Demain l’indépendance

Le fédéralisme rentable agonise, bienvenue à l’ère du fédéralisme instable

Chronique de Richard Le Hir


Texte rédigé à l’invitation de la Revue de l’Action Nationale et publié dans son numéro double 9-10 de 2011, pp 136 à 156 .

Il ne faut pas s’y tromper, les événements dont nous sommes présentement les spectateurs sur la scène internationale vont avoir d’importantes répercussions ici même au Québec, ce n’est qu’une question de temps, et à en juger par leur accélération depuis le mois de juillet, ce temps ne sera même plus très long. En effet, les douze à dix-huit mois qui s’en viennent vont modifier radicalement toutes nos perspectives, et des choses qui peuvent paraître encore invraisemblables aujourd’hui vont littéralement se transformer en évidences sous nos yeux au fil des jours.

Mais avant d’aller plus loin, permettez-moi de revenir environ deux ans en arrière, lorsque j’ai pris conscience que la crise économique que nous traversions était extrêmement grave et qu’elle allait nécessairement s’amplifier, ouvrant par le fait même une nouvelle fenêtre pour l’indépendance du Québec.

Vous vous rappellerez peut-être qu’à cette époque, l’indépendance n’était pas exactement un sujet brûlant d’actualité, et que ceux qui en parlaient encore désespéraient de plus en plus de voir ce projet se concrétiser de leur vivant. Il faut aussi dire que les indépendantistes québécois, à de très rares exceptions près, ne se sont jamais attardés à l’incidence de la conjoncture économique sur leurs ambitions nationales.

Je me retrouvais donc assez isolé avec mon constat, et ayant pris mes distances avec la politique et le milieu politique après ma difficile expérience du Référendum de 1995, je n’avais plus personne avec qui partager mes analyses. C’est alors que l’idée me vint d’utiliser Vigile comme relais, et j’y ai effectivement publié près de 275 articles sur une période de 20 mois, essentiellement sur la conjoncture économique mondiale, canadienne et québécoise, avec, dans ce dernier cas, une emphase toute particulière sur les richesses naturelles, et sur des sujets de politique internationale, canadienne et québécoise auxquels je m’intéresse et que je suis de longue date, en privilégiant largement la dernière, dans l’optique d’une indépendance à venir.

Ces articles ont suscité de nombreux commentaires, et certaines questions ont soulevé beaucoup d’intérêt, notamment celle qui me vaut aujourd’hui l’honneur d’être invité à m’adresser aux lecteurs de L’Action Nationale. Malgré les difficultés auxquelles nous allons être confrontées – certainement parmi les plus grosses de notre histoire – et que nous allons devoir surmonter, je suis très optimiste sur nos chances de sortir de cette épreuve avec l’indépendance en prime, et laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Les grands enjeux

1. À l’échelle planétaire

Commençons par les enjeux les plus importants à l’échelle la plus grande, soit celle de la planète.

Nous venons de franchir le seuil des 7 milliards d’habitants. Dans les débuts de la révolution industrielle, vers 1850, la population mondiale n’était que d’environ 1,25 milliard. Et cette population est passée de 3 milliards à 7 milliards entre 1960 et aujourd’hui1.

Pendant la même période, le PIB mondial par tête est passé de quelques centaines de dollars à 28 000 dollars selon les estimations qui ont pu être faites2.

La progression de la production mondiale a donc été phénoménale, et l’on peut facilement imaginer l’importance du tribut prélevé sur des ressources naturelles souvent renouvelables et les dommages qui ont pu être causés à l’environnement terrestre. Certains signes nous indiquent désormais que d’importants équilibres sont en train d’être rompus, et nous sommes au seuil d’importantes remises en question sur notre mode de vie et nos habitudes de consommation en vue d’une réorientation radicale.

2. À l’échelle internationale

Sur le plan économique, à l’échelle internationale, nous arrivons à la fin du long cycle de la révolution industrielle, et le système capitaliste à l’intérieur duquel elle s’est déployée montre des signes de plus en plus nombreux d’épuisement, comme en témoigne la multiplication des crises depuis une trentaine d’années, au point que certains historiens de l’école de Fernand Braudel et du « temps long », comme le professeur Immanuel Wallerstein3 des Universités de Yale et de Binghampton (É.-U.), vont même jusqu’à prédire son effondrement imminent, comme il l’explique dans une entrevue qu’il donnait en 2008 :

Q. : Comment replacez-vous la crise économique et financière actuelle dans le “temps long” de l’histoire du capitalisme ?

R. : Immanuel Wallerstein : Fernand Braudel (1902-1985) distinguait le temps de la “longue durée”, qui voit se succéder dans l’histoire humaine des systèmes régissant les rapports de l’homme à son environnement matériel, et, à l’intérieur de ces phases, le temps des cycles longs conjoncturels, décrits par des économistes comme Nicolas Kondratieff (1882-1930) ou Joseph Schumpeter (1883-1950). Nous sommes aujourd’hui clairement dans une phase B d’un cycle de Kondratieff qui a commencé il y a trente à trente-cinq ans, après une phase A qui a été la plus longue (de 1945 à 1975) des cinq cents ans d’histoire du système capitaliste.

Dans une phase A, le profit est généré par la production matérielle, industrielle ou autre ; dans une phase B, le capitalisme doit, pour continuer à générer du profit, se financiariser et se réfugier dans la spéculation. Depuis plus de trente ans, les entreprises, les États et les ménages s’endettent, massivement. Nous sommes aujourd’hui dans la dernière partie d’une phase B de Kondratieff, lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres : les faillites se multiplient, la concentration du capital augmente, le chômage progresse, et l’économie connaît une situation de déflation réelle.

Mais, aujourd’hui, ce moment du cycle conjoncturel coïncide avec, et par conséquent aggrave, une période de transition entre deux systèmes de longue durée. Je pense en effet que nous sommes entrés depuis trente ans dans la phase terminale du système capitaliste. Ce qui différencie fondamentalement cette phase de la succession ininterrompue des cycles conjoncturels antérieurs, c’est que le capitalisme ne parvient plus à “faire système”, au sens où l’entend le physicien et chimiste Ilya Prigogine (1917-2003) : quand un système, biologique, chimique ou social, dévie trop et trop souvent de sa situation de stabilité, il ne parvient plus à retrouver l’équilibre, et l’on assiste alors à une bifurcation.

La situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu’alors, et l’on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre tous les acteurs pour déterminer ce qui va le remplacer. Je réserve l’usage du mot “crise” à ce type de période. Eh bien, nous sommes en crise. Le capitalisme touche à sa fin. »4

Si cette analyse ne trouvait pas sa confirmation dans les événements que nous sommes en train de vivre, la tentation serait facile de l’ignorer, tant elle est provocante et nous interpelle. Le réflexe naturel de l’homme est de vivre et de voir les événements en continuité, et non en rupture. Or nous sommes en situation de rupture, et cette rupture va se répercuter jusque dans notre quotidien avec une force, voire une violence, à laquelle nous ne sommes pas habitués.

3. À l’échelle du Canada

3.1 Sur le plan économique

Mais, un peu à la façon des images captées par un satellite d’observation dont il est possible d’ajuster la définition à une échelle donnée, examinons maintenant la situation telle qu’elle se présente au niveau de l’ensemble géographique et politique du Canada avant d’en arriver au Québec.

Notons au passage que cet exercice nous permet de comprendre que, de la même façon que c’est le chien qui agite la queue et non le contraire, la situation du Québec sera bien plus largement déterminée par les événements qui l’atteignent de l’extérieur que par ceux qu’il induit par son propre fonctionnement. Toute société distincte ou unique que nous soyons, nous n’échappons pas aux lois de la nature.

Or ce qui se passe au Canada depuis une soixantaine d’années est majeur, tant sur le plan historique qu’économique, social et culturel.

On ne réalise pas suffisamment au Québec que l’introduction de nos grands programmes sociaux est une conséquence directe de la crise des années 1930 et de la découverte par les autorités fédérales que l’absence de filet social constituait un important facteur de déstabilisation sociale et politique. Qui plus est, la fin de la Deuxième Guerre Mondiale allait marquer l’ouverture d’une longue période d’enrichissement collectif favorisé par la demande mondiale de matières premières dont le Canada est doté en abondance.

Dès la fin des années 1940 et le début des années 1950, le gouvernement fédéral entreprend de relancer le pays sur de nouvelles bases, les anciennes étant fondées sur le développement de l’axe Est/Ouest qui avait commencé par la construction du lien ferroviaire transcontinental. Et le « train » des temps modernes sera celui des programmes sociaux dont le gouvernement fédéral favorisera l’implantation dans toutes les provinces en les finançant par des transferts aux provinces et la péréquation.

L’exploitation des matières premières canadiennes a pu se faire grâce à d’importants investissements étrangers et l’importation d’une main d’œuvre essentiellement européenne qui s’est relativement bien intégrée à son nouvel environnement. L’explosion démographique qui s’ensuit (la population canadienne double presque entre 1960 et 2011, en passant de 18 millions à 35 millions d’habitants) va favoriser le développement d’un important secteur manufacturier qui profitera surtout à l’Ontario sous l’impulsion des politiques fédérales.

Malgré tout, les premiers signes de tension dans les comptes publics fédéraux se mettent à apparaître dès 1978 et connaissent une accélération brutale à partir de 1984. Au moment du référendum de 1995, l’OCDE s’inquiète ouvertement de l’ampleur des déficits fédéraux et prévient le Canada qu’il court tout droit à la faillite.

L’exploitation de cet argument pourtant bien timide de cet argument dans la campagne référendaire, Lucien Bouchard l’ayant jugé « trop indécent »5 pour en tirer un parti plus large, n’en fait pas moins grimper les fédéraux aux rideaux, et dès 1996, le ministre des Finances d’alors, Paul Martin, se lance dans une opération de redressement qui, si elle a produit des résultats spectaculaires à court terme, aura des résultats catastrophiques inattendus à long terme, car sont venus s’y greffer d’autres facteurs de déstabilisation.

En effet, ce redressement s’est accompagné à partir de 2002 (creux historique de 0,6179 USD atteint le 21 janvier 2002) d’une hausse correspondante de la valeur du dollar canadien qui atteindra un sommet un sommet de 1,0717 $ USD le 2 novembre 2007.

On imagine sans peine qu’une augmentation aussi importante dans un laps de temps aussi court a eu des effets dévastateurs sur le secteur manufacturier canadien, effets qui seront ensuite amplifiés par la crise de 2008, la chute brutale de consommation qui s’ensuit et l’effondrement de l’industrie automobile américaine qui se solde par la faillite de deux de ses trois géants.

Or le Canada est devenu un joueur important de cette industrie à la faveur du Pacte de l’automobile de 1965, aboli en 2001 pour être remplacé par les règles de l’Accord de libre-échange nord-américain, et c’est l’Ontario qui en a été la plus grande bénéficiaire par l’implantation de grandes usines d’assemblage et d’un imposant réseau de sous-traitance. L’Ontario est donc durement touchée, d’autant plus qu’en parallèle, elle n’échappe pas au mouvement de mondialisation qui entraîne une délocalisation des activités de production vers les pays aux coûts les plus bas.

Le Canada encaisse un choc très dur dont les effets sont en partis masqués par sa bonne santé financière qui lui permet d’adopter un important programme compensatoire d’investissement dans les infrastructures.

Mais le mal est fait, et l’Ontario, de vache à lait du système fédéral des transferts sociaux et de la péréquation qu’elle était encore jusqu’en 2008, est devenue un fardeau pour le Canada. Ce n’est pas moi qui le dis – j’aurais trop peur d’être taxé de menteur - c’est le réputé chroniqueur du Globe and Mail dans une billet daté du 25 mars 2010 intitulé « Ontario lifted Canada up. Now it'll drag it down », passé largement inaperçu et prestement escamoté pour cause d’excès de franchise et injure grave à l’image que le fédéralisme canadien se doit de maintenir en tout temps face aux ambitions nationales du Québec.

Je me permets de citer son texte en entier même s’il est anglais, car vous ne trouverez jamais un portrait plus véridique de la situation dans laquelle se trouve désormais le Canada :

[TRADUCTION] « Les Canadiens doivent comprendre qu’à partir de maintenant, la confédération ne sera jamais plus la même. En effet, l’Ontario, qui fut un temps la vache à lait du système, est devenu un poids plume financier.

L’époque où les surplus de l’Ontario pouvaient être redistribués ailleurs en toute impunité politique sans contrecoups économiques est révolue. Plutôt que de porter le Canada à bout de bras, l’Ontario va l’entraîner par le fond.

Quelle est la gravité de la situation ? Imaginez l’inimaginable : d’ici quatre ans, et peut-être même trois seulement, le fardeau de la dette de l’Ontario en proportion de son PIB sera équivalent à celui du Québec, pendant longtemps le plus lourd au Canada.

Au Québec, cependant, on cherche à réduire ce fardeau en raison du vieillissement de la population et de la décennie de faible croissance qui s’annonce. La question de savoir si le Québec prendra les mesures nécessaires pour réduire son endettement demeure ouverte, mais au moins, les Québécois les plus sérieux en débattent.

Mais en Ontario, le premier ministre Dalton McGuinty et la plupart des Ontariens semblent se soucier comme d’une guigne que leur province passe du statut d’homme fort à celui de mauviette.

Le budget ontarien déposé hier décrit la lugubre réalité : un déficit de 21,3 milliards $ cette année, suivi de six autres années d’encre rouge qui ajouteront un autre 100 milliards $ à la dette de la province. Et la situation risque d’être pire, et même bien pire, que le budget ne le suggère.

Pour commencer, les projections du ministre des Finances Dwight Duncan sur sept ans sont, par définition, totalement fantaisistes. Ni M. Duncan ni M. McGuinty n’ont de chance d’être encore là dans sept ans. Il est déjà suffisamment grave que le gouvernement Harper à Ottawa se soit mis à faire passer ses lectures à cinq ans dans le marc de café pour des prévisions solides. Mais voilà que l’Ontario surenchérit avec des prévisions encore moins crédibles sur sept ans.

Et puis, il y a la question des taux d’intérêt. Ils sont très bas maintenant, mais ils finiront par grimper. La seule question est de savoir quand et de combien. À chaque fois qu’ils grimperont d’un point, le déficit de l’Ontario grimpera d’un demi milliard.

Et puis il y a le plus gros monstre de tous, le déchaînement des coûts du système de santé. Depuis des années, les dépenses de santé croissent au rythme de 6 % en Ontario. Puisque ces dépenses comptent pour 46 % de toutes les dépenses de programme, l’absence totale de tout effort sérieux pour en limiter la progression est en train d’obérer le budget provincial au complet.

Il y a quelques années, le gouvernement McGuinty avait promis que la progression annuelle de ces dépenses serait maintenant ramenée à 3 %. Cette promesse était totalement fantaisiste. Et le budget d’hier la reprend en annonçant que le rythme annuel de progression des dépenses de santé passera de 6 à 3 % dans un délai de deux ans, et demeurera à ce niveau par la suite.

Les chances que cela se produise sont nulles. L’effet combiné de l’inflation et de la croissance démographique va à lui seul induire une progression de 3 % à laquelle vont se greffer les effets de la hausse des salaires et des prestations, de l’augmentation des dépenses de médicaments, du coût de nouvelles procédures, et de l’accroissement de la demande de service causée par le vieillissement de la population.

Ce qui nous amène à la dernière raison pour laquelle on ne peut accorder aucune foi au budget d’hier. Le gouvernement ne va pas rouvrir les conventions collectives du secteur public, mais il va chercher à geler les conditions de travail à leur expiration. Les syndicats du secteur public en Ontario sont bien organisés, ils ont des poches profondes, et ils ont une longue tradition de militantisme. Leur faire entendre raison ne sera pas une tâche facile, et encore moins de leur faire accepter un gel des salaires sur une longue période.

La situation budgétaire risque donc d’être infiniment pire que le gouvernement ne le prévoit.

Et il n’y a qu’à regarder le budget sous un angle différent pour comprendre que les services publics vont faire eau de toutes parts.

Les hôpitaux vont voir leur budget augmenter de 1,5 %, ce qui, dans un contexte où leurs coûts grimpent à un rythme beaucoup plus rapide, va se traduire par une réduction du nombre des interventions et une augmentation des temps d’attente.

Les universités se font dire de se préparer à recevoir 20 000 étudiants ontariens de plus, et le double des étudiants étrangers alors qu’on leur verse des sommes dérisoires pour de nouveaux édifices et rien du tout pour des nouveaux professeurs. Le résultat est prévisible, des classes surpeuplées au premier cycle dont les étudiants font déjà les frais au plan de la qualité de l’enseignement.

Le Grand Toronto, la zone urbaine la plus importante du pays, a un métro vétuste dans lequel aucune somme importante n’a été investie depuis des décennies. Le nouveau budget coupe 4 milliards $ qui devaient être investis dans un plan à long terme pour développer les transports rapides. Un réseau qui ne parvient pas à suivre la croissance de la population qu’il dessert est voué à la régression.

En d’autres termes, l’effondrement de l’Ontario va se poursuivre, sans éveiller la moindre sympathie ailleurs au pays. Les répercussions, elles, vont se faire ressentir à travers tout le pays. » [Traduction : Richard Le Hir] (V.O. en annexe)6

Songez-y ! En quelques lignes bien fournies en épithètes péjoratives généralement réservées au Québec, Simpson sonne le glas non seulement de l’Ontario, mais aussi du Canada.

Et son diagnostic aujourd’hui ne pourrait être que plus noir à la lumière des dernières données sur la performance de l’Ontario et du Canada au chapitre de l’emploi7, et de la stagnation qu’elles annoncent (au mieux) pour les mois et les années à venir.

L’effondrement de l’Ontario place le Canada dans la situation d’avoir à dépendre essentiellement, comme il y a cinquante ans, de ses matières premières pour la création de richesse et la redistribution. Cependant, les besoins sont infiniment plus grands aujourd’hui qu’ils ne l’étaient alors, ce qui le place dans une position très précaire.

Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du pétrole, tout ralentissement de la demande mondiale aurait immédiatement pour effet de plonger le Canada en situation de crise, dans la mesure où le seuil de rentabilité du pétrole qu’il tire en plus grande partie des sables bitumineux de l’Alberta est très élevé (aux alentours de 70 $ le baril).

Or tous les indicateurs mondiaux annoncent désormais un ralentissement important de l’activité économique, et il est donc tout à fait raisonnable de penser que le prix du pétrole va baisser au niveau du seuil canadien de rentabilité, et peut-être même en deçà, comme ce fut le cas lors de la récente crise financière. On se souviendra que le prix du pétrole avait atteint un creux de 33,87 $ le 21 décembre 2008.

3.2 Sur le plan politique

À ses problèmes économiques viennent s’en greffer d’autres, d’ordre politique. En effet, les Québécois sont portés à voir le ROC (le « Rest of Canada ») comme un monolithe.

C’est loin d’être le cas, et les tensions qui l’agitent sont très nombreuses, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer dans un article paru sur Vigile assez récemment8, et le Québec n’est pas le seul à se plaindre de la centralisation des pouvoirs à Ottawa, comme en témoigne le programme du parti du premier ministre Harper qui souhaite la transformation du Sénat en Chambre des provinces pour donner plus de poids aux provinces de l’Ouest dont il est issu.

Il faut également comprendre que les mesures que prend à l’heure actuel le gouvernement fédéral pour rompre avec l’héritage de Pierre-Elliott Trudeau constituent le signe du malaise profond que ses initiatives avaient provoqué ailleurs au pays. Ce malaise était masqué par le rôle qu’on lui savait gré d’avoir joué pour empêcher le Québec de se séparer, mais plus cette menace semblait s’atténuer, plus le malaise refaisait surface.

Il faut d’ailleurs voir dans les récentes décisions du gouvernement Harper de redonner un rôle central à la monarchie, ou de se dispenser de respecter les exigences du bilinguisme pour les nominations à des postes aussi importants que juge à la Cour suprême ou vérificateur général, un signal que le Canada n’est plus disposé à vivre avec ce malaise.

En fait, toute la démarche de Trudeau s’en trouve délégitimée, et son héritage apparaît désormais sous son jour véritable, soit une simple parenthèse égomaniaque dans l’histoire canadienne. En effet, si cet héritage ne survit pas, c’est qu’il n’avait aucune racine profonde, même pas, et surtout pas, au Québec.

Mais le retour du Canada au « statu quo ante » met en relief sa satisfaction avec son statut de colonie, un statut qu’il confirme en se rangeant résolument dans le camp des intérêts américano-britanniques. Et il le fait au moment même où ces intérêts sont non seulement plus menacés qu’ils ne l’ont jamais été, mais où leur domination dans le monde apparaît irrémédiablement compromise. Le Canada renonce à jouer tout rôle original ou indépendant dans le monde au moment même où il pourrait avoir le plus d’influence. Trudeau doit se retourner dans sa tombe.

Délibérément ou non, le Canada s’est donc positionné sur une trajectoire politique dans laquelle les Québécois vont de moins en moins se reconnaître et qui va même provoquer des étincelles de plus en plus dangereuses au fur et à mesure que la nouvelle donne va s’imposer, tant sur le plan économique que politique. Le fédéralisme rentable agonise, bienvenue à l’ère du fédéralisme instable.

En effet, comme toutes les autres grandes structures fédérales, le Canada est aujourd’hui menacé d’effondrement sous le poids d’engagements économiques intenables dans un environnement de croissance économique faible, nulle, voire même négative. En période de crise, et surtout lorsqu’il s’agit d’une crise grave qui peut se prolonger sur une période aussi longue que dix ans, les transferts deviennent inacceptables car ce n’est plus de la richesse qu’on redistribue, c’est de la misère.

Du coup, l’appareil de redistribution, qui est également l’appareil de contrôle, perd toute sa légitimité, apparaît dictatorial, et devient de plus en plus insupportable. La dynamique centrifuge devient irrésistible. C’est certainement le cas de l’Europe, et c’est aussi le cas des États-Unis, comme nous le découvrons un peu plus chaque jour dans nos médias qui ont tenté de nous cacher la vérité le plus longtemps possible, des fois que ça nous donnerait des idées.

4. À l’échelle du Québec

Mais peine perdue. Des idées, et surtout des idées d’indépendance, les Québécois en ont toujours eues. Et ce qui est en train de se passer dans le monde, au Canada et au Québec en ce moment ne va faire qu’aiguiser leur volonté de régler la question une bonne fois pour toutes.

En effet, en raison de sa taille, de sa géographie particulière, de l’abondance de ses ressources hydriques et des richesses de son sous-sol, de sa petite population, le Québec est une cible de choix pour tous les prédateurs intéressés à se les accaparer à leur bénéfice exclusif, en ne laissant à la population qu’une portion congrue.

Tout comme le crime organisé9, les prédateurs sont parvenus à s’infiltrer aux plus hauts niveaux de l’État et à y influencer les décisions en leur faveur. J’ai pour ma part largement documenté le cas de « l’empire » Desmarais dans une quinzaine de textes parus sur Vigile au cours des 20 derniers mois10.

Les manœuvres en cours pour déposséder les Québécois du contrôle de leurs richesses naturelles suffiraient à elles seules à justifier la nécessité pour le Québec de devenir indépendant car les prédateurs cherchent par tous les moyens à les faire passer sous le contrôle du gouvernement fédéral comme l’ont mis en lumière la tentative avortée d’Hydro-Québec d’acquérir du Gouvernement du Nouveau-Brunswick Énergie NB, son entreprise de production et de distribution d’électricité, et l’Accord de libre-échange Canada-Europe, taillé sur mesure pour servir les intérêts de Power et de l’empire Desmarais dans le Plan Nord, en transférant au gouvernement fédéral, du fait de la conclusion d’une entente internationale, le dernier mot sur les richesses naturelles du Québec (voir note 9).

On notera que la question de la propriété de nos richesses naturelles se trouve à rouvrir une question que les Québécois croyaient avoir réglée en 1962 en donnant au gouvernement libéral de Jean Lesage le mandat de nationaliser les entreprises d’hydro-électricité. Par la suite, les gouvernements qui s’étaient succédés au pouvoir avaient étendu la portée de cette politique à d’autres secteurs en mettant sur pied toute une kyrielle de sociétés d’État comme SOQUIP, SOQUEM, SOQUIA, REXFOR, etc. pour favoriser le développement économique du Québec.

Évoquant un contexte mondial de privatisation très suspect dans la mesure où ses promoteurs (entre autres l’Institut économique de Montréal financé par Paul Desmarais et présidé par sa bru, Hélène Desmarais) en sont ultimement les bénéficiaires, le gouvernement Charest a multiplié les initiatives de privatisation dans lesquelles il se départit d’actifs ou d’activités au bénéfice du « secteur privé », une expression très commode pour occulter le fait que les bénéficiaires sont essentiellement des « p’tits-zamis » du régime.

Ne serait-ce parce que les prédateurs tentent d’exploiter le régime fédéral pour mettre la main sur les richesses du Québec au détriment de l’intérêt collectif des Québécois, l’indépendance serait l’option à privilégier. Mais il y a aussi tout le reste, la liberté de nos choix et de nos priorités, l’autodétermination, l’affirmation de notre identité, le plein espace pour notre langue et notre culture, la préséance de nos intérêts, etc.

Nous nous retrouvons aujourd’hui dans la conjoncture la plus favorable que nous ayons jamais eue pour réaliser l’indépendance du Québec. Les Anglais ont une expression qui perd beaucoup de son impact à la traduction, c’est pourquoi je me permets de vous la livrer telle quelle : « It is ours to lose ».

Cela dit, il ne faut pas pour autant croire qu’elle va nous tomber « tout cuit dans l’bec ».

Il y a du travail à faire pour gagner la confiance des Québécois, pour leur démontrer qu’un Québec indépendant s’en tirerait certainement aussi bien qu’à l’intérieur du Canada, et peut-être même mieux.

Ainsi, on parle souvent dans les rangs indépendantistes du coût des chevauchements de pouvoir ou des dédoublements de responsabilité. Or ce n’est même pas là que se trouve le plus important potentiel d’économies pour un Québec indépendant. En effet, le gouvernement fédéral est engagé dans nombre d’activités qui n’ont aucun intérêt pour le Québec.

Il y a donc un travail systématique d’épluchage des comptes publics fédéraux à faire à partir des lois et règlements et des dépenses de programme qui s’ensuivent pour identifier toutes ces activités et les budgets qui y sont affectés. Ce ne sera pas la pêche miraculeuse, mais presque.

Et, pour éviter qu’un gouvernement favorable à l’indépendance ne se retrouve piégé comme en 1995, ce travail doit être fait par les promoteurs de l’indépendance eux-mêmes, tout comme les fédéralistes font eux-mêmes la promotion de leur option. En 1995, les études favorables à l’option fédérale émanaient du CD Howe Institute, du Conference Board, du Fraser Institute, du Conseil du patronat, etc., et ils n’avaient de comptes à rendre à personne, que ce soit sur le choix des auteurs des études, de la méthodologie utilisée, ou de leur coût, pour ne s’en tenir qu’aux questions les plus importantes.

Et l’idée n’est jamais venue à personne de demander que leur coût soit inclus dans les dépenses du camp du NON, alors que, en qualité de ministre chargé des études référendaires, j’ai dû passer le plus clair de mon temps à défendre tous nos choix, même les plus anodins, face à l’opposition et aux médias. Le processus choisi m’a même obligé à travailler avec des gens qui étaient hostiles à notre option et qui ne cherchaient qu’à la faire déraper, et à publier, transparence dans l’utilisation des fonds publics obligeant, des études qui n’y étaient pas favorables.

Pensez-vous un seul instant que le camp adverse aurait publié une étude qui lui était défavorable ? On n’en aurait même jamais connu l’existence. Au gouvernement, on est constamment à la merci d’une enveloppe brune envoyée à un journaliste.

Signe également que les temps sont mûrs, une évolution très nette des mentalités dans la région de Québec. Certains croient que c’est pour le pire. Ils ont tort. Québec se sent désormais mûre pour jouer des grands rôles, et même si elle ne pense pas à celui de capital d’un État indépendant en ce moment, elle serait rapidement appâtée par les bénéfices qui vont de pair avec un tel statut. Il n’y a qu’à regarder Ottawa, et Québec a des atouts auxquels Ottawa ne peut que rêver.

En 1995, Québec était encore une ville très provinciale qui pensait petit et à laquelle toute audace faisait peur. Le gouvernement Parizeau n’a pas du tout compris la partie qui allait s’y jouer, et il l’a perdue. Depuis lors, Québec s’est bâtie une confiance. Qu’on soit d’accord ou non avec les projets sur lesquels celle-ci s’est bâtie, il faut prendre acte du résultat et miser dessus pour réaliser le nôtre.

Les exemples que je viens de donner me servent à illustrer mon dernier point. Trop de précipitation gâte la sauce. Aujourd’hui, après tant d’années où l’indépendance a été remisée au placard, il ne faudrait pas faire l’erreur de croire qu’il ne suffirait que de quelques mois pour relancer la machine et atteindre notre but, tout résolus que nous soyons. En fait, cette résolution ne serait que le terreau d’efforts qui prendraient de trois à cinq ans avant de porter fruit.

Le temps pour un gouvernement sympathique à la cause de l’indépendance de reprendre en mains le contrôle de l’État, de s’assurer que les intérêts collectifs reprennent le dessus sur les intérêts particuliers, de purger le système des éléments infiltrés, et d’assainir ses mœurs et pratiques.

De trois à cinq ans, ça peut paraître long, mais en termes historiques, c’est demain.

Conclusion

En terminant, j’aimerais vous laisser sur cette réflexion tirée de l’entrevue du professeur Immanuel Wallerstein, citée plus haut :

« Nous sommes dans une période, assez rare, où la crise et l'impuissance des puissants laissent une place au libre arbitre de chacun : il existe aujourd'hui un laps de temps pendant lequel nous avons chacun la possibilité d'influencer l’avenir par notre action individuelle. » (Voir note 4)

Si le présent est chaotique et l'avenir indéterminé, il n’en tient qu’à nous de mettre de l’avant notre projet pour le substituer au chaos. L’avenir sera ce que nous en ferons. Pour l’heure, le Québec se retrouve confronté à la fois à une occasion unique et à l'obligation impérieuse d'accomplir son destin.

ANNEXE :

« Canadians should realize that, from now on, Confederation will be different because Ontario, once the country's cash cow, has become a fiscal featherweight.

The days when Ontario's surplus wealth could be redistributed elsewhere with political impunity and economic ease are over. Rather than lifting Canada up, Ontario will be dragging it down.

How bad are the province's prospects? Consider the unthinkable: Within four years, and possibly three, Ontario's debt load as a share of provincial income will be that of Quebec's, for a long time the highest in the country.

In Quebec, though, people are contemplating how to reduce their debt load, given the aging population and a decade of slow economic growth ahead. Whether Quebec will take the steps required to reduce that debt load remains unclear, but at least serious Quebeckers are talking about their predicament.

In Ontario, however, Premier Dalton McGuinty and most Ontarians don't seem to give a hoot their province is going from strongman to weakling.

Yesterday's Ontario budget laid out the doleful and dubious math – a $21.3-billion deficit this year, followed by six more years of red ink that will add more than $100-billion to the province's debt. The fiscal situation is likely to be worse, perhaps much worse, than the budget suggested.

For starters, Finance Minister Dwight Duncan's seven-year forecast was, by definition, nonsense. Neither Mr. Duncan nor Mr. McGuinty are likely to be around in seven years. It's bad enough the Harper government in Ottawa has taken to five-year guesses masquerading as precise budgetary forecasts. But now Ontario is offering even less credible seven-year ones.

Then there's the matter of interest rates. Rates are rock-bottom now, but they're going up – the only question being when and by how much. Each point they rise will add about half a billion dollars to the yearly Ontario deficit.
Then there's the biggest whopper of all: restraining health-care costs. For years now, health costs have been rising at 6 per cent in Ontario. Since health care consumes 46 per cent of all program spending, the remorselessness of this annual increase distends the entire provincial budget.

A few budgets ago, the McGuinty government promised that, by now, the yearly increase would have dropped to 3 per cent. The promise was a fantasy then. Yesterday's budget repeated the fantasy that, within two years, health-care spending increases will drop from 6 per cent to 3 per cent, and remain at that level thereafter.

There's not a chance of this happening. Inflation and population growth alone will produce increases of 3 per cent – before wages and benefits rise, the costs of new drugs and procedures appear, and the fiscal pressures of an aging population are factored into the equation.

Which leads to the final reason why yesterday's budget math should not be believed. The government will not open existing collective bargaining agreements, but it wants to freeze public-sector salaries when the agreements expire. Public-sector unions in Ontario are well organized, with deep pockets and a tradition of militancy. Getting them to be reasonable, let alone to accept long-term wage freezes, will be difficult, to say the least.

So much for the fiscal situation that will almost certainly be worse than the government suggests.

Look at the budget from another perspective and you can see why Ontario's public services will be cracking.

Hospitals will be given a 1.5-per-cent increase, which, given that their costs are rising much faster than that, will mean fewer operations and longer wait times.

Universities are being told to accept 20,000 more Ontario students, plus a doubling of foreign students, with paltry sums for new buildings and none at all for new faculty. The result will be even bigger class sizes for undergraduates, too many of whom are already getting a raw teaching deal.

Metropolitan Toronto, the country's biggest urban area, has a subway system that looks old and hasn't had a major infusion of cash for decades. Now, the budget removes $4-billion from its long-term plan to expand rapid transit. A system that hasn't kept pace with population growth isn't going to catch up.

The crumbling of Ontario, in other words, will continue. No sympathy will be found outside the province for its plight, but the repercussions will be felt across the country. »


NOTES

1. Wikipedia, population mondiale, http://fr.wikipedia.org/wiki/Population_mondiale

2. Introduction à la Macrodynamique, P. Combes Motel, CERDI 2009, Figure 1 p. 4

http://www.cerdi.org/uploads/sfCmsBlog/html/29/macrodynamique%200910%20intro.pdf.

Pour explication de la mesure en dollars « USD Geary Khamis 1990 », voir Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Dollar_Geary-Khamis

3. Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Immanuel_Wallerstein

4. http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/11/le-capitalisme-touche-a-sa-fin_1105714_1101386.html

5. Aux dires de Jacques Parizeau à qui j’avais suggérer de l’utiliser de manière beaucoup plus agressive alors que j’étais ministre délégué à la Restructuration.

6. http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/ontario-lifted-canada-up-now-itll-drag-it-down/article1512510/

7. http://www.statcan.gc.ca/subjects-sujets/labour-travail/lfs-epa/lfs-epa-fra.htm

8. http://www.vigile.net/La-pensee-magique-n-est-pas

9. Rapport Duchesneau http://www.google.ca/#q=rapport+Duchesneau+infiltration+du+crime+organis%C3%A9+aux+plus+hauts+niveaux&hl=fr&safe=off&prmd=imvns&ei=4na1TrGrHuLm2gWqsuHMDQ&sqi=2&start=10&sa=N&bav=on.2,or.r_gc.r_pw.,cf.osb&fp=406cd94b42dcbbcd&biw=1680&bih=935

10. Les 10 premiers sont identifiés avec leur référence dans le texte suivant http://www.vigile.net/Le-Plan-Nord-et-l-Accord-de-libre. Les quatre derniers, tous écrits en octobre et en novembre 2011, se retrouvent à l’adresse suivante coiffés du surtitre « Le modus operandi des spoliateurs » (2) à (5)

http://www.vigile.net/_Le-Hir-Richard,2138_



Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé