des avantages d’une constitution sans ses inconvénients serait de ne pas y prévoir de caractère supralégislatif (et donc de faire en sorte qu’elle ne l’emporte pas sur les autres lois). De manière alternative ou complémentaire, une autre façon de faire serait de ne pas y prévoir de formule d’amendement autre que la majorité simple des députés. Il s’agirait donc de mettre dans une loi intitulée Constitution les grands principes des lois québécoises déjà adoptées qui sont matériellement constitutionnelles (Loi sur l’Assemblée nationale, Charte québécoise des droits et libertés, etc.). Puisque cela ne ferait que changer la forme sans toucher le fond ou presque, on ne risquerait ni la discorde ni le renforcement du gouvernement des juges. Et je pense qu’on atteindrait, au moins en partie, certains des objectifs de Chevrier, comme celui de doter les citoyens d’un outil pédagogique. Et si une telle constitution était aussi l’occasion de modifier des règles régissant nos institutions, elle pourrait cristalliser un projet de réforme démocratique (par exemple, en introduisant une part de proportionnalité dans notre mode de scrutin). Quant à la clarification des valeurs communes, elle pourrait se faire en prévoyant que les principales règles de la Charte de la langue française sont sur un pied d’égalité avec la Charte québécoise des droits, comme l’a suggéré Guy Rocher. De plus, la clause dérogatoire de la Charte québécoise pourrait être révisée, car actuellement son utilisation est rendue difficile par le fait qu’elle suppose que le législateur avoue déroger à un droit fondamental, alors qu’il ne fait que déroger à une interprétation subjective d’un tel droit. La meilleure révision possible de cette clause consisterait à en faire une clause non pas de dérogation, mais de réinterprétation, qui permettrait donc aux élus de l’Assemblée nationale de déclarer une loi conforme aux droits fondamentaux malgré l’opinion contraire de juges non élus. Mieux encore, il serait possible d’inclure dans cette constitution la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, soit la loi du gouvernement Lévesque qui insérait la clause dérogatoire partout, de manière à ce que la Charte canadienne s’applique aussi peu que possible au Québec. Combinée à la mise sur un pied d’égalité de la loi 101 avec la Charte québécoise et au remplacement de la clause dérogatoire par une clause de réinterprétation, cette inclusion de la clause dérogatoire omnibus dans la Constitution québécoise aurait pour effet d’affaiblir le gouvernement des juges et de solidifier le caractère national du Québec. Ces trois derniers éléments ne créeraient sans doute pas consensus ; quoiqu’à mon avis ils puissent rallier une majorité. Par contre, avec ou sans la réforme du mode de scrutin, ils auraient sans doute pour effet d’intéresser un tant soit peu le peuple au projet de constitution québécoise. Car il ne faut pas oublier que, autrement, l’absence de supralégislativité et de formule d’amendement particulière rendrait le projet de constitution plus banal, et donc moins susceptible d’intéresser les citoyens.


C’est pourquoi, à la suite de Jacques-Yvan Morin, il serait aussi possible d’envisager de conférer une protection via une formule d’amendement particulière seulement à un nombre très limité d’éléments précis de la Constitution, par exemple la mise sur un pied d’égalité de la loi 101 avec la Charte québécoise. Il va sans dire que cela serait de nature à rallier les nationalistes. Quant aux progressistes, ils pourraient aussi être ralliés, mais davantage par la réforme du mode de scrutin, dont le principe pourrait être constitutionnalisé et protégé par une formule d’amendement particulière, mais dont les modalités relèveraient de la loi ordinaire. Et on peut imaginer d’autres éléments progressistes très précis faisant hypothétiquement consensus et pouvant être ainsi constitutionnalisés et protégés, telle la nationalisation de l’électricité (autrement dit, la Constitution pourrait interdire la privatisation d’Hydro-Québec, sauf par un vote des deux tiers de l’Assemblée nationale par exemple).


En ce qui concerne les conventions constitutionnelles qui font aussi partie de la Constitution québécoise matérielle qui existe déjà, elles pourraient aussi être codifiées. Afin que leur sanction demeure politique et ne devienne pas judiciaire, elles ne devraient toutefois pas être incluses dans une loi. On peut donc imaginer un Code des conventions constitutionnelles du Québec, alliant notre héritage civiliste français et notre tradition parlementaire d’origine britannique, qui serait adoptée par une motion de l’Assemblée nationale, après avoir été également débattue dans un forum citoyen. Ce code remplirait certains des objectifs de Chevrier : clarification du droit politique québécois, outil pédagogique, etc. Et cette codification pourrait être l’occasion de cristalliser une réforme démocratique, par exemple en codifiant une pratique qui n’est pas encore une convention constitutionnelle claire, mais qui pourrait le devenir du fait de sa codification (car le vote de la motion sur ce code signifierait que les acteurs politiques se sentent liés, ce qui constitue un des critères définissant une convention constitutionnelle). Pensons à la pratique de la parité au conseil des ministres ou à celle selon laquelle chaque région administrative a le droit d’être représentée au conseil des ministres, si elle a un député du parti majoritaire. Cet ajout d’une bonification démocratique à la codification des conventions constitutionnelles lui conférerait sans doute un certain intérêt pour la population, sans qu’elle devienne trop controversée pour autant.


Enfin, si une telle constitution et/ou un tel code étaient adoptés par référendum, l’objectif d’actualiser la souveraineté populaire et celui de rehausser le jeu politique seraient atteints. Sans parler que cela dé-tabouiserait le référendum. Et évidemment, tout cela pourrait faciliter la tenue d’un référendum ultérieure sur l’indépendance.


Car, et je conclus là-dessus, je continue d’être septique face à l’idée d’une constituante et d’un référendum sur une constitution ; entre autres parce que la constituante serait boycottée par les fédéralistes et que le contenu de la Constitution serait hautement polémique. Des souverainistes partisans d’un régime présidentiel pourraient voter non si la Constitution prévoit un régime parlementaire. Des souverainistes féministes pourraient faire de même si la parité au conseil des ministres voire à l’Assemblée nationale n’est pas constitutionnalisée, etc. Toutefois, je partage le souci de Danic Parenteau d’assurer que le projet d’indépendance soumis au peuple ait un volet social et un volet national, autrement dit un volet républicain, susceptibles de rallier progressistes et nationalistes. Et je pense qu’entre une question référendaire portant sur l’indépendance sans aucun détail et une question référendaire portant sur une constitution forcément assez détaillée, il existe une troisième voie. Cette troisième voie, c’est celle d’un référendum sur l’article 1 de la Constitution d’un Québec souverain ; lequel article comprendrait les trois ou quatre principes fondamentaux et assez consensuels qui seraient à la base de tout le reste de la Constitution. Ces trois ou quatre principes pourraient être identifiés et discutés lors d’un forum citoyen assimilable à une constituante. Par exemple, le prochain référendum pourrait porter sur la question suivante : « Voulez-vous que le Québec devienne une République indépendante, sociale, démocratique et dont le français est la langue commune ? »


Si les Québécois répondaient oui, cette question serait transformée en un énoncé qui deviendrait l’article 1 de la Constitution de la République du Québec.


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Guillaume Rousseau35 articles

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L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne