Lettre ouverte aux chefs de partis fédéraux

Contre toute criminalisation de l'avortement

Avortement (C-484; Q-34)



Le Bureau du Collège des médecins du Québec, à sa réunion ordinaire du 30 mai dernier, a pris la décision de s'adresser aux chefs de tous les grands partis fédéraux et à tous les députés de la Chambre des communes pour exprimer ses préoccupations quant aux conséquences de l'adoption de quatre projets de loi actuellement à l'étude au Parlement canadien. Il s'agit des projets de loi C-338, C-484, C-537 et C-543 proposant des modifications au Code criminel.
L'adoption sans modification de l'un ou l'autre de ces projets de loi pourrait avoir pour effet d'assurer des bases juridiques à une criminalisation de l'avortement et faire en sorte que toute interruption volontaire d'une grossesse, même pour des indications médicales, expose les médecins qui la pratiquent et les femmes qui la demandent à des poursuites criminelles. Pour chacun de ces projets de loi, nous précisons quels éléments sont à l'origine de nos préoccupations.
Avortement criminalisé
Le projet de loi C-338, Loi modifiant le Code criminel (procurer un avortement après vingt semaines de gestation), a été présenté de nouveau le 16 octobre 2007 après avoir été déposé le 21 juin 2006, et il est toujours en première lecture.
Ce projet de loi criminalise l'avortement après 20 semaines de gestation, sous réserve de quelques exceptions. L'avortement y est défini comme «la mort d'un enfant qui est survenue avant qu'il soit complètement sorti du sein de la mère».
Une telle définition pourrait avoir pour effet de donner un statut juridique au foetus après la 20e semaine ou même au foetus, tout simplement considéré comme «un enfant». Les seules exceptions prévues sont des conditions pathologiques physiques graves, chez la femme seulement. Il n'y a pas d'exception pour les problèmes de santé mentale de la mère. Le projet de loi ne prévoit pas non plus d'exception pour des anomalies sévères chez le foetus, généralement reconnues par la profession médicale, y compris le Collège des médecins du Québec, comme des indications médicales pouvant parfois justifier une interruption volontaire de grossesse tardive.
Statut du foetus
Le projet de loi C-484, Loi modifiant le Code criminel (blesser ou causer la mort d'un enfant non encore né au cours de la perpétration d'une infraction), a été déposé le 21 novembre 2007, adopté en deuxième lecture et renvoyé au Comité de la justice et des droits de la personne le 5 mars 2008.
Ce projet de loi érige en infraction criminelle distincte le fait de blesser, de tenter de causer ou de causer la mort d'un enfant non encore né, en perpétrant une infraction à l'égard de la mère.
Comme le précédent, ce projet de loi réintroduit la question du statut juridique du foetus en précisant que «la personne qui cause directement ou indirectement la mort d'un enfant, pendant sa naissance ou à toute étape de son développement intra-utérin, en perpétrant ou en tentant de perpétrer une infraction à l'égard de la mère, qu'elle sait ou devrait savoir être enceinte, est coupable d'un acte criminel».
C'est ce projet de loi qui, au Québec, a récemment fait l'objet d'une dénonciation publique par plusieurs intervenants, notamment notre collègue, le docteur Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Ce projet a été critiqué non seulement à cause des conséquences liées au fait de donner un statut juridique au foetus, mais aussi quant à la manière de faire. Comme ce projet de loi vise à protéger la femme enceinte, il est assez difficile de s'y opposer.
Vie humaine
Le projet de loi C-537, Loi modifiant le Code criminel (protection du droit de conscience des professionnels de la santé), a été soumis en première lecture le 16 avril 2008.
Ce projet veut protéger le droit des professionnels de la santé et d'autres personnes de refuser, sans crainte de représailles ou d'autres mesures coercitives et discriminatoires, de participer à des actes médicaux qui sont contraires aux préceptes de leur religion ou à leur croyance au caractère inviolable de la vie humaine.
Ce projet de loi introduit explicitement une définition de la vie humaine qui «s'entend de toutes les étapes du développement de l'organisme humain depuis la fécondation ou la création».
La finalité nous semble donc la même que dans les deux projets de loi précédents: donner un statut juridique au foetus. Le prétexte utilisé ici est le respect du droit à l'objection de conscience.
Droit prévu
Or, ce droit est déjà prévu au Canada, tant dans les codes de déontologie des professions de la santé que dans les chartes canadienne et québécoise. Le projet étend toutefois sa portée, en criminalisant les associations professionnelles, les employeurs et les éducateurs du domaine de la santé qui manifesteraient le moindre questionnement face à ce qui peut toujours être présenté comme une objection de conscience.
Le projet de loi C-543, Loi modifiant le Code criminel (mauvais traitement d'une femme enceinte), a été déposé le 14 mai 2008. Il modifie le Code criminel afin que dans la détermination de la peine d'une infraction perpétrée par un délinquant, la grossesse constitue une circonstance aggravante.
Criminaliser l'avortement
Sans vouloir prêter d'intention au gouvernement, puisqu'il s'agit de projets de loi privés, il faudrait être naïf pour ne pas voir dans le dépôt successif de ces projets de loi un objectif et une stratégie. L'objectif semble être la criminalisation de l'avortement, l'outil étant de donner un statut juridique au foetus. La stratégie serait double: donner ce statut juridique au foetus dans des enrobages législatifs qui suscitent spontanément l'adhésion et multiplier les projets de loi pour qu'au moins l'un d'entre eux soit adopté. La finalité ultime étant de conclure l'opération sans véritable débat public.
Fidèle à sa mission, la protection du public et le maintien de la qualité de la médecine au Québec, le Bureau du Collège des médecins du Québec est d'avis qu'il se devait d'inviter tous les députés de la Chambre des communes à voter contre ces projets de loi, ne serait-ce que parce qu'aucun d'eux ne semble répondre à un véritable besoin.
L'adoption d'une de ces lois risquerait au contraire de mettre en péril la santé de beaucoup de femmes et la qualité de la médecine actuellement offerte, en plus d'exposer les médecins pratiquant des interruptions volontaires de grossesse à être jugés comme des criminels, ce qu'ils ne sont pas. Si la question de l'avortement doit être débattue de nouveau, il faudrait au moins que le débat soit franc et ouvert.
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Yves Lamontagne, Médecin et président du Collège des médecins du Québec


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