L'Assemblée nationale du Québec ne souhaite pas rouvrir le débat. Le premier ministre Stephen Harper affirme qu'il n'a aucune intention de le faire. Mais le cardinal Marc Ouellet nourrit la discussion sur l'avortement, qu'il souhaite désormais centrer sur le soutien offert aux femmes. Saisissons la balle au bond.
Puisqu'il est question d'elles, parlons des femmes. Puisque l'archevêque de Québec, Marc Ouellet, soutient que médias et société ont noyé son propos sur la détresse des femmes sous une malheureuse citation associant viol et avortement, causons femmes. Si le débat est ouvert, qu'on y expose l'ensemble des données. Si le souci est véritablement de soutenir ces femmes en difficulté, dont la santé psychologique et physique chancelle, examinons la question sous divers angles.
- Le gouvernement conservateur a tendu aux groupes pro-vie la perche idéale pour relancer le débat en refusant de financer l'avortement à travers l'initiative sur la santé maternelle et infantile. On oublie toutefois qu'en excluant l'interruption volontaire de grossesse d'un ensemble de services visant à améliorer la santé de la reproduction — dans des pays où les taux de mortalité infantile et maternelle sont très élevés —, on abandonne plusieurs milliers de femmes qui se tournent vers des avortements pratiqués dangereusement. Planification des naissances, contraception et avortement sécuritaire constituent un ensemble indissociable.
- On voudrait présumer que le taux d'avortements résulte de la banalisation de cette expérience douloureuse, vécue par quelque 30 000 femmes au Québec chaque année. Les statistiques sont certes préoccupantes, et ce serait insouciance que de ne pas le reconnaître. On peut toutefois formuler cette interrogation sans remettre en question le droit à l'avortement. Il ne correspond en rien à une expérience banale.
- Méfions-nous des comparaisons internationales, ou alors comparons avec des mesures équivalentes. La Belgique qui, avec les Pays-Bas, possède l'un des plus bas taux d'avortement au monde, a mis en place une dynamique politique de santé sexuelle qui inclut une éducation à la sexualité très précoce mettant l'accent sur la contraception et la prévention. L'école et la famille sont au coeur de cette politique. L'avortement y est gratuit et très accessible, mais néanmoins beaucoup moins nécessaire puisque les grossesses non désirées sont moins fréquentes. Cette politique éclaire un immense pan des statistiques.
- Les groupes pro-vie reconnaissent la difficulté du choix que doit faire une femme se retrouvant enceinte contre sa volonté. Ils militent pour une augmentation du soutien offert et une meilleure circulation de l'information qui leur est destinée. On ne peut s'opposer à cette intention dans la mesure où véritablement toute l'information est proposée à des femmes vulnérables qui s'apprêtent à faire un choix difficile. La Fédération canadienne de santé sexuelle met en garde contre certains centres de soutien qui n'appuient pas le droit de la femme au choix en matière de reproduction, ce qui devrait inclure l'option de l'avortement. Le cardinal Marc Ouellet s'inquiète des pressions familiales et sociales subies par des femmes «contraintes» à l'avortement. Il faut s'inquiéter tout autant des pressions contraires qui briment aussi le libre-choix. L'Église catholique, dont l'ouverture aux femmes est autre sujet de débat, possède une forte tradition de soutien bâti sur la culpabilité.
- Dans une étude publiée au printemps 2008, le Conseil du statut de la femme s'inquiétait de l'accessibilité aux services d'interruption volontaire de grossesse ainsi que de leur financement. Il notait en outre la fragilité de certains acquis, chèrement disputés par les femmes. Il y a une vingtaine d'années à peine, elles devaient, si tel était leur choix, se réfugier dans l'illégalité pour mettre un terme à une grossesse non désirée. Le premier ministre Stephen Harper a affirmé qu'il ne voulait pas rouvrir cette brèche, mais derrière lui, ses troupes affichent clairement le désir de rediscuter ce contrat social.
C'est le cardinal Marc Ouellet qui le rappelait mercredi, avec justesse: la responsabilité ultime de la décision revient à la femme qui, dans une situation complexe et difficile, fait face à une prise de décision cruciale. C'est d'abord et avant tout de cela qu'il est question dans cet apparent débat. D'un choix, qu'on espère le plus éclairé possible, mais exercé par la femme.
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machouinard@ledevoir.com
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