Ces "rats" qui quittent le navire

Élections américaines de mi-mandat


par Beaudin, René
"Les rats quittent le navire", doivent sans doute se dire ceux qui ont lu, hier, les propos de l'un des grands architectes de la guerre en Irak, Richard Perle, qualifiant maintenant son "oeuvre" de "désastre".
Mais, évidemment, c'est la faute des autres, soutient-il, notamment celle du président George W. Bush, lequel n'a pas su "identifier ceux qui, dans son entourage, le servaient loyalement". Il s'en prend notamment à l'actuelle secrétaire d'État, Condoleeza Rice, conseillère du président en matière de sécurité internationale, "qui n'était pas à la hauteur", quand les États-Unis, en mars 2003, se sont embarqués dans cette galère.
En fait, M. Perle avait déjà quitté le navire en 2004, ou en tout cas l'un des postes de commande, moins à cause de la guerre en Irak que pour ses liens controversés avec le groupe Hollinger international de Conrad Black. Il fut en tout cas moins visible. Il est resté dans le sérail, se contentant de quitter la présidence d'un important groupe d'étude stratégique du Pentagone pour lequel il a néanmoins continué d'offrir ses services.
La "bande des quatre"
S'il avait su ce qu'il sait aujourd'hui, dit-il, "il aurait proposé autre chose que l'invasion de l'irak". Mais il n'a pas dit quoi, dans l'entrevue au magazine Vanity Fair évoquée hier dans Le Soleil.
Quel culot ! Il n'a même pas fait son "autocritique".
Richard Perle faisait partie de la "bande des quatre", avec le vice-président américain Dick Cheney, le secrétaire et le sous-secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, qui ont plaidé et oeuvré avec constance pour le renversement du régime de Saddam Hussein, à Bagdad, et ce, depuis la première guerre du Golfe, en 1991, que le premier président Bush avait laissée inachevée, se contentant du retrait de l'armée irakienne du Koweït, envahi l'année précédente.
Richard Perle n'était pas le plus puissant des quatre, mais il exerçait, dit-on, une grande influence. On le surnommait même le Prince des ténèbres. C'est lui-même d'ailleurs, si je ne m'abuse, qui se vantait d'être presque tout le temps au téléphone. L'homme savait manoeuvrer. Il avait d'ailleurs déjà été sous-secrétaire à la Défense. Et peu importe le poste qu'il occupait, il exerçait toujours une influence disproportionnée au poste en question.
C'est aussi un homme qui a écrit.
Guerre préventive
Il a eu son mot à dire dans la doctrine dite de guerre préventive proclamée par le président Bush en 2002, en vertu de laquelle fut justifiée, décidée, conçue et menée la guerre contre l'Irak, l'année suivante. C'est cette même doctrine que Richard Perle juge ou jugeait bon d'évoquer contre l'Iran ou la Corée, les deux autres survivants de l'axe du mal, ou même contre la Syrie. C'est également lui l'artisan de la politique dite de "changement de régime" évoquée pour renverser les gouvernements hostiles aux États-Unis.
Richard Perle est lié à presque toutes les décisions qui ont fait de l'Irak le bourbier que l'on connaît.
Il a - notamment à cause de ses liens privilégiés avec la poignée de transfuges irakiens qui, avant l'invasion de l'Irak de mars 2003, osaient collaborer avec le gouvernement des États-Unis pour libérer leur pays - pu convaincre la haute administration américaine que l'invasion de l'Irak et la chute de Saddam seraient une sinécure, ou enfin, presque. Ce serait pour l'essentiel une réprise de l'opération afghane et de la chute des Talibans en 2001.
Kurdes et chiites irakiens, disait-il ou croyait-il, ne demandaient qu'à être cette espèce d'Alliance du nord irakienne qui ferait la lutte au sol avec l'appui des forces aériennes américaines, lui disaient les transfuges irakiens, et répétait-il à qui voulait l'entendre.
Richard Perle, dit-on, était convaincu qu'un monument en l'honneur du président Bush serait élevé dans les 12 mois après la chute de Saddam sur une place publique ou un rond-point de Bagdad.
Décisions fatales
C'est lui qui aurait inspiré la décision prise dès le mois de mai 2003, par le tout nouveau proconsul américain à Bagdad, Paul Brenner, de dissoudre l'armée irakienne et de "débaassiser" en profondeur la société et le pouvoir irakien.
Ces deux décisions, prises presque simultanément, ont privé le nouveau pouvoir à Bagdad, de même d'ailleurs que les autorités américaines sur place, de milliers de militaires et de fonctionnaires, certes liés au régime déchu, mais pas forcément tous des complices de ses crimes, dans le rétablissement de l'ordre et la reconstruction.
Richard Perle était l'un de ceux par qui le mal est arrivé, si l'on en croit le journaliste américain Seymour Hersh dans différents articles publiés depuis 2002 notamment dans le magazine The New Yorker et édités tout récemment en langue française dans le livre Dommages collatéraux. La Face cachée de la guerre contre le terrorisme. Seymour Hersh n'est ni le premier venu, ni d'ailleurs le dernier. C'est un fouille-merde de haut calibre dont les trouvailles furent des points tournants. C'est lui qui a révélé le fameux grand massacre de civils à My Lai, au Viêtnam, par des combattants américains. Le scandale a alors précipité la débâcle américaine. Plus récemment encore, c'est lui qui a sorti les affaires d'Abou Ghraib et de Guantanamo. Les lignes et les pages qu'il a écrites sur Richard Perle sont édifiantes et impressionnantes, notamment sur ses liens avec les transfuges irakiens.
Aujourd'hui, Richard Perle brûle ce qu'il a adoré. Son départ n'a pas changé grand-chose à l'évolution des choses. Mais ses propos d'hier ont valeur de symbole. Il n'est pas le premier de la bande des quatre à quitter le navire. M. Wolfowitz fait maintenant carrière dans la finance internationale avec apparemment la satisfaction du devoir accompli en Irak. En tout cas, il n'a pas soufflé mot.
M. Perle, lui, règle des comptes avec Mme Rice certes, mais aussi, par son entremise, avec le prédécesseur de celle-ci, M. Colin Powell.
On a hâte d'entendre ce que ceux-ci ont à dire sur Richard Perle. Il en va de même pour les deux autres survivants de la bande des quatre, M. Rumsfeld et Cheney, sans parler de George W. Bush, qui ne faisait peut-être pas partie comme tel de la bande des quatre. Mais sans lui, elle n'aurait jamais vu le jour.
rbeaudin@lesoleil.com


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