Pour une charte des vertus en éducation...

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L’école doit respecter les exigences convenant à l'âge des élèves et des étudiants

À l'heure des grandes discussions sur la Charte des valeurs, des discussions sur la valeur de la vie à l'heure de la mort et des choix politiques signifiants en éducation, je vous propose quelques pistes de réflexion concernant les valeurs ou plutôt les vertus en éducation.
Le pédagogue latin Quintilien pensait que l'éducation commence avec la vie et que les premières impressions sont décisives. Il suggérait« que le maître n'exige pas d'un enfant ce que seul un adolescent peut donner, ni d'un adolescent ce qu'on attend d'un adulte. Qu'il lui dise quand il a bien appris: tu es déjà quelqu'un! Et qu'il ajoute: le meilleur de toi est à venir! Ainsi il l'encourage, le stimule et ouvre devant lui les voies de l'espérance ».
Il me semble qu'un des grands défis de l'école d'aujourd'hui consiste précisément à respecter les exigences convenant à l'âge des élèves et des étudiants.
Je suggère de canaliser l'imagination et la créativité par la fréquentation de lectures inspirantes, par le pastiche de ces œuvres. Je me souviens d'un exercice allant dans ce sens. Le maître demande à ses élèves de formuler une phrase simple à partir de quelques mots, quatre ou cinq, les mêmes pour tous. Après un temps de travail, le maître collige quelques phrases au tableau. On les compare. Certaines formulations sont étonnantes, d'autres complexes, d'autres encore énoncent des idées très différentes... Mais l'exercice prend toute sa valeur lorsque le maître finit par écrire au tableau une phrase contenant ces mêmes mots. Sa phrase provoque alors stupeur et admiration. Elle est étonnamment simple, belle et riche. Elle est de Blaise Pascal, de Paul Valéry ou de Victor Hugo.
Nous devons être attentifs à ne pas exiger des jeunes une sorte d'«autonomie précoce». Le temps de l'école primaire est le temps de l'apprentissage par la mémoire et l'imitation.
Si nous ne cultivons pas ou si nous cultivons mal ces valeurs éducatives des premiers âges, nous voyons les étudiants parvenir aux études supérieures mal préparés à affronter les difficultés proportionnées à leur âge. Ils arrivent au Cégep et à l'Université «l'âme désarmée».
D'un autre point de vue, Quintilien demande: «Que le maître ne soit pas trop sévère dans ses corrections; sinon les timides se découragent, ont peur de tout et n'entreprennent rien; les plus vifs se fâchent et opposent une résistance tacite. Qu'il soit paternel, qu'il n'ait pas de vices et n'en tolère pas. Austère, mais non rigide; bienveillant, mais non sans énergie; qu'il ne se fasse pas détester par sa rigueur ni mépriser par sa faiblesse; qu'il parle souvent de ce qui est bon et honnête».
Corrections et vertus! Peut-être tout l'art d'enseigner se résume à cela. Corriger des épreuves, et là aussi, vingt fois sur le métier remettre l'ouvrage; corriger des copies pour soutenir les efforts du timide et contenir l'impulsivité des entreprenants; corriger avec constance et patience, mais surtout avec respect, afin de polir le caractère et de disposer l'esprit à suspendre son jugement. Ce travail est en soi un exemple de vertu, une forme de bonté et d'honnêteté. C'est aussi une expression du courage, celui de supporter l'ingratitude, celui d'être exposé à la raillerie. Mais là comme ailleurs, le bénéfice dépasse la peine. Les bons élèves en témoignent rapidement, les moins bons le réalisent plus tard, mais nul n'y échappe.
Il est aussi question d'être paternel et d'exercer un modèle particulier d'autorité. C'est un autre sujet tabou aujourd'hui, l'autorité. C'est également l'autre forme de suppression des hiérarchies, celle concernant le rapport entre les professeurs et leurs élèves. Notre système d'éducation est en crise d'autorité. En 1960, Jean-Paul Desbiens titrait une de ces lettres au Devoir : «De quoi ont-ils peur, et pourquoi?» La réponse était simple: «Nous avons peur de l'autorité ... nous vivons dans un climat magique où il s'agit, sous peine de mort, au moins, de n'enfreindre aucun tabou, de respecter toutes les formules, tous les formalismes. La peur diffuse dans laquelle nous vivons stérilise toutes nos démarches.»
Cette peur d'alors a été remplacée par une sorte d'annulation du rapport autoritaire. Plus ou moins consciemment, on a voulu enrayer la peur par la suppression du rapport lui-même. Pour des raisons assez semblables à celles évoquées précédemment au sujet de l'émulation, le professeur d'aujourd'hui n'est plus présenté comme un maître. Il est plutôt vu comme un guide touristique accompagnant le voyageur qui parcourt le grand livre du monde. Cette image est séduisante et elle suggère des qualités importantes de l'acte d'apprendre. On y voit facilement le plaisir de la découverte et celui du dépaysement.
Mais je m'interroge encore. Si, dès leur plus jeune âge, les élèves sont des touristes ou des clients, comment parviendront-ils à avoir un jugement solide? Comment pourront-ils, sans être soumis à aucune forme d'autorité, s'affranchir de l'autorité? Croyant être libres de tout, ne risquent-ils pas d'être serfs d'eux-mêmes, de leurs caprices, de l'urgence irrépressible d'assouvir leurs moindres désirs? Pour être libre penseur, il faut avoir appris à penser et cela demande une soumission volontaire à bien des règles de discipline. Pour cela, il faut accepter de faire de son voyage touristique, un voyage d'études. Il faut consentir à voir le guide comme un maître. En parcourant le livre du monde, le maître apportera d'autres livres qu'il aura le soin de nous aider à lire et nous y découvrirons de véritables maîtres intérieurs. Alors Quintilien voyagera avec plusieurs.


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