L'avortement en question

Débat au Parlement, censure dans l'Église ?

Avortement (C-484; Q-34)


S'estimant victime de «toutes sortes d'interprétations» dans la presse du pays, le cardinal Marc Ouellet a tenu à «clarifier» le sens de son intervention sur l'avortement. «Je n'ai dit nulle part que je condamnais la femme qui avait eu recours à l'avortement», a-t-il déclaré à Québec en présence de Mgr Terrence Prendergast, l'archevêque d'Ottawa.
Il s'agit plutôt, faut-il comprendre, d'une autre approche de la question. L'archevêque de Québec veut «recentrer le débat sur l'essentiel», c'est-à-dire sur «l'enfant à naître» et sur la femme «contrainte» à l'avortement. Le débat est «ouvert», prétend-il, mais comme les autorités politiques refusent de «rouvrir la législation», elles devraient au moins aider ces «femmes en détresse».
Plusieurs filles choisiraient de «garder leur enfant», soutient Mgr Ouellet, si seulement un médecin leur expliquait les «conséquences psychologiques» d'un avortement. Il trouve scandaleux que ce soit «souvent l'homme, la famille, la société» qui cherche l'avortement. À son avis, le débat n'est plus fermé maintenant à Ottawa.
Le contexte y serait même favorable, comme en témoigne, dit-il, «cette discussion sur les programmes d'aide dans le tiers-monde». À la conférence de presse, Mgr Prendergast a même ajouté: «Un important caucus pro-vie de notre gouvernement fédéral travaille dans l'ombre pour garder la vie humaine en tête des programmes gouvernementaux».
Pourtant, ces dignitaires paraissent favoriser un changement de tactique, non un compromis sur l'avortement. Devenus apôtres de la dignité des femmes, ils ne remettent pas en question le Droit canon du Vatican qui fait d'un tel «péché mortel» un motif d'exclusion de l'Église. Ils s'en tiennent encore à l'idée que «dès sa conception» tout enfant mérite la protection de la loi.
En somme, pour le moment, l'avortement devrait plutôt être une exception, non une règle relevant de la liberté d'une femme. On présume qu'un bon nombre de femmes mèneraient leur grossesse involontaire à terme, si ce n'était d'une pression sociale défavorable à l'enfant ou d'un manque de services propre à décourager une femme enceinte. La position catholique officielle se démarque cependant d'une manière pour le moins paradoxale. Elle récuse, en effet, la contraception, même si ce moyen de régulation des naissances prévient aussi les grossesses non désirées, et donc nombre d'avortements.
Par contre, parmi les gens favorables au «choix de la femme», plusieurs estiment que l'accès libre à l'interruption de grossesse entraîne un relâchement social et un surcroît indésirable d'avortements. Pour le cardinal Ouellet, 100 000 avortements par an au Canada et 30 000 au Québec, c'est insoutenable. Il y voit la preuve d'un manque de solidarité avec les démunis et une abdication des valeurs du patrimoine national.
Phénomène en régression
La «jeune fille de 16 ans», qu'il donne en exemple, aura sans doute frappé l'imagination d'un public trop souvent éloigné de ce dilemme. Pourtant, loin de s'aggraver, le phénomène des grossesses et des avortements chez les adolescentes aurait commencé de régresser, du moins selon les chercheurs Alexander
McKay et Michael Barrett.
D'après leur conclusion — à paraître dans The Canadian Journal of Human Sexuality —, ces cas ont baissé de plus du tiers au cours des dix années étudiées (1996-2006). Le taux des naissances chez les adolescentes a baissé de 38 % durant cette période, et le taux des avortements, de 35,7 %. Trois facteurs auraient contribué à cet important déclin.
Ces jeunes filles auraient eu un meilleur accès aux contraceptifs. Elles auraient aussi bénéficié d'une éducation sexuelle de qualité supérieure. Enfin, l'évolution des normes sociales serait en train de changer. Les adolescentes ne seraient pas devenues, pour autant, moins ou plus actives sexuellement. (Néanmoins, faut-il noter, cette amélioration aurait été plus marquante en Ontario, soit 51,8 %, qu'au Québec, 10 %.)
L'évolution tiendrait au fait qu'un plus grand nombre d'entre elles veulent devenir autonomes et, comme les jeunes femmes qui les précèdent, elles repoussent l'arrivée d'un premier enfant. Bref, la nouvelle génération serait probablement plus influencée par le comportement des femmes qui lui servent de modèle que par le discours de groupes religieux.
Néanmoins, les groupes pro-vie n'ont pas renoncé à obtenir une loi sur l'avortement. Mgr Ouellet s'étonne lui aussi que le Canada fasse bande à part à cet égard. Ce cardinal ne manque pas de détermination. Mais, diront sans doute certains, il pourrait obtenir plus facilement le «débat» qu'il réclame au Parlement et dans la société si, dans l'épiscopat et dans l'Église catholique, une telle question pouvait un jour être librement abordée.
Une autre vision
Entre-temps, il est vrai, les militants de tendance «pro-vie» se félicitent qu'Ottawa ne veuille plus financer l'avortement dans le tiers-monde. Leur conception des choses n'a-t-elle pas, pourtant, des effets dévastateurs au sein des populations les plus pauvres de la planète? D'autres voix non moins catholiques aimeraient sans doute se faire entendre.
Ainsi, Joseph Bouchaud a été supérieur des Fils de la charité. Il a passé des années dans les bidonvilles de Mexico, de Brazzaville, de Manille et aussi de Chicago. Rendu à 86 ans, il livrait comme un «devoir de conscience» les conclusions qu'il tirait de son expérience, en octobre passé, pour les lecteurs du bulletin des Forums André-Naud.
Des millions d'enfants sont victimes de l'impossibilité où se trouvent leurs parents de les faire vivre. Leur vie serait-elle moins sacrée, demande le vieux prêtre, que celle des «enfants possibles» que d'autres parents, plus «cultivés», peuvent librement choisir de faire naître?
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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