Charest sera reçu à l'Élysée

L'amitié de Sarkozy pour le Canada suscite la controverse en France

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Paris -- En arrivant hier à Bordeaux pour une visite de quatre jours en France, Jean Charest ne se doutait pas qu'il débarquait en pleine controverse. Le premier ministre du Québec a aussitôt annoncé qu'il sera reçu lundi par le président Nicolas Sarkozy après avoir passé deux jours à Bordeaux pour célébrer les fêtes du 400e. La rencontre, qui ne figurait pas au programme, n'aurait été confirmée qu'en après-midi hier. Une semaine seulement après la polémique autour de la présence de la gouverneure générale Michaëlle Jean au lancement des fêtes du 400e à La Rochelle, Jean Charest dit voir dans cette nouvelle rencontre le témoignage que la relation «directe et privilégiée» entre la France et le Québec atteindra cette année de «nouveaux sommets».

Accusé par le PQ et l'ADQ d'avoir été absent à La Rochelle, Jean Charest arrive pourtant en France au moment même où la nouvelle position du président français envers le Québec commence à susciter la controverse dans ses propres rangs. L'abandon présumé de la politique traditionnelle dite de «non-ingérence et non-indifférence» à l'égard du Québec est en effet loin de faire l'unanimité.
Le Devoir a appris que la nouvelle politique de Nicolas Sarkozy plaçant les relations avec Québec et Ottawa sur un pied d'égalité a profondément irrité plusieurs personnalités depuis longtemps attachées au Québec, notamment l'actuel président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, et même l'ancien premier ministre Alain Juppé, qui recevait hier le premier ministre Jean Charest à Bordeaux.
Tout en prétendant ne pas «se mêler de ce débat», M. Juppé a d'ailleurs ouvertement contredit hier le président Sarkozy en affirmant que si «le Canada est un pays ami avec lequel nous avons intérêt à avoir des liens extrêmement étroits», les Québécois sont «un peu plus que des amis, ce sont des frères». Le 8 mai dernier, Nicolas Sarkozy avait au contraire bien pris soin de mettre le Canada et le Québec sur un strict pied d'égalité: «On aime le Québec. Mais on aime le Canada. On aime les deux», avait-il déclaré.
Depuis quelques semaines, plusieurs élus ont confié leur désaccord à l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui avait été le premier à ébruiter publiquement les intentions du président. Alain Juppé n'est en effet pas le seul à égratigner la nouvelle position de Nicolas Sarkozy. De nombreux élus, à droite comme à gauche, s'expliquent mal ce reniement de la tradition gaulliste.
«Les Français sont profondément attachés au Québec et je crois qu'ils sont aussi malheureux que les Québécois de cette dérive», a dit le député de droite Nicolas Dupont-Aignan. Selon lui, en abandonnant la politique traditionnelle formulée par le général de Gaulle et reprise par tous les gouvernements français depuis, Nicolas Sarkozy exprime une opinion minoritaire. «Rien n'est joué», affirme d'ailleurs le député de l'Essonne, qui estime que le débat sur cette question n'a pas vraiment eu lieu en France.
«Ne croyez pas que les Français ont changé! C'est malheureusement leur président qui dénature le message français. Je peux vous assurer que les élus et le peuple français ne sont pas de son avis. Je crains que le lobby anglo-saxon qui influence le président de la République n'abîme les relations franco-québécoises.»
Dissident depuis peu du parti de Nicolas Sarkozy (UMP), Nicolas Dupont-Aignan appartient à la frange dite souverainiste de la droite française. Il attribue ce changement de politique au rapprochement de la France avec les États-Unis et le Canada. Selon lui, le Québec ferait «les frais» de la nouvelle implication de la France en Afghanistan, où celle-ci est allée prêter main-forte au Canada. M. Dupont-Aignan souligne aussi le peu d'intérêt manifesté jusqu'à présent par Nicolas Sarkozy pour la défense de la langue française.
«Sarkozy a abandonné la langue française en faisant ratifier le protocole de Londres sur les brevets favorisant l'usage de l'anglais, dit-il. Et, pour la première fois cette année, un chanteur français chantera en anglais à l'Eurovision, ce qui suscite l'indignation en France.» La rupture avec la tradition gaulliste en politique étrangère compte pour beaucoup dans la chute de popularité du président, dit-il. «Jamais un président n'a été aussi impopulaire aussi rapidement depuis le début de la Ve République.»
Même si la plupart des élus hésitent à exprimer aussi clairement leurs divergences pour l'instant, à droite comme à gauche, plusieurs partagent la préoccupation de Nicolas Dupont-Aignan. «Le débat est loin d'être clos», nous ont confié plusieurs proches du Québec en France, issus de toutes les familles politiques et qui gardent espoir de pouvoir infléchir l'opinion du président d'ici sa visite officielle au Québec, en octobre prochain.
Joint alors qu'il partait pour le Québec, le représentant personnel du président de la République auprès de la Francophonie, Christian Philip, tentait de minimiser ce changement d'attitude. «Ce qui compte, ce sont les actes, a-t-il dit. Je ne vois pas d'inflexion de la politique française.» Selon lui, «le Québec et la France représentent toujours le premier pôle de la Francophonie». Il s'agit d'un vocabulaire jamais utilisé à ce jour par Nicolas Sarkozy pour parler du Québec.
Même ton réservé chez l'ancien ambassadeur Bernard Dorin, vieil ami du Québec de tradition gaulliste et militant de la francophonie. «Apparemment, le discours de Nicolas Sarkozy semble mettre le Québec et le Canada sur un pied d'égalité, a-t-il dit. En apparence, la France a l'air de jouer sur les deux tableaux. Mais je crois qu'il ne faut pas s'emballer simplement sur des mots. Il faudra voir la politique qu'il y aura derrière. Je ne crois pas que la politique de la France à l'égard du Québec ait changé pour l'essentiel. J'ai toujours trouvé la formule de la "non-ingérence et non-indifférence" un peu négative. Mais je ne crois pas qu'on en ait trouvé une nouvelle.»
Compte tenu du faible de Nicolas Sarkozy pour les formules-chocs, plusieurs familiers des relations France-Québec s'inquiètent de ce qu'il pourrait dire lors de sa visite officielle, à l'automne. «L'homme est imprévisible», a dit le spécialiste québécois des relations internationales André Patry. Selon cet ancien conseiller politique, «le Canada a gagné du poids sur la scène internationale. Quant au Québec, il joue un rôle moins important. Nous ne pouvons pas demander à la France de faire ce que nous ne faisons pas».
Nicolas Dupont-Aignan affirme que son inquiétude est partagée aussi bien par des députés de droite que de gauche. «Tout l'enjeu maintenant pour beaucoup d'amoureux du Québec en France, et ils sont nombreux, c'est de contrecarrer cette tendance et d'alerter l'opinion française pour que cela ne se fasse pas dans la discrétion. Rien n'est joué, et nous pouvons susciter, à l'occasion de ce 400e anniversaire de Québec, un bel élan mutuel.»
***
Avec la Presse canadienne


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé