Amour, haine et propagande...

Avortement (C-484; Q-34)


Il était une fois une classe de philosophie où une discussion a conduit au dialogue sur la question de la légitimité de l'avortement. Question difficile dont l'obstacle majeur consiste à surmonter l'idée de ne pas avoir à y réfléchir. Pourquoi? Tout simplement parce que cela n'est pas nécessaire étant donné l'évidence de la réponse. «Ben voyons!», si une femme est enceinte à la suite d'un viol, comment ne pas permettre à celle-ci de recourir à l'avortement? N'est-ce pas la seule réponse sensée à l'injustice effroyable dont elle est victime?
Dans cette classe de philosophie se trouvait une jeune femme discrète et silencieuse. Elle écoutait avec attention. Elle avait peut-être trente ans. Au moment où on aurait donné congé à la réflexion, d'un geste timide, elle leva la main: «Puis-je avoir la permission d'amener Samuel en classe la semaine prochaine?» Le professeur, quelque peu interloqué, ne fit pas d'objection et cela permit à cette maman de raconter son histoire, une histoire bien singulière.
Samuel était son fils, elle l'aimait et il faisait toute sa joie. Elle était très fière de lui et, vous devinez la suite? Cet enfant était le fait d'un viol. Acte odieux s'il en est, dont cette femme évoquait le souvenir avec peine. Mais voilà, elle ne pouvait contenir son émotion devant la reconnaissance éprouvée à l'égard de sa décision de garder l'enfant. Elle disait: «Quand je vois Samuel, je ne vois jamais le violeur. Je vois un adolescent, qui sera bientôt un homme à part entière et qui m'a redonné le goût de vivre.» Étrange paradoxe... C'est celui d'une femme méprisée et brutalement blessée par la haine, dont l'amour prodigué au fils de son agresseur devient le moyen de panser ses blessures et de retrouver la joie de vivre.
Tout ça est de la propagande, dites-vous? C'est une chanson interprétée sur un air de pro-vie? Suspendez votre jugement. Ici, il ne s'agit pas de propagande. L'histoire de la maman de Samuel est un contre-exemple. Il indique la précaution avec laquelle on doit se garder des jugements intempestifs. Dire que le cardinal Ouellet a des propos haineux à l'égard des femmes et le dire en lui souhaitant de mourir de mort lente et souffrante me fait un peu peur.
J'y vois une menace de dérive dans le sain exercice de la démocratie. Il ne faut pas confondre la légalité de l'avortement avec la légitimité de l'acte. Dans une démocratie comme la nôtre, il est périlleux d'envisager le contrat social comme une chose figée et intouchable. Certaines lois sont désuètes, d'autres obsolètes et pas toujours par le simple fait qu'elles sont vieilles.
Quant à savoir si l'opinion de Mgr Ouellet est passéiste, dépassée, rétrograde, poussiéreuse et méprisante à l'égard des femmes... Je nous suggère, comme on le dit si bien chez nous, de nous garder une petite gêne. En éthique, la question de l'avortement n'est pas réglée, surtout en ce qui a trait au statut de l'embryon. Les propos du cardinal envisageaient les choses d'un point de vue moral et je ne veux pas entendre que, de ce point de vue, les débats sont clos. Même si nous sommes en 2010, au XXIe siècle, dans une société ouverte et évoluée...
Exagération
On peut dire à peu près n'importe quoi au nom de la liberté de parole, mais je ne crois pas qu'on puisse le faire n'importe comment. L'art de la propagande consiste à exacerber amour et haine, à polariser les affects en créant héros et monstres surdimensionnés. À lire les journaux et à entendre certaines déclarations, Mgr Ouellet a présentement l'allure d'un monstre tragique. Cela est nettement exagéré et c'est très inquiétant. Pourquoi ne pas s'être contenté de dire: «Je ne suis pas d'accord avec les idées de cet homme ou je ne les comprends pas?»
Dans nos démocraties, la séparation des pouvoirs doit être contrebalancée par la libre expression des discours dans le but d'éviter la tyrannie des idéologies. Je pense comme Paul Auster. «La démocratie ne va pas de soi et il faut se battre pour elle tous les jours, sinon nous risquons de la perdre.» Mgr Ouellet paie les frais de l'emballement et de la surenchère médiatiques. Au-delà du droit à l'information, légitime et démocratique, je constate que, de raccourcis en généralisations, on déforme le portrait de l'Église, de son rôle et de sa pertinence. De plus, la preuve n'est pas faite que Mgr Ouellet fait preuve de haine, il est sans doute plus charitable qu'il n'y paraît.
Pour échapper à la propagande, il faut désamorcer les tentatives manichéennes de consacrer des héros et de fabriquer des monstres. Sur le plan des idées, il faut accepter de réfléchir et de discuter. La chose est plus difficile qu'il n'y paraît. C'est sans doute ce que pense la maman de Samuel...
En tout cas, sur le plan de la remise en question de nos certitudes et de nos opinions reçues, il semble que Mgr Ouellet ne soit pas tant une cause de sévices, mais plus l'occasion de services rendus à la chose publique québécoise et canadienne. Qui sait?
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Louis-André Richard - Professeur de philosophie au cégep de Sainte-Foy et chargé de cours à la Faculté de philosophie de l'Université Laval


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